Le début de la guerre a eu un effet positif sur la téléphonie scandinave, notamment sur la création de lignes transfrontalières vers la Norvège. Le Danemark étant un État neutre dans le conflit mondial, il a dû instaurer un système de censure pour garder son statut après être devenu le nœud européen des télécommunications. L'historien Andreas Marklund explique dans les pages de la revue History and Technology les principes de fonctionnement de ce système de contrôle des informations et les raisons de son maintien après la guerre.
Pour tous les pays scandinaves ayant des intérêts commerciaux en Allemagne tout comme en Grande Bretagne, la neutralité était cruciale. Ce problème était particulièrement aigu au Danemark à cause de sa frontière avec l'Allemagne: 50 ans auparavant, il avait déjà perdu la guerre des Duchés et tenait à l'accord de paix. La neutralité du Danemark n'était donc pas si neutre en vérité: le pays était avant tout obligé de prendre en considération les intérêts allemands.
Comme ce système de censure a été créé à la hâte, il n'était pas très réfléchi et n'était pas centralisé. Il n'avait pas de censeurs professionnels et la surveillance de la correspondance était assurée par des fonctionnaires et des opérateurs locaux. La censure est restée une pratique non-officielle pendant la première année et demie de la guerre, son annonce officielle n'ayant eu lieu que le 15 décembre 1915. Le chef de l'agence télégraphique publique a alors été obligé de nommer un employé comme censeur officiel.
Nicholas Meyer, directeur de l'agence télégraphique du pays, s'opposait à toute censure des téléphones. Il a avancé une autre solution: cesser d'informer les citoyens qui transféraient des messages par télégraphe de l'état de leurs télégrammes. Dès le 1er septembre 1916, les télégraphistes étaient contraints de ne pas indiquer aux clients les refus d'envoi de leurs messages ou les rejets éventuels de certaines phrases.
Le 1er novembre 1916, le ministère danois des Affaires étrangères a repris en mains la censure télégraphique. Le nouveau bureau était composé de quatre personnes n'ayant aucun lien avec l'agence télégraphique — d'anciens journalistes et employés du ministère qui en référaient directement au ministre. Son chef était Marius Ide, diplomate, ancien employé de l'ambassade danoise à Londres.
L'une des nouveautés résidait dans l'établissement d'une "liste noire" de reporters qui avaient déjà porté préjudice aux intérêts du pays en transmettant des informations contradictoires ou diabolisant le Danemark. Les télégrammes envoyés par ces personnes étaient scrutés avec une attention particulière.
Une autre initiative de Marius Ide fut de faire signer un accord tripartite entre le Danemark, la Norvège et le Suède visant à prévenir les fuites d'information indésirables par les moyens de communication, qui incluait également une clause sur la censure des entretiens téléphoniques.
Mais comme personne n'avait employé de censeurs, la tâche d'écouter ces conversations était assurée par des opérateurs ordinaires. Il n'existe pas de statistiques directes sur la fréquence des écoutes mais les journaux ont publié des témoignages indiquant qu'on avait parfois coupé des lignes internationales pour une journée voire plus afin d'éviter toute fuite de donnés importantes.
Mais cela n'était pas le seul souci des censeurs des pays scandinaves. L'une des raisons de leur inquiétude résidait dans la technologie du télégraphe sans fil. Le Danemark a interdit l'utilisation de communications sans fil dès le début de la guerre mais comme ces restrictions étaient moins strictes en Norvège, les censeurs danois craignaient que les Allemands puissent tout de même envoyer à leur flotte des informations sur les navires de commerce.
Les Allemands mêmes étaient encore plus redoutables. Un rapport de Marius Ide pour le ministère des Affaires étrangères indiquait que les espions du kaiser étaient très inventifs. Selon les services secrets danois, l'Allemagne avait produit des émetteurs de poche qu'on pouvait utiliser pour transmettre des messages secrets aux sous-marins allemands.
L'interdiction d'utiliser les langues non-scandinaves a été supprimée en décembre 1918, six semaines après l'armistice. Cette décision a été prise en commun par les autorités de la Norvège, du Danemark et de la Suède.
Le bureau de censure a été fermé le 24 février 1919. Cela ne signifiait pas pour autant la fin de la surveillance du télégraphe et du téléphone: il s'agissait simplement d'un transfert des pouvoirs à l'agence télégraphique. Les règles d'après-guerre étaient très simples: tous les télégrammes douteux ou nocifs selon les opérateurs devaient être envoyés à l'examen du ministère des Affaires étrangères.
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