Les Français, des anti-système frileux !

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Les français seraient déclinistes et en tête des pays les plus en désaccord avec leur classe politique, selon la dernière étude de l’IPSOS. Pourtant les français sont en parallèle une minorité à se dire « susceptibles » de voter pour un parti ou un candidat prêt à changer les règles. Analyse.

La fin de semaine a été particulièrement riche en meetings politiques: Benoît Hamon, Marine Le Pen, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon et son hologramme ou encore le déplacement de François Fillon dans les Ardennes, tous les ténors pressentis pour la dernière ligne droite à l'investiture suprême ont fait parler d'eux d'une manière ou d'une autre. Mais ont-ils lu la dernière enquête de l'IPSOS?

Une enquête menée en 2016 auprès de 16 096 personnes de 16 à 64 ans dans 22 pays riches et émergents montre un pessimisme — pas nouveau en France — notamment vis-à-vis de l'avenir de leurs enfants. Un thème, une crainte, devenue récurrente dans les sondages ces derniers temps. L'enquête montre surtout une grande défiance vis-à-vis de la classe politique et du « système ». De quoi interpeller nos ténors politiques.

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Et si pour une fois les sondages avaient raison sur Fillon?
À vrai dire, les candidats ne pouvaient pas, techniquement parlant, prendre connaissance de cette enquête, publiée ce lundi 6 février sur le site de l'institut de sondage. Cependant, le résultat de celle-ci n'est pas surprenant et s'inscrit dans la continuité d'études précédentes, notamment celle d'OpinionWay pour le Cevipof (le centre de recherches politique de Sciences Po) mi-janvier.

Le politologue Pascal Perrineau avait alors insisté sur un certain paradoxe du résultat de cette étude: celui de voir des français plus demandeurs de protectionnisme, tout en allant vers un libéralisme plus « assumé ».

Un positionnement étonnant que l'on retrouve dans l'étude de l'IPSOS: tant sur les questions de libéralisme et de mondialisation. Dans le cas de cette étude, 66 % des Français se prononcent en faveur d'un contrôle par l'État du prix des denrées alimentaires de base (au-delà d'une moyenne de 58 %), mais ils ne sont plus que 36 % à se prononcer en faveur de la nationalisation des ressources naturelles. Sur les questions d'immigration, si 69 % des français sont contre l'idée « qu'il serait préférable pour la France de laisser venir tous les immigrés qui le souhaitent », les français semblent en moyenne plus ouverts que leur voisins européens — moins de la moitié (40 %) des personnes interrogées dans l'hexagone estimant que la France serait « plus forte » en cas d'arrêt de l'immigration et seuls 33 % des Français (contre une moyenne de 35 %) estiment que « les immigrés prennent les emplois des citoyens français. »

En parallèle, toujours concernant l'ouverture du pays, avec l'Italie, la France fait figure d'exception à la règle de percevoir comme une opportunité l'ouverture de l'économie nationale aux entreprises étrangères, en d'autres termes, les Français sont sceptiques face à la mondialisation!

Des résultats qui sont loin d'étonner Thibault Isabel, docteur en philosophie et rédacteur en chef de la revue Krisis —Il est notamment l'auteur de l'ouvrage Le Parti de la tolérance, (Éd. La Méduse, 2 014)​

« De telles études ont déjà été publiées au cours des dernières années, et montrent une poussée constante du "déclinisme" dans tous les pays occidentaux. Cela s'explique évidemment par des motifs objectifs: les Occidentaux voient bien que les conditions de vie déclinent, c'est lié à une évolution structurelle du capitalisme et de la situation internationale. Les gens savent objectivement que les populations souffriront davantage — seront moins heureuses — que les générations précédentes. Les riches sont de plus en plus riches, mais il est évident que le taux de richesse et de satisfaction, de bonheur moyen de la population ordinaire, ne cesse de décroître depuis maintenant de nombreuses décennies. »

Une étude, qui n'est pas unique en son genre en somme, mais qui interpelle par son contenu détaillé. En effet, si on comprend vite que les Français sont particulièrement prompts à dénoncer leur classe politique, ils semblent en revanche beaucoup moins enclins à voter en considération de ce sentiment.

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Les Français sont les plus grands pessimistes du monde
On constate par exemple que les Français s'illustrent particulièrement lorsqu'ils sont 80 % — 31 points de plus que la moyenne des 22 pays — à s'accorder sur le fait que « Pour que la situation change, nous avons besoin d'un dirigeant qui soit prêt à changer les règles du jeu ». 76 % des Français estiment par ailleurs que « les partis et hommes politiques traditionnels ne se souviennent pas des gens comme moi ».
Mais plusieurs pages plus tard, à une toute autre question, les Français passent sous la moyenne (de 4 points) des autres pays en n'étant que 40 % à se dire « susceptibles » de voter « pour un parti ou un dirigeant politique qui souhaite changer radicalement le statu quo ».

Un résultat qui interpelle également Thibault Isabel, qui souligne là un paradoxe et ce au sein même de ceux qui protestent contre la classe politique:

« Certes, la majeure partie des Français rejette leur classe politique, mais on voit que même parmi les gens qui rejettent la classe politique, il y a encore une légère majorité de personnes qui soutiennent le système mondialiste. »

Dans le contexte électoral, à qui pourrait profiter ce paradoxe? Alors que tous pointent du doigt la montée des populistes, sur fond de Brexit et d'élection de Donald Trump, faisant planer le « spectre » de la victoire de Marine Le Pen, est-ce vraiment les candidats s'affichant comme antisystème qui profiteront de ce paradoxe? Pour Thibault Isabel, la réponse est claire:

« C'est quelque chose je pense qu'Emmanuel Macron a très bien compris, parce qu'en fait, qu'est-ce qu'il fait? D'un côté, il tient un discours populiste de remise en cause du clivage Droite-Gauche et des vieilles élites politiques, mais dans le même temps il défend l'idéologie du système. »

« Je ne dis pas que les choses ne vont pas évoluer, il y a une dynamique en faveur de la remise en cause profonde du système, mais à l'heure actuelle, indéniablement, le rejet de la classe politique ne signifie pas encore qu'il y a une majorité électorale contre le mondialisme et donc l'idéologie qui a le plus de chance de prospérer en l'état actuel de l'opinion, c'est une idéologie qui serait à la fois superficiellement populiste, mais qui dans le fond resterait mondialiste. »

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Une immense majorité de Français ne veulent pas une candidature Hollande en 2017
Comment expliquer un tel paradoxe? Surtout que les exemples ne manquent pas. L'étude révèle que les Français sont notamment les plus inquiets concernant l'avenir de leur progéniture. 61 % des Français interrogés estimant que leur génération a une vie moins bonne que la génération de leurs parents, et que 67 % des jeunes d'aujourd'hui auront une vie encore moins bonne que celle de leurs parents.

« Il faut se rendre à l'évidence, les aspirations que nous pouvons tous nourrir sont souvent des aspirations contradictoires. En réalité, les gens en France, pour une légère majorité, restent encore favorables dans leurs idées au système mondialiste. En même temps, ces mêmes personnes constatent que cela ne va plus, que le pays est en déclin et que le système économique actuel nous plonge dans un marasme qui est insupportable pour tout le monde. Donc d'un côté, les gens restent attachés à des vieilles idées auxquelles ils continuent de croire et dans le même temps ils sentent bien que ces idées ne fonctionnent plus. Donc ils sont eux-mêmes clivés et ils ont besoin de politiciens au discours clivé pour répondre à leurs attentes. »

Notre expert relativise, pour lui cette situation qui se profile en cette année 2017 n'est en fait pas si inédite que cela, une situation qui s'explique simplement par le fait qu'elle est « en adéquation avec ce que recherche une légère majorité des Français »:

« Cela fait maintenant une quinzaine d'années, que tous les hommes politiques qui parviennent aux plus hautes fonctions de l'État, s'imposent aux termes des joutes électorales sur la base d'un discours de rupture, de changement: Nicolas Sarkozy avait obtenu le pouvoir de cette façon, c'était le candidat du changement qui allait tout balayer, François Hollande lui aussi disait "le changement c'est maintenant". En fait les candidats du système on compris depuis de nombreuses années qu'ils ne pouvaient réussir à s'imposer qu'en prônant un changement radical en surface, alors qu'en réalité ils continuent à préserver le statu quo. »

Un statu quo intenable pour Thibault Isabel « on ne peut pas à la fois soutenir le système tel qu'il est et déplorer les effets de ce système ». Mais en attendant que les Français surmontent leurs contradictions, c'est donc Emmanuel Macron qui les exprime le mieux à la fois anti-système dans la forme et pro-système sur le fond, ce qui explique peut-être en partie qu'il soit le favori des médias. Pour autant, ses détracteurs devraient toutefois garder une lueur d'espoir. En effet, l'étude de l'IPSOS relève également qu'en France, 68 % ne font pas confiance aux médias, une défiance qui pourrait finir par rejaillir sur leur chouchou.

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