Deux banques européennes encore sous le coup d’amendes américaines

© REUTERS / Kai PfaffenbachDeutsche Bank
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Le Crédit Suisse et la Deutsche Bank ont accepté de verser respectivement 5,28 et 7,2 milliards de dollars aux autorités américaines pour leur implication dans la crise des « Subprimes ». Deux exemples de plus de l’extraterritorialité du droit américain, un défi à l’indépendance de l’économie européenne.

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Les autorités américaines ne lâchent pas d'une semelle les banques européennes impliquées dans la crise des Subprimes. La deuxième banque helvète, à savoir le Crédit Suisse et le numéro Un allemand, la Deutsche Bank, vont devoir s'acquitter de respectivement 5,28 et 7,2 milliards de dollars. Des montants fixés suite à un accord trouvé entre les deux établissements et le Département de la Justice (DoJ) qui met fin à ses poursuites aux États-Unis contre les deux établissements.

De lourdes pénalités infligées par les autorités américaines à ces deux banques européennes pour avoir vendu sur la période 2005 — 2 007 des titres adossés à des prêts immobiliers, les fameux « subprimes ».

Malgré les apparences, pour Philippe Béchade, chroniqueur économique sur BFMTV et Président des Econoclastes, c'est la banque allemande qui s'en sortirait le mieux, il faut dire que le montant de l'amende pressentie pour la Deutsche Bank était deux fois plus élevé.

« La Deutsche Bank a été condamnée à verser le montant qu'elle était capable de verser, si elle avait eu 14 milliards devant elle, elle aurait pris 14 milliards. Donc la Justice américaine a voulu éviter de faire déposer le bilan à la Deutsche Bank, ce qui aurait pu avoir des conséquences cataclysmiques sur le secteur bancaire. »

7 milliards de dollars au lieu de 14, la levée d'une épée de Damoclès saluée par les marchés. Ce vendredi, à l'ouverture de la bourse de Francfort, le titre de la DB prenait près de 4 %. Il faut dire que le numéro un allemand du secteur traverse une bien mauvaise passe. L'établissement bancaire, en proie à une série de litiges (près de 8 000 dans le monde), avait provisionné 5,9 milliards d'euros fin septembre. Mauvaise surprise en revanche pour le Crédit Suisse, qui tablait sur une pénalité comprise entre 2 et 4 milliards au lieu de 5,3, un montant record pour un établissement helvétique.

Pour s'affranchir de cette somme et ainsi conserver un accès au marché américain et aux opérations libellées en dollars, le Crédit Suisse devra donc régler l'amende de 2,48 milliards de dollars auxquels s'ajoutent 2,8 milliards de dollars de dédommagements aux clients. Dans le cas de la Deutsche Bank, 3,1 milliards de dollars seront versés aux États-Unis au titre de l'amende seule et 4,1 milliards de dollars au titre des dédommagements aux clients de la banque, du moins aux clients américains.

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« Les clients ce sont généralement des institutionnels, ce sont eux qui ont acheté les tranches de subprimes packagées, les professionnels, mais ils pensaient faire une bonne affaire, ils pensaient avoir du rendement et pas de risques. »

Soulignons qu'en montant brut, les amendes infligées aux banques européennes sont comparables à celles dont ont écopé leurs consœurs américaines, par exemple 7 milliards pour Citigroup et JPMorgan.

Une extraterritorialité du droit américain qui interpelle

Une équité qui soulève néanmoins une question de fond: comment se fait-il que le DOJ puisse sanctionner des établissements européens? Des cas loin d'être isolés. Fin octobre 2015, alors que le Crédit Agricole — bientôt suivi par la Société Générale — était sanctionné par l'OFAC (Office of Foreign assets control), l'organisme responsable du respect des embargos et des sanctions américaines, nous avions interrogé l'économiste Hervé Juvin, président de l'Observatoire Eurogroup Consulting et auteur du livre « Le mur de l'Ouest n'est pas tombé » (Ed. Pierre Guillaume de Roux, 2 015) qui revenait sur les raisons de l'étendue du champ de compétences du procureur américain, un domaine qu'il considérait alors presque comme « universel »:

« En vertu de différentes règles et notamment de la convention de l'OCDE sur la lutte contre la corruption, juge qu'il peut poursuivre toute opération ayant utilisé soit le dollar, soit un hébergeur où un serveur américain, soit un quelconque moyen technique par exemple la puce d'un téléphone, un ordinateur portable ou quoi que ce soit d'américain pour poursuivre toute opération de corruption quel que soit le lieu où cette opération se soit déroulée. »

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Tous gardent en mémoire l'amende record essuyée par la BNP, condamnée en mai 2015 à payer 8,83 milliards de dollars, pour non-respect des embargos américains. Car au-delà des sanctions de la DoJ, liées aux « subprimes » — dont nous rappellerons tout de même que la crise était partie des États-Unis — les autorités américaines administrent également de sévères punitions aux établissements européens qui ne respectent pas les embargos décrétés unilatéralement par l'administration américaine.

Dans ce domaine particulier, c'est l'OFAC qui entre en scène. L'organisme de contrôle s'est lancé dans une véritable chasse aux sorcières pour débusquer les moindres contrevenants aux règles diplomatiques US. Elle force ainsi les entreprises et établissements bancaires européens à respecter les décisions de politique extérieure étasunienne sous ces mêmes peines de perdre l'accès aux marchés américains.

Dès le mois d'octobre 2015, la BNP était suivie du Crédit Agricole et bientôt celle de sa concurrente la Société Générale, qui écopaient chacune de 800 millions de dollars d'amende pour violation d'embargo. Dans le même cas de figure, nous pouvons également citer le néerlandais ING, qui avait dû s'acquitter de plus de 600 millions de dollars pour des financements en Iran, Birmanie, Soudan, Libye et Cuba, mais aussi le Crédit Suisse, qui a réglé une addition de plus de 530 millions de dollars pour des services fournis à des clients à Cuba, à la Libye et en Iran. Sans oublier l'allemande Commerzbank et la Britannique Standard Charttered qui ont eu également affaire à la justice américaine.

Parallèlement, les banques américaines, sanctionnées pour ce même motif, sont la JP Morgan Chase en 2011 et American Express en 2013, pour respectivement 88 millions et 5 millions de dollars. Un cas de figure sur lequel s'interrogeait déjà Hervé Juvin:

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« On peut s'interroger sur le deux-poids deux mesures, on peut s'interroger sur des opérations qui dans certains cas semblent s'apparenter à des opérations de racket, on peut surtout s'interroger sur quelque chose de plus grave: est-ce que le procureur américain ne dispose pas d'une arme de dissuasion massive pour détruire, réduire à l'impuissance ou pour déstabiliser tout concurrent international nuisible à l'intérêt national américain? »

Hervé Juvin qui se demandait si l'Europe comptait apporter une réponse à cette « colonisation juridique » américaine. Peut-on considérer les récentes prises de position de la Commission et de différents pays européens contre Apple, Google, Facebook et autres Amazon, comme un — timide — début de réponse? Pour Philippe Bechade, nous n'y sommes pas encore:

« Pour agir, il faudrait que tout le monde soit d'accord, et que tout le monde prenne le risque de faire front, mais les États-Unis sont parfaitement rodés dans l'exercice qui consiste à diviser les Européens, et puis il y a des moyens de pression. »

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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