« Sans lien entre le ciel et la terre, la société a tendance à se disloquer »

S'abonner
La fonction royale a marqué les sociétés humaines traditionnelles à travers le monde et son lien avec le sacré était son trait premier. Cette figure peut-elle éclairer l’échec actuel du politique en Occident ?

Le hasard fait plus ou moins bien les choses. Moins bien car nous voulions aborder un sujet complexe, à savoir la relation entre les pouvoirs spirituel et temporel avec notre invité du jour, Christophe Levalois, historien, prêtre orthodoxe et auteur de l'essaiLa Royauté et le sacré (Le Cerf, 2016).

Mais le hasard fait quelquefois bien les choses, car la gifle d'un jeune Breton sur l'ancien premier ministre — et celle verbale reçue sur France Inter — en dit long sur l'état du politique aujourd'hui… et Christophe Levalois pourrait bien avoir une interprétation intéressante à l'esprit.

L'occasion de lier enseignements historiques et réalité politique était trop belle. Nous l'avons donc saisie. Ecoutez l'entretien :

Extraits :

Désacralisation du politique

« [La gifle portée à Manuel Valls] révèle un mal beaucoup profond. L'interprétation factuelle, c'est le fossé entre les Français et la classe politique. Il y a une déception, ce qui provoque soit de l'indifférence soit de la colère. A un niveau plus profond, c'est aussi le résultat de l'individualisme qui fragmente la société et qui se traduit par le relativisme — tout vaut tout et chacun a sa propre explication et sa propre manière de régler les choses. L'individu devient la norme et la pierre de touche de tout jugement. »

« Cela remet en cause la Res Publica, la chose publique, ce qui fait société. Et aujourd'hui ce qui fait société est problématique. Qu'est-ce qui nous lie les uns aux autres, si chacun prend les choses à sa manière et selon sa mesure ? Cet individualisme brise aussi le lien avec le sacré. Le lien avec le sacré faisait partie de la Res Publica. C'était la partie visible mais qui témoignait de l'invisible. Dans une société où le sacré est relégué à l'espace privé, tout ce qui peut être sacralisé n'existe plus. Ce simple geste est en cohérence avec l'évolution de la société. »

La royauté, lien avec le céleste

« Qu'est-ce qui est important aujourd'hui ? Pour une majorité des gens, gagner de l'argent, avoir une certaine renommée. Ça s'arrête là. Ce qui n'était pas le cas pendant des milliers d'années. D'autres principes, d'autres horizons animaient les sociétés. Les sociétés, jusqu'à une époque récente, ou dans certaines régions d'Afrique ou d'Asie, considéraient que l'idéal d'une société terrestre était d'être en harmonie avec le céleste qui était le véritable ordre et donnait un sens profond à l'existence des êtres humains. Celui qui dans le corps social faisait le lien, c'était le roi. Aujourd'hui, nous avons des royautés qui n'en ont plus que l'apparence, elles ne sont plus de véritables royautés, c'est-à-dire des liens entre la terre et le ciel. »

« Le roi est à la fois le centre et un sommet. Sommet si l'on considère l'axialité, au plus haut de la hiérarchie terrestre et au plus bas de la hiérarchie céleste, et centre car il met en relation. (…) Le souverain allie les fonctions spirituelles et temporelles — Charlemagne ou l'empire chrétien d'Orient. Ils prennent des décisions en matière théologique. Ils rassemblent des conciles — le concile de Nicée en 325 a été convoqué par l'Empereur Constantin. La séparation entre l'autorité spirituelle et le pouvoir temporel s'est opérée de façon très nette au deuxième millénaire avec la réforme grégorienne, à partir du XIème siècle, d'où les tensions au sein du Saint empire Romain au XIIème siècle ou dans le royaume de France à partir du XIVème siècle. Jusqu'au deuxième millénaire, le souverain est aussi un chef religieux. »

Le droit chemin

« Le mot roi vient des langues indo européennes. Il y a deux grandes racines : celle qui a donné le mot roi en Français, rex en latin ou raja en sanskrit : celle qui montre le droit chemin, ascendant, qui relie la terre au ciel. C'était rappelé lors des sacres des rois de France. On retrouve la deuxième dans l'Anglais king ou l'Allemand König qui est la même racine que dans le Grec genos et le latin gens: celui de bonne lignée — c'est la filiation qui est mise en avant. On le retrouve dans le français gentilhomme ou l'anglais gentleman ».

« Je ne vois pas pourquoi la royauté serait plus dangereuse que d'autres régimes. Nous avons eu au XXème bien des régimes malheureux et tragiques, et ce n'étaient pas des royautés. Elle correspond à une vision du monde. Bien au contraire, pendant des millénaires elle a été considérée comme le régime le plus normal et même le plus équilibré. La royauté n'est pas une tyrannie. Le tyran peut être dans une république, c'est celui qui gouverne pour lui. Le roi, le souverain, gouverne pour l'ensemble du peuple, pour le Bien commun. »

Une menace de chaos quand la société n'a plus de tête

« C'était conçu comme ça dans les sociétés anciennes. C'est d'une grande sagesse que nous devrions méditer aujourd'hui. S'il n'y a plus l'incarnation de ce lien, alors l'ensemble de la société a tendance à se disloquer, à se fragmenter. Comme on le voit aujourd'hui: fragmentation individualiste et communautariste — une société qui n'est plus organique apparaît. »

« Le roi est un rempart parce qu'il fait le lien. Ce qui est visible est le résultat d'orientations tout d'abord invisibles: par exemple, de nos têtes, de nos pensées. Il est en de même pour le spirituel. Le visible concrétise l'invisible. S'il y a une possibilité de faire évoluer les choses, c'est d'abord de s'attaquer à la racine du problème, à l'invisible des situations. »

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

Fil d’actu
0
Pour participer aux discussions, identifiez-vous ou créez-vous un compte
loader
Chat
Заголовок открываемого материала