« Quand on pense à quel point la mort est familière et combien totale est notre ignorance, et qu'il n'y a jamais eu de fuite, on doit avouer que le secret est bien gardé » écrivait Vladimir Jankélévitch (La mort, 1966).
Si depuis la nuit des temps, l’Homme s'interroge sur la mort, et même si depuis le Moyen-Âge les progrès de la Science lui ont permis de ne plus y voir seulement la manifestation d'une volonté divine, il s’était cantonné jusque-là à en appréhender uniquement les aspects religieux et philosophique ou métaphysique.
A l’aube du 21e siècle, peu à peu le tabou qui entourait la mort s'est dissipé et les interrogations se sont étendues à d’autres questions devenues peu à peu fondamentales pour notre société occidentale.
Une nouvelle vision de la mort
Le déclin du spirituel et du rituel
La mort elle-même n'échappe pas à la perte d'influence de la religion dans notre société.
Qui aurait pu imaginer il y a une soixantaine d'années que dans la France d'aujourd'hui, pratiquement un défunt sur deux (48%) quitterait ce monde sans cérémonie religieuse ?
Auparavant, tout baptisé (et même certains non croyants et agnostiques) « passait par l'église » le jour de leurs obsèques.
Et si le déclin de l'aspect rituel peut être ressenti comme une désacralisation des funérailles, il est aussi l'illustration du matérialisme et de l'individualisme de notre époque.
Une personnalisation de la mort
Jusqu'à un passé récent, nos ancêtres cherchaient à s'accommoder de la mort à qui l'imaginaire collectif du Moyen-Âge avait accolé une image empreinte de fatalisme mêlé de crainte.
L'Homme contemporain a désormais la volonté d'en maîtriser tous les aspects. Et il ambitionne de réussir sa mort comme il veut réussir sa vie. Mais, signe des temps, il attend toujours plus d'assistance de la part des professionnels.
Ainsi, les familles souhaitent souvent une cérémonie plus centrée sur le défunt, sa personnalité, ses goûts et ses activités. C'est ainsi que les proches vont choisir textes et musiques en pensant à leur cher défunt. Celui-ci devient le centre de la célébration alors qu'avant, « son accompagnement à sa dernière demeure », beaucoup plus conventionnel, n'était pour la famille, et plus généralement pour la communauté religieuse, qu'une occasion supplémentaire de célébration et de prière.
Désormais, pour reprendre les mots du sociologue Jean-Hugues Déchaux, on est passé d'un défunt « objet d'un rituel traditionnel » à un défunt « sujet d'un rituel personnalisé ».
Une certaine banalisation de la mort qui ne fait plus peur
Plusieurs facteurs ont peu à peu contribué à banaliser la mort, notamment :
une hyper- médiatisation de la mort au quotidien : il ne se passe pas une journée sans que les médias n'en fassent leurs gros titres (guerres, attentats, accidents, catastrophes diverses, crimes, décès de personnalités, commémorations, etc.) ; les films et jeux vidéo guerriers ou violents ; le fait que les gens ne meurent plus à leur domicile (3 personnes sur 4 décèdent maintenant à l'hôpital ou en maison de retraite) ; et pour ceux qui meurent chez eux, le corps est bien souvent transféré rapidement en chambre mortuaire. Il n'y a donc plus cette proximité, cette familiarité avec la mort qui auparavant marquait les proches.
Mais cette omniprésence lui a, paradoxalement fait perdre de sa réalité. La mort est partout, de façon anonyme et les gens la côtoient sans plus la voir, comme quelque chose de distant, voire d'abstrait, mais qui ressurgira de façon plus violente encore lorsqu'elle les touchera de plus près.
C'est ce que le philosophe Damien Le Guay résume magnifiquement par sa formule « La mort est partout, les morts sont nulle part ».
Si environ un Français sur deux déclare penser de temps en temps à sa mort, celle-ci ne fait plus peur. Et, bien que le mystère reste entier, la majorité des gens abordent avec sérénité ce qui viendra après leur dernier souffle.
Dans l'esprit de beaucoup de nos concitoyens, la peur de la mort a cédé la place à la peur de la souffrance. Partir sans souffrir et de préférence bien entouré, voilà le vœu suprême de chacun. La peur de devoir abandonner ses proches semble aujourd'hui primer sur la peur de la mort elle-même.
Mais, même si la mort ne fait plus peur, la mort d'un proche n'est jamais ressentie comme un événement banal et les familles ne sont pas toujours prêtes à y faire face.
La mort apparaît aujourd'hui sous certains angles comme un problème ou du moins une réalité sociétale interdépendante d’autres sujets fondamentaux de notre existence journalière. C'est ainsi que la mort soulève aujourd’hui des questions relatives aux aspects éthique, juridique, économique, et écologique.
L'aspect éthique et juridique de la mort
Aujourd’hui, avec le développement de la science et des techniques médicales, la société aborde la mort sous l’angle de l'éthique. C'est le sujet le plus aigu et le plus à controverses :
soins palliatifs et acharnement thérapeutique euthanasie (droit à une mort médicalement assistée) don d’organes eugénisme cryogénie (pour espérer réaliser le vieux rêve d'immortalité)
Tout ce qui touche à la mort et à la fin de vie sur un plan éthique exige une législation particulière qui évoluera au fil des années en fonction de l'opinion publique et des exigences du respect de la personne humaine.
C'est ainsi, par exemple, que sans légaliser l’euthanasie, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie a introduit de nouvelles dispositions prévoyant que les traitements ne doivent pas être poursuivis par une "obstination déraisonnable" et fait obligation de dispenser des soins palliatifs.
Ceci n'empêche pas certaines interrogations de se faire, consécutivement à la médiatisation de certaines affaires, sur la légitimité et l'intérêt des procédures collégiales mises en œuvre pour statuer sur une limitation ou un arrêt de vie d'un être cher.
Le domaine du juridique ne se cantonne pas à ces problèmes d'éthique mais concerne entre autres la réglementation des lieux d'inhumation, la destination des cendres, etc.
Par exemple, l'adoption de nouvelles techniques destinées à être une alternative à l'inhumation et à la crémation, ou à les remplacer si dans un avenir plus ou moins proche elles venaient à être jugées trop pénalisantes pour l'environnement, devra impérativement être réglementée et précisée par des textes. L'aspect économique de la mort
Chacun de nous, quand il est confronté au deuil, peut constater que le décès d'un proche a un coût. Mais ce coût semble encore demeurer secondaire par rapport à la qualité du service.
D'un coût moyen de l'ordre de 3500 € en 2016 (+ 30% en 10 ans), les obsèques représentent un marché global annuel de 2 milliards d'euros (hors fleurs). — à titre comparatif, le marché du bébé (puériculture, layette et jouet) représente un peu plus de 1 milliard d'euros pour une démographie de l'ordre de 820000 naissances (chiffre 2014-2015).
A ce montant, il convient d'ajouter 290 millions d'euros représentant la part des fleurs lors du décès ou de la commémoration des morts (dont 190 millions, soit 65% pour les seuls chrysanthèmes Source : Lefigaro).
Une évolution démographique favorable au développement de ce marché spécifique
Contrairement au marché du bébé, appelé selon les études à décliner, le marché des obsèques ne va faire que croître.
Ainsi, si l'analyse du nombre de morts recensés entre 1970 et 2015 montre une progression des décès de 9,5 % sur 45 ans, les études démographiques réalisées et les projections faites montrent qu'entre 2015 et 2030, soit sur une période de 15 ans seulement, le nombre des décès devrait augmenter de 17,8 %. Soit presque un doublement du pourcentage de hausse sur une période 3 fois plus courte !
C'est ainsi qu'en 1970 on a comptabilisé 542200 décès ; le chiffre a été porté à 594000 en 2015 (+ 9,5%) et on estime qu'en 2030, la France enregistrera 700000 décès dans l'année. Si en 2015, le nombre de naissances a légèrement diminué par rapport à 2014 (– 19 000) et s’établit à 800 000, par contre, les décès ont augmenté fortement (+ 41 000) et atteignent 600 000 en 2015. C'est le chiffre le plus élevé enregistré depuis l’après-guerre.
Cette projection s'explique avant tout pour des raisons démographiques (les « baby-boomers » arrivant au 3e âge), mais également en raison d'épidémies et épisodes caniculaires.
Au début 2016, 18,8% de la population française est âgée de 65 ans ou plus et le solde entre les naissances et les décès enregistrés sur l'année 2016 (+198000) ne va faire qu'accentuer cette réalité, puisque c'est le plus faible depuis 40 ans.
Et pour clore le sujet, il est à noter que le marché de la mort est un des rares marchés à ne pas être concerné par le succès de la consommation collaborative.
Une offre adaptée aux attentes
Si le marché de la mort a de beaux jours devant lui, il lui faudra néanmoins achever sa mutation pour adapter ses métiers aux besoins des familles et à l'apparition de nouveaux métiers sur le web où l'offre de services funéraires explose.
Les personnes confrontées au décès d'un proche attendent toujours plus d'assistance de la part des professionnels vis-à-vis de qui elles sont de plus en plus exigeantes et sur qui elles se reposent totalement pour le décharger de l'ensemble des formalités administratives et autres liées aux funérailles.
La multiplication des offres funéraires et la complexité des démarches font que les familles attendent un accompagnement compétent et une assistance experte doublés d'un accueil et d'une écoute sincères.
Une offre adaptée aux moyens financiers des familles
Mais si le coût des obsèques reste pour le moment encore secondaire par rapport à la qualité du service, il pèse néanmoins de plus en plus lourd aux yeux des familles éprouvant un deuil.
Le niveau des retraites s'amenuisant, leur montant ne permet plus à tous les retraités de réaliser les économies nécessaires à constituer un pécule destiné à l'organisation de leurs funérailles. Ce coût financier incombera alors à leurs héritiers (en vertu de l'article 806 du Code civil) ou à la commune de décès (art. L.2223-27 du Code général des collectivités locales) pour les plus démunis… Le marché, très concurrentiel, doit permettre une adaptation aux divers niveaux de budget, par des offres « à la carte » ou « package standardisé », tout en assurant des prestations d'une qualité suffisante. Et les sites Internet de comparaison des coûts aideront les familles à faire leur choix en fonction de leur budget. Est-ce un signe des temps ou la détection d'une nécessité de faire face collectivement aux frais des funérailles ? Toujours est-il qu'il convient de signaler l'apparition sur Internet de services de collecte en ligne qui permettent de regrouper rapidement toutes les participations de la famille, amis, connaissances, pour le financement des obsèques. Dorénavant, en lieu et place du traditionnel envoi de fleurs, il est donc possible de contribuer au coût des obsèques si la famille l'a souhaité. Autre façon de manifester sa sympathie à la famille du défunt. On ne peut s'empêcher de constater la hausse importante du nombre des crémations qui a plus que triplé en un peu plus de 20 ans. Quasiment inexistante en 1970 (0,3%), atteignant 10% en 1994, les crémations représentent aujourd'hui plus d'un tiers des décès (34%) et on en prévoit 40% en 2020.
L'attrait pour la crémation résulte-t-il de son coût inférieur (en raison de l'absence de concession, caveau et monument) ou d'autres considérations (plus simple, plus hygiénique, etc.) ? Selon un sondage, l'argument économique serait à l'origine du choix de plus d'un tiers des personnes ayant opté pour la crémation.
La solution de l'assurance « obsèques »
« L'événement de la mort n'est une « éventualité » que dans sa date et ses circonstances. Biologiquement, statistiquement, qu'y a-t-il de plus prévu que le fait de la mort?» constatait Vladimir Jankélévitch (La mort).
Les assureurs, devant le même constat, ont saisi l'opportunité offerte et mis au point les contrats d'assurance « obsèques », encore appelés « convention obsèques », pour garantir la prise en charge totale ou partielle du coût des funérailles.
Dans ce type de contrat, l'aléa (le risque de mort) est certain ; la seule incertitude résidant dans la date de sa survenance. Moyennant une cotisation unique, viagère ou temporaire, fonction de l'âge de l'assuré et du capital souscrit, la personne désignée par le souscripteur peut soit recevoir le versement du capital convenu, soit voir exécutées les prestations funéraires prévues par le défunt.
L'intérêt pour ce type de contrat va grandissant : à fin 2014, plus de 4 millions de Français avaient souscrit un contrat « obsèques » et la progression de la souscription se poursuit au rythme annuel de 500 000 nouveaux contrats (sur la base d'une progression de 5 à 10% du nombre de contrats en capitaux ; de 10 à 15% pour les contrats en prestations – Source : Lassurance-obseques.fr). 75% des contrats sont des contrats en capitaux ; 1 contrat sur 4 seulement prévoit des prestations funéraires.
Les motivations des souscripteurs sont principalement de 3 ordres :
En premier lieu vient le souci d'épargner une charge financière à ses proches ; Ensuite vient le souci d'épargner une charge morale et des soucis aux proches ; La 3e motivation concerne les souscripteurs sans proches ou qui ceux souhaitant prévoir l'organisation précise de leurs funérailles.
Soulignons que la perception à la baisse du pouvoir d’achat des ménages ne pourra être que favorable au développement de l'assurance obsèques en incitant les gens à contracter pour avoir l'esprit plus libre vis-à-vis de leur disparition. Ceci même si pour certains, cet acte de prévoyance doit entraîner des privations d'un autre ordre.
L'aspect écologique de la mort
Depuis quelques années, l'impact de la mort sur l'environnement commence à être pris en considération.
Si aux yeux de beaucoup de gens, la crémation semble plus « propre » que l'inhumation, elle n'est pas sans impact sur le plan écologique.
Quand la mort devient une problématique environnementale
En effet non seulement les deux procédés sont polluant pour notre environnement, mais le corps lui-même est source de pollution :
les résidus de produits chimiques utilisés en thanatopraxie (formol, etc.), de bois du cercueil, de vêtements, de métaux lourds absorbés pendant toute la vie, de plombages, prothèses, implants, etc., sont sources de pollution de l'air, des sols et des sources (dioxine, mercure, etc.)
l'inhumation : l'utilisation d'un cercueil en bois représente annuellement 100000 stères de bois en France ; les monuments entraînent une surconsommation de pierre et minéraux ; les cimetières sont une immobilisation de terrains et leur entretien avec pesticides et produits chimiques pollue l'environnement ; La crémation : pour obtenir les 850°C nécessaires pendant 1 h 30 à la transformation du corps en cendres, il faut environ 30 litres qui dégagent une importante quantité de CO2 ;
A titre comparatif, l'inhumation représenterait 10% d'effets négatifs sur notre environnement que la crémation.
Vers des funérailles « durables »
Les pays anglo-saxons notamment, sont en avance sur notre pays en matière de funérailles plus écologiques.
C'est ainsi que les recherches menées dans ces pays ont abouti à la mise au point de technologies nouvelles qui neutralisent ou diminuent très sensiblement l'impact sur notre environnement.
Aquamation, promession, réduction du corps en compost, assainissement des chairs par des champignons, autant de nouveaux processus expérimentés par les chercheurs étrangers et qui ne sont pas encore admis en France.
Des gestes simples pour préserver notre environnement
Si ces nouvelles pratiques ne sont pas encore possibles chez nous, par contre chaque citoyen motivé et soucieux de ne pas impacter la planète peut observer des règles simples : éviter les traitements de thanatopraxie et les soins du corps du défunt (pas de produits chimiques) ; opter pour des cercueils et des urnes biodégradables (carton, bambou) ; remplacer la pierre du caveau par une dalle végétalisée ; etc.
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