Evocations sensibles, descriptions romantiques, récits de chasse, parodies de guide (il se moque des guides de voyage germaniques), contes amoureux, histoires horribles avec Pierre er Ivan, Dumas mêle le tout avec maestria et publie un livre de plus de mille pages sur cette merveilleuse Russie qui a inspiré aussi un splendide livre de Théophile Gautier, prince des voyageurs et roi des descripteurs. On ne peut que conseiller à nos lecteurs de lire quand ils voyageront ces récits vieux d'un siècle et demi (Gautier ou Dumas sur l'Espagne encore, Hugo bien sûr sur le Rhin): les monuments sont restés les mêmes, parfois même les paysages!
Je choisi pour évoquer ce splendide voyage de Dumas l'évocation littéraire et la découverte de Pouchkine, encore peu connu en Europe, alors qu'il symbolise via Eugène Oneguine ou les contes de Bielkin l'ouverture à l'Europe et même sa parodie. Car Pouchkine reproche aux riches russes de trop copier les anglo-saxons. Ils ne sont pas les seuls!
Dumas donc sur Pouchkine (chapitre 22):
« Puisque nous vous avons déjà deux ou trois fois cité des vers de Pouchkine, permettez que nous consacrions un chapitre à ce grand homme. Pouchkine, tué en 1837, populaire en Russie comme l'est Schiller en Allemagne, est à peine connu chez nous. »
Le 10 février 1837 mourait Alexandre #Pouchkine d'une blessure au ventre contractée lors d'un duel 2 jours plus tôt. pic.twitter.com/6kDqePEXYJ
— Stéphane Bergès (@Revizorsb) 10 февраля 2016 г.
Après cette présentation, Dumas se lance dans son idée. Il faut créer une littérature nationale et ensuite on devient une grande nation. Ce rôle de créateur fut échu à Pouchkine:
La littérature permet à un pays enfermé dans des légendes de devenir une grande nation historique. Dumas mesure les progrès en quelques années de cette fantastique Russie:
« Du règne de l'empereur Alexandre, date de sa liberté, datera probablement son histoire. »
Plus loin Dumas ajoute ces lignes grandioses:
« Ce jour-là, la Russie aura une histoire; jusqu'à présent, elle n'a que des légendes. »
On sait que notre génie avait un père noir qui fut un héros des guerres révolutionnaires et consulaires, avant d'être mis à l'écart par Bonaparte. Il est donc d'autant plus sensible aux origines africaines de Pouchkine qu'il va exposer ici sans trémolo inutile dans la plume:
La découverte de mes étoiles #pouchkine #mesetoilesnoires #LilianThuram pic.twitter.com/EOsRfybRkV
— Meilht (@black_mlht) 28 сентября 2015 г.
On imagine le gâchis humain par-delà le crime inexpiable de la traite. Mais on reste quand même avec Dumas et Pouchkine.
Puis Dumas rend hommage au tzar Alexandre (âme magnifique célébrée par Chateaubriand) qui pardonne au jeune poète une ode révolutionnaire:
« Nous avouons que c'est avec une certaine répugnance que nous traduisons cette ode: l'injure n'est ni dans notre talent ni dans notre caractère, et c'est autant pour faire connaître l'indulgence d'Alexandre que le génie de Pouchkine que nous la mettons sous les yeux de nos lecteurs. En effet, Pouchkine, qui faisait à un pauvre empereur, rendu à moitié fou par la solitude et les macérations, l'injustice de le traiter comme un tyran; Pouchkine, sous le règne du fils de celui dont il traînait le cadavre aux gémonies, ne fut ni arrêté, ni jugé, ni condamné; il lui fut enjoint de quitter Saint-Pétersbourg et de retourner chez son père. »
Pouchkine est exilé; cet exil va développer son génie.
Car rien ne vaut un bon exil au Caucase ou en Sibérie. Dostoïevski en parle dans ses très drôles Souvenirs de la Maison des morts:
« La Sibérie est un pays de béatitude… Le climat est excellent; les marchands sont riches et hospitaliers; les Européens aisés y sont nombreux. Quant aux jeunes filles, elles ressemblent à des roses fleuries; leur moralité est irréprochable. Le gibier court dans les rues et vient se jeter contre le chasseur. »
Dostoïevski c'est la génération d'après, lorsque la littérature russe dominera le monde des lettres, c'est-à-dire le monde.
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