"As-tu une cigarette?", a-t-il demandé en russe
J'ai rencontré pour la première fois Kim Jong-nam à Moscou en automne 1999 au 85, rue Vavilov. En allant au travail, j'ai aperçu un jeune Coréen à l'air triste. En me voyant il m'a demandé, dans un très bon russe, une cigarette: c'est ainsi que nous nous sommes rencontrés. Il a dit que sa mère malade vivait à Moscou mais qu'il venait de loin. Il ressemblait à un provincial ordinaire et j'ai tout de suite eu de la sympathie pour lui. Il a dit qu'il venait de Pyongyang. Il s'est avéré que c'était Kim Jong-nam, qui se rendait souvent à Moscou pour voir sa mère malade.
Honnêtement, j'ignorais qui était Kim Jong-nam mais comme il venait de Pyongyang j'en avais déduit qu'il était d'une famille de haut rang. A l'époque il n'y avait pratiquement pas de Nord-coréens parmi les étudiants à Moscou — il ne restait que des diplomates de l'ambassade. Je me souviens avoir parlé coréen. Kim Jong-nam était très surpris et a demandé: "Vous n'êtes pas un Coréen russe?" Au début nous parlions tous les deux russe.
De par son caractère, Kim Jong-nam était très différent de son père et de son grand-père, connus pour leur fermeté et caractère autoritaire… Il aimait les jeux d'argent, l'alcool et les femmes, partout à Moscou circulaient des rumeurs que…, et il était humain. Il était franc à tel point que c'était gênant pour moi, mais dans le même temps il était pur et humain, il était énormément inquiet pour sa mère.
Je voyais souvent une femme âgée qui se promenait dans le parc avec 7-8 autres femmes. Les femmes qui la protégeaient était très polies et courtoises, et la femme âgée était manifestement très belle dans sa jeunesse.
L'amour d'un fils
Certains affirment que Song Hye-rim, la mère de Kim Jong-nam, a déménagé à Moscou immédiatement après la naissance de son fils. Selon ce dernier, sa mère est tombée malade et a dû partir à Moscou pour être soignée car elle ne pouvait pas bénéficier d'aide médicale convenable en Corée du Nord. Il s'abstenait de parler de son père, Kim Jong-il. Il ne l'a mentionné qu'une fois, un jour, pour dire qu'il était un homme très sévère. Chaque fois qu'il souhaitait voir sa mère il se rendait à Moscou et y restait entre deux et quatre semaines. Cela arrivait assez souvent. Il se distinguait pas son immense amour pour sa mère, mais je pense qu'il aimait encore plus Moscou où il se sentait plus en liberté que dans son pays.
A cette époque, la Corée du Nord traversait d'énormes problèmes sociaux et humanitaires. Les Nord-coréens qui vivaient dans d'autres pays, y compris à Moscou, les ressentaient également. Leur visage portait la marque de la pauvreté. Leur principal but était de gagner de l'argent en devise étrangère, et j'en voyais même certains vendre des insignes de Kim Il-sung sur la place Rouge à Moscou. Cela revenait à vendre l'ordre de Lénine à l'époque soviétique.
La famine en Corée du Nord fut une épreuve même pour la famille de Kim Jong-il. Kim Jong-nam portait des vêtements usés, tout comme le personnel de l'ambassade de la Corée du Nord. Je pense que l'entretien de Song Hye-rim dépendait entièrement des revenus de Jang Song-thaek (mari de la sœur de Kim Jong-il). Jang venait parfois à Moscou et on pouvait le prendre pour un Coréen russe: il portait la chapka, un manteau russe usé et un costume. Je me souviens qu'il rencontrait Kim Jong-nam dans le hall d'un hôtel du quartier coréen, qu'il réservait secrètement une salle dans un restaurant sud-coréen (il n'y avait pas de restaurants nord-coréens à Moscou à l'époque) où il se rendait avec son neveu. Parfois, avec eux dans le hall de l'hôtel, les accompagnait un garçon de 12-14 ans qui jouait avec un ballon de basketball. C'était probablement Kim Jong-un. Mais c'est seulement une supposition. J'ai appris avec amertume que Kim Jong-un avait ordonné d'exécuter Jang Song-thaek, qui même pendant les années difficiles pour le pays s'était efforcé de gagner de l'argent pour l'entretien et l'éducation de ses neveux. Il était triste de voir que Kim Jong-nam vivait à l'étranger en craignant pour sa vie.
La tombe de sa mère
En juillet 2001, Kim Jong-Il s'est rendu en visite à Moscou. A cette occasion, des mesures avaient été prises pour restreindre les déplacements des Coréens résidant dans la capitale russe à cause des risques d'attentat. Un citoyen sud-coréen pouvait facilement être arrêté s'il se trouvait dans un endroit interdit. C'est pourquoi je n'ai pas pu me rendre à l'université où je travaillais pendant deux semaines.
Je ne peux pas oublier cette journée d'automne 2001 et le visage rempli de tristesse de Kim Jong-nam quand il a appris que sa mère était atteinte d'un cancer. A l'époque, Moscou était connue pour avoir la meilleure clinique oncologique (bien que dotée d'équipements obsolètes). C'est probablement grâce au savoir-faire des médecins russes et aux traitements particuliers que Song Hye-rim a vécu aussi longtemps.
Je me souviens encore qu'il était assis dans la rue et fumait… C'était simplement un fils désespéré qui ne pouvait pas aider sa mère qui vivait ses derniers jours. Il ne pouvait que rester à ses côtés. Il était simplement un fils et un homme, et tout ce que je pouvais dire pour le consoler était: "Reste près de ta mère".
Après cela, je n'ai pas vu Jong-nam pendant longtemps. Jusqu'à la dernière fois, en 2015, à l'hôtel du quartier coréen.
Je pense qu'il était avec sa famille. Ils étaient probablement venus voir la tombe de sa mère. Kim Jong-nam était accompagné de plusieurs femmes portant des vêtements caractéristiques (gardes du corps?) et une autre femme, probablement sa femme, et un enfant. Plus de dix Nord-coréens se trouvaient dans le hall de l'hôtel et tous les yeux étaient rivés sur Kim Jong-nam. Le lendemain, la presse sud-coréenne a publié des photos de cet hôtel en parlant de la visite de Kim Jong-nam à Moscou.
Ce jour-là, nous nous sommes simplement salué à distance dans le hall de l'hôtel avant de nous séparer. C'était ma dernière rencontre avec lui.
Je pense que si Kim Jong-nam était à la place de Kim Jong-un, il n'y aurait peut-être pas de crise nucléaire ni de problème coréen. Il était pur et optimiste, et il ne serait jamais devenu un dictateur.
Il aurait pu faire de la Corée du Nord un pays pacifique, et j'ai mal au cœur en y pensant.
Je pense que la dernière volonté de Kim Jong-nam était liée à la tombe solitaire de sa mère. Il aurait peut-être fallu l'enterrer à ses côtés.
Paix à son âme.