Lundi 6 mars au soir, le Bureau politique des Républicains a réitéré sa confiance à son candidat François Fillon et a appelé à l'unité derrière lui. Le matin même, Alain Juppé annonçait devant la presse qu'il n'était toujours pas et ne serait pas le fameux « plan B » dont on entendait tant parler depuis plusieurs semaines. Le maire de Bordeaux qui, avec Nicolas Sarkozy, ne rencontrera finalement pas François Fillon pour trouver une « une voie de sortie digne et crédible à une situation qui ne peut plus durer ».
Pour le politologue Guillaume Bernard, historien des idées et maître de conférences à l'Institut Catholique d'Études Supérieures, ce redémarrage de la campagne est toutefois conditionné par la subsistance des dissensions au sein d'un parti se sentant aujourd'hui menacé par une débâcle électorale:
Pour Guillaume Bernard, cet hébétement s'explique en partie par la surprise du candidat face à l'éruption de l'affaire du Penelopegate dans la campagne. Le politologue revient sur le sentiment « d'injustice » éprouvé par le candidat suite aux attaques dont sa famille a fait l'objet « considérant qu'il ne s'agit là que d'une affaire subalterne comparée à d'autres scandales politico-financiers qui ont pu émailler l'histoire de la Vème République », ainsi que sur ces révélations qui ont « déçu » beaucoup d'électeurs de François Fillon, aujourd'hui partis à la concurrence.
Cependant, une base militante ne fait pas une élection et les sondages continuent de donner François Fillon largement perdant dès le premier tour, devancé par Marine Le Pen et Emmanuel Macron.
Pour rattraper ce retard, le vote du Centre — de l'UDI aux Juppéistes — ne lui semble pas acquis, loin de là et ce malgré l'annonce d'Alain Juppé qui a douché les espoirs de ceux qui souhaitait remplacer un candidat suspecté d'emploi fictif par un candidat condamné pour ce même motif. Une aversion de cette aile centriste des Républicains à l'encontre de François Fillon bien antérieure aux révélations du Canard enchaîné. Au soir du second tour de la primaire, fin novembre, dans le QG d'un Alain Juppé vaincu par les urnes, de nombreux militants et sympathisants déclaraient déjà, face caméra, leur intention de se reporter sur Emmanuel Macron.
« On peut penser que, normalement, s'il a bien compris le signal des Français qui sont venus à son appel du Trocadéro, il faut qu'il re-droitise sa campagne pour pouvoir apparaître comme le candidat qui a gagné la primaire. »
Pour le politologue, les réservoirs de voix qui permettraient à François Fillon de s'offrir une place au second tour des présidentielles se trouvent à droite et non pas au centre, déjà tenu par Emmanuel Macron. En somme, pour Bernard Guillaume, la seule issue pour le candidat Fillon est qu'il s'assume:
« Il est certain que ceux qui sont prêts à voter pour lui, c'est essentiellement un peuple de droite qui s'affiche de droite, c'est-à-dire ceux qui sont tentés par le vote Marine Le Pen, c'est la porosité de l'électorat LR et FN qui est ici extrêmement importante et qui a été révélé par cette manifestation. »
Cependant difficile de dire à l'heure actuelle si François Fillon va mettre en œuvre une telle stratégie. En effet, si une telle porosité existe au sein d'une droite qui a soif d'identité et qui constitue aujourd'hui les fondations de sa candidature, le candidat Républicain multiplie des messages d'hostilité à l'encontre de Marine Le Pen et donc de son électorat, comme par exemple lorsqu'il déclare au 20 h de France 2, dimanche 5 mars — au soir du rassemblement au Trocadéro —que son ennemi est Marine Le Pen « et donc — implicitement — pas Emmanuel Macron » souligne notre sociologue, qui y voit justement l'expression de certains réflexes d'appareil:
« Il y a là, je dirais, la défense du Système, le fait qu'il est un rempart contre la recomposition du spectre politique, alors qu'on sait qu'une grande partie des électorats du Front national et de LR souhaite cette recomposition politique et cette union des droites, à droite, pour être véritablement de droite. »
Au-delà de la forme, du discours du candidat, d'autres obstacles apparaissent sur le fond, comme les divergences au niveau des programmes économiques et sociaux, ou encore sur la question de l'Europe, faisant ainsi douter de la capacité de François Fillon à arracher des voix à Marine le Pen. Mais, pour Guillaume Bernard, la question n'est pas là pour l'électorat de droite:
« L'enjeu, il est sur comment contrôler son avenir? Comment maîtriser son avenir? Il est certain qu'il y a dans l'opinion publique de droite un souhait à la défense d'une identité, à un enracinement culturel, à une défense de la souveraineté de l'État. De ce point de vue là, avec des sensibilités différentes, cet électorat-là, de droite, qu'il vote pour François Fillon ou pour Marine Le Pen, eh bien il se rassemble. »
D'ailleurs, le sociologue considère la présence de François Fillon au second tour bien plus périlleuse pour Marine Le Pen que celle d'Emmanuel Macron, prenant à contrepied tous les sondages, qui bien avant les révélations du Canard enchaîné présentaient le candidat d'En Marche! comme le plus apte à vaincre Marine Le Pen au second tour. Emmanuel Macron, le « miroir inversé » de la candidate frontiste, en face duquel
« elle pourrait, beaucoup plus facilement à mon sens, dérouler son discours, alors que les positions de François Fillon sont plus ambiguës, un peu critiques vis-à-vis de l'Union européenne, mais pas non plus souverainistes, favorables à plus de réalisme dans les relations internationales, mais pas non plus contre l'OTAN. »
Bernard Guillaume insiste sur un aspect trop peu mis en avant lorsque les résultats de sondages sont relayés: le taux de certitude du vote. Un taux « extrêmement peu élevé » pour Emmanuel Macron, « alors qu'il est plus élevé pour François Fillon et encore plus élevé pour Marine le Pen » juge le sociologue.
En somme, au rebours du discours le plus souvent entendu dans les médias, sur le fond François Fillon serait le seul à pouvoir réellement contrer le vote FN. Des médias pour la plupart clairement opposés à Marine Le Pen, qui reprochent finalement à Fillon de pouvoir parler à l'électorat frontiste. À se demander si ce n'est pas cette frange de la population (l'électorat aujourd'hui sensible aux sirènes FN) qui suscite le rejet de nos confrères et non pas le parti en lui-même.
Au-delà de cette aversion que nous souhaitions aborder, Guillaume Bernard revient sur l'incompréhension que l'on retrouve, de manière générale, au sein de nos élites vis-à-vis du vote FN:
« Il y a un sentiment de dépossession de soi, qu'il soit identitaire, qu'il soit politique, qu'il soit charnel, culturel et donc par conséquent la formation intellectuelle de nos hommes politiques, les prises idéologiques qui sont les leurs, en particulier le matérialisme ou le contractualisme social les empêche de comprendre que le patrimoine ce n'est pas que l'argent, ça n'est pas que le matériel, c'est aussi l'immatériel, c'est aussi le culturel. »
Fillon l'a-t-il bien saisi? Nous n'allons pas tarder à le savoir, le candidat tient meeting à 19 h à Orléans.