Quand il a fallu trouver un successeur éventuel à Nikita Khrouchtchev les fonctionnaires du Parti communiste ont avancé la candidature de Léonid Brejnev, une figure qu'ils voyaient comme temporaire et de compromis. Obéissant, bienveillant et amical, il était le meilleur candidat aux yeux des différents courants opposés du parti. Son leadership a pourtant duré 18 ans, période pendant laquelle les États-Unis ont changé quatre fois de président.
Homme politique contradictoire et controversé, Brejnev a laissé de bons souvenirs chez ceux qui le connaissaient en personne. Il parlait de manière amicale avec ses confrères du Parti, tout comme avec les gardiens et les serviteurs de son appareil. Il aimait conduire vite et était passionné de hockey. Un jour qu'il n'avait pas eu le temps de regarder un match important à la télé, on l'a retransmis le lendemain à l'heure opportune pour le chef de l'État. Les joueurs de la sélection soviétique montaient d'habitude à la tribune de Brejnev lors des pauses.
Énergique et imposant au début de son règne, Brejnev s'est transformé peu à peu en vieillard impuissant, décoré de médailles comme un arbre de Noël. On considère souvent l'époque de Brejnev comme celle de la stagnation, mais ce mot s'applique plutôt à ses dernières années avec la guerre en Afghanistan, les slogans absurdes, des répressions contre les dissidents et une soif pénible de changement.
Les 18 années de sa présidence ont été les plus calmes et les plus stables sur le plan social: le pays développait activement le secteur du bâtiment (près de 50% du parc de logement soviétique) et l'infrastructure, ouvrait des universités, promouvait la science, faisait des découvertes médicales, développait les industries aérospatiales, automobile, pétrogazière, militaire, etc.
Brejnev était un partisan cohérent de la politique de détente. C'est à son époque que l'URSS a lancé un dégel avec les USA et signé les accords d'Helsinki en s'engageant — ne serait-ce que sur le papier — à protéger les droits de l'homme. En 1972 il a signé à Moscou des textes importants avec le président américain Richard Nixon, en 1973 il a lui-même visité les États-Unis puis, en 1975, il a été l'initiateur principal de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et de la signature des accords d'Helsinki.
D'un autre côté, Brejnev n'a pas hésité à réprimer la dissidence en URSS tout comme dans les pays du bloc soviétique, en Pologne, en Tchécoslovaquie et en Allemagne de l'est.
Dans les années 1970 les capacités défensives de l'URSS ont atteint un niveau si élevé que l'armée soviétique était en mesure de faire face à elle seule à toutes les forces réunies de l'Otan. Par ailleurs, elle était très respectée par les pays du "tiers monde" qui ne craignaient plus l'Alliance grâce à l'aide militaire soviétique qui contrebalançait la politique des puissances occidentales. Cependant, après s'être laissée entraîner dans la course aux armements dans les années 1980 — notamment pour faire face au programme américain de "guerres des étoiles" — l'Union soviétique s'est mise à dépenser des fonds trop importants pour les objectifs militaires au détriment des secteurs civils de son économie. Le pays faisait face à un manque aigu de biens de consommation et d'aliments, et les habitants des régions éloignées étaient obligés de se rendre régulièrement à Moscou pour y faire leurs courses.
Vers la fin des années 1970, on constate l'émergence d'une corruption massive à tous les niveaux de pouvoir. L'envoi des forces soviétiques en Afghanistan en 1980 a été une erreur majeure de la politique étrangère de Brejnev: le soutien au gouvernement afghan exigeait des ressources économiques et militaires considérables et l'URSS s'est retrouvée coincée dans la lutte de clans qui divisait la société afghane. Parallèlement, la santé de Brejnev s'est brusquement dégradée et il a plus d'une fois soulevé la question de sa démission, mais ses confrères du Bureau politique du Parti — notamment Mikhaïl Souslov —, qui se laissaient guider par leurs intérêts personnels et la volonté de garder le pouvoir, l'ont persuadé de ne pas partir à la retraite. Vers la fin des années 1980 il existait dans le pays un véritable culte de la personnalité de Brejnev, comparable à celui porté à Khrouchtchev. Entouré par les flatteries de ses collègues vieillissants, Brejnev est resté au pouvoir jusqu'à sa mort.
Homme assez naïf, il possédait une vraie sagesse populaire. Il était toujours bienveillant et avait donc l'air assez sympathique. Personnage récurrent de blagues, il s'inscrivait dans ces années 1970 contradictoires où les gens en avaient marre des fables sur le communisme et les avenirs qui chantent, et avaient envie de vivre normalement. Les citoyens vivaient comme ils pouvaient et Brejnev les dirigeait comme il savait.
Léonid Brejnev est mort le 10 novembre 1982 mais les débats sur son époque sont toujours vivants: les uns la considèrent comme une stagnation, les autres comme une période de stabilité. Et il semble que les deux parties ont raison.
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