17, ce n'est pas que le numéro à composer pour appeler la police. C'est aussi le nombre de policiers radicalisés qui auraient été recensés entre 2012 et 2015 pour la seule police de proximité d'Île-de-France. C'est l'un des nombreux éléments que l'on retrouve dans le livre de Christophe Dubois et Éric Pelletier « Où sont passés nos espions? Petits et grands secrets du renseignement français » (éd. Albin Michel), paru ce mercredi 11 janvier. Les deux auteurs mettent en exergue tant les failles et les rivalités des services français en matière de lutte antiterroriste, que la sous-estimation des capacités de nuisance et de projection de « Daech » de la part de l'Élysée, ou encore la sous-estimation du phénomène de radicalisation des jeunes Français de confession musulmane sur le territoire national.
« Les attentats des deux tours à New York et chez Charlie Hebdo à Paris, c'est comme dans les films américains et français: c'est une question de budget. » lâche « N. », en décembre 2014, sur son compte Facebook. À notre micro, Christophe Dubois, coauteur de l'ouvrage tient à relativiser:
« Cela n'en fait pas des terroristes, mais cela peut être les premiers signes d'une radicalisation qui va vers des choses beaucoup plus graves. On cite aussi l'exemple d'une fonctionnaire de police, qui sur les réseaux sociaux, a fait des appels violents qui notamment visaient l'Élysée. »
Christophe Dubois fait certainement référence au message d'une policière du XVIIe arrondissement de Paris, qui déclarait sur Facebook « […] si j'étais à la place des terroristes, cela ferait bien longtemps que j'aurais fait péter l'Élysée et tous les enc… qui y bossent ». Poursuivie en correctionnelle, elle écopera de 10 mois d'emprisonnement avec sursis et d'une interdiction d'exercer pendant deux ans.
D'autres, se livrent à des prières dans les commissariats, voire directement sur la voie publique, comme « B. », une autre jeune agent de surveillance, qui « après avoir étalé son manteau au sol […] se met à prier en pleine rue ». « B », qui 6 mois plus tard, refusera de s'associer à la minute de silence en hommage aux journalistes de Charlie Hebdo et de ses deux collègues tués dans l'attentat, expliquant qu'elle ne pouvait pas « rendre hommage à des gens qui insultent sa religion. »
« Les services régaliens de la France sont à l'image, aussi, de l'évolution de la radicalisation dans la société dans son ensemble. »
Un constat, cru, pourtant utilisé comme justification dans un contexte similaire. Celui où, en décembre 2015, 70 agents sur les 85 000 travaillant pour ADP (Aéroports de Paris) se virent retirer leurs badges d'accès aux zones les plus sensibles pour cause de radicalisation. On nous expliqua notamment qu'après tout, 1 200 des 10 000 fichés S vivent en Seine-Saint-Denis, le département où est situé Roissy-Charles de Gaulle.
Dans leur livre, les deux coauteurs dressent un profil-type de ces fonctionnaires exposés à ce phénomène de radicalisation: « Jeunes, entrés dans la police au milieu des années 2 000. Issus d'un concours interne, bon nombre d'entre eux étant d'anciens adjoints de sécurité, les emplois-jeunes de la police ». Ils soulignent par ailleurs que seule « la base policière » demeurait pour l'heure concernée par ce phénomène et tiennent à se montrer rassurants en insistant sur sa « marginalité ».
« On n'est pas face à une cinquième colonne qui infiltre les services de renseignement, mais on est face à un phénomène qui est maintenant regardé de manière très précise par les services, notamment la police des polices française », souligne Christophe Dubois.
En effet, l'IGPN semble consciente du risque que peuvent représenter des éléments radicalisés ainsi que de la vulnérabilité supplémentaire induite par les nouvelles méthodes de recrutement.
« À l'heure où les services diversifient leur recrutement (moins de policiers, plus de contractuels tels qu'analystes, linguistes, informaticiens, chercheurs…), le risque d'infiltration est pris au sérieux », soulignent les auteurs du livre.
Toujours en Allemagne, en avril 2016, les services du contre-espionnage militaire (MAD) rendaient public un rapport indiquant la possibilité que « Daech » ait infiltré l'armée allemande. Depuis 2007, le MAD aurait enquêté sur 320 soldats, 7 % d'entre eux seraient considérés comme « extrémistes ». Parmi ces 29 soldats, on retrouve aussi bien d'anciens sous-officiers partis au Moyen-Orient une fois leur service terminé que des individus renvoyés des rangs de la Bundeswehr (l'armée allemande) pour cause d'extrémisme religieux.
Plus près de nous, rappelons que la Grande Muette n'est pas épargnée. Le général Jean-François Hogard, directeur de la protection et de la sécurité de la Défense (DPSD), a affirmé devant le parlement qu'il suivait en priorité une « cinquantaine de dossiers de radicalisation » dans les rangs de l'armée.
Des infiltrations qui pourraient avoir des conséquences catastrophiques, si cela arrivait par exemple au sein du service de la protection (SDLP), ces policiers en charge de protéger des personnalités, des hommes politiques, voire des chefs d'État étrangers de passage. Comment ne pas penser à Andrei Karlov, ambassadeur russe en Turquie, abattu par un policier turc le 19 décembre dernier?
Dans des secteurs clefs de l'industrie française, on redouble de prudence. À EDF, qui gère les 19 centrales nucléaires du pays et leurs 58 réacteurs, les services de l'État réalisent 100 000 enquêtes administratives chaque année, tant auprès des salariés que des prestataires. Il faut dire qu'EDF n'a pas accès aux fameuses fiches S. Un ingénieur de la centrale de Flamanville, converti de fraîche date à l'Islam, avait attiré l'attention en novembre 2015, lorsqu'il fut révélé qu'il était surveillé de près par la DGSI.
Rappelons que la radicalisation ne touche pas que les ministères et les administrations telles que la RATP, les entreprises privées sont également en première ligne. Comme le souligne le livre, même Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, l'avait reconnu lors d'une interview aux Échos.
Notons toutefois que si les titres de presse ne semblent pas parvenir à s'accorder sur le nombre d'éléments radicalisés, avançant le nombre de 16 ou 17, c'est que le 17e n'est pas musulman, mais Juif. Estimant comme « une atteinte à sa liberté religieuse » d'avoir été muté le jour d'une fête juive et considérant que sa progression de carrière est « plus lente que celle de collègues de confession musulmane », ce dernier a assigné l'État réclamant 100 000 euros de dommages et intérêts.
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