A propos du lien Sade-Scorsese et du loup de Wall Street, le penseur Dany-Robert Dufour écrit :
« Son récit montre que les luxueuses propriétés bien gardées, les yachts, les hélicoptères, les jets privés, la valse des prostituées et les drogues faisaient partie de l'univers quotidien d'une partie non négligeable du monde de la haute finance où ce héros de Wall Street baignait, caractérisant selon lui jusqu'à 20% des acteurs-clefs de ce secteur. À lire ce récit, le nom de Sade vient à l'esprit, comme dans d'autres situations touchant directement ce qu'il convient d'appeler l'actuelle hyperbourgeoisie… »
C'était en 2007, avant la Crise. Rappelons-nous que le Dow Jones était alors beaucoup plus bas qu'aujourd'hui (14 000 contre 19 000), et que les indices boursiers ont presque triplé sous la présidence Obama, choisi pour répandre un peu de justice sociale. Le résultat, ce fut Trump, qui vient d'ailleurs de choisir Mnuchin de Goldman Sachs comme secrétaire au trésor. On croit rêver mais le propre du cauchemar par rapport au mauvais rêve c'est qu'il ne se termine jamais ; demandez à l'Inde soumise aux agents de Goldman Sachs et privée de son cash ce qu'elle en pense. Et préparez-vous à bientôt vivre les mêmes affres.
Promouvoir sexe et rébellion
Lisons Sade, sa philosophie dans le boudoir. Sur nos éternels préjugés qui frappent les personnes pas libérées, filles surtout:
« Mais qu'elle ne revienne plus sur les préjugés de son enfance, menaces, exhortations, devoirs, vertus, religion, conseils, qu'elle foule tout aux pieds, qu'elle rejette et méprise opiniâtrement tout ce qui ne tend qu'à la renchaîner, tout ce qui ne vise point, en un mot, à la livrer au sein de l'impudicité (p.44).»
« Jeunes filles trop longtemps contenues dans les liens absurdes et dangereux d'une vertu fantastique et d'une religion dégoûtante, imitez l'ardente Eugénie, détruisez, foulez aux pieds, avec autant de rapidité qu'elle, tous les préceptes ridicules inculqués par d'imbéciles parents (p.4). »
Sur la logique du viol — car on ne se refuse pas au conquérant quand on est naturelle :
« … Le premier mouvement de concupiscence qu'éprouve une jeune fille, est l'époque que la nature lui indique pour se prostituer, et sans aucune autre espèce de considération, elle doit céder dès que sa nature parle; elle en outrage les lois si elle résiste (p.163). »
Sur les destructions créatrices
Sur les destructions créatrices, prétendument venues de Schumpeter, sujet qui obsède les néo-libéraux:
« Ces vérités une fois admises, je demande si l'on pourra jamais avancer que la destruction soit un crime… La destruction étant une des premières lois de la nature, rien de ce qui détruit ne saurait être un crime (p.64). »
Sade encense aussi la guerre et la destruction de l'humanité, encore un sujet qui obsède nos élites. Sur nos bons « rebelles », nouveaux riches de la mondialisation qui défient les préjugés:
« …l'irréligion, l'impiété, l'inhumanité, le libertinage découlent des lèvres de Dolmancé, comme autrefois l'onction mystique, de celles du célèbre archevêque de Cambrai; c'est le plus profond séducteur, l'homme le plus corrompu, le plus dangereux… »
De la déchristianisation
Sur le révisionnisme antichrétien et antisémite, pire que celui de Voltaire :
… c'est dans le sein d'une putain juive; c'est au milieu d'une étable à cochons, que s'annonce le dieu qui vient sauver la terre; voilà la digne extraction qu'on lui prête; mais son honorable mission nous dédommagera-t-elle (p.35) »?
Exterminer les pauvres
Sur l'art de traiter le pauvre, spécialité de la mondialisation et du socialisme français :
« J'entends de toutes parts demander les moyens de supprimer la mendicité, et l'on fait pendant ce temps-là tout ce qu'on peut pour la multiplier. Voulez-vous ne pas avoir de mouches dans une chambre, n'y répandez pas de sucre pour les attirer. Voulez-vous ne pas avoir de pauvres en France, ne distribuez aucune aumône, et supprimez surtout vos maisons de charité : l'individu né dans l'infortune, se voyant alors privé de ces ressources dangereuses, emploiera tout le courage, tous les moyens qu'il aura reçus de la nature, pour se tirer de l'état où il est né, il ne vous importunera plus… (p.39) »
Pas la peine de parler à notre peu divin marquis de l'abolition des minima sociaux…
« …détruisez, renversez sans aucune pitié ces détestables maisons où vous avez l'effronterie de receler les fruits du libertinage de ce pauvre, cloaques épouvantables vomissant chaque jour dans la société un essaim dégoûtant de ces nouvelles créatures qui n'ont d'espoir que dans votre bourse; à quoi sert-il, je le demande, que l'on conserve de tels individus avec tant de soin? A-t-on peur que la France ne se dépeuple? Ah! n'ayons jamais cette crainte! Un des premiers vices de ce gouvernement consiste dans une population beaucoup trop nombreuse, et il s'en faut bien que de tels superflus soient des richesses pour l'État (p.39). »
La mondialisation néolibérale
« Là, tout le monde travaille, là, tout le monde est heureux, rien n'altère l'énergie du pauvre, et chacun y peut dire comme Néron: Quid est pauper (p.40) ? »
Sur la libération sexuelle et la libération de ces « préjugés » qui insupportent nos maîtres, le marquis est aussi très bon. On l'écoute:
« …brise le joug s'il veut t'asservir, plus d'une fille a agi de même avec son père. Fous, en un mot, fous, c'est pour cela que tu es mise au monde; aucunes bornes à tes plaisirs, que celles de tes forces ou de tes volontés; aucune exception de lieux, de temps et de personnes; toutes les heures, tous les endroits, tous les hommes doivent servir à tes voluptés… »
La guerre sociale perpétuelle
La barbarie sadique débouche sur la guerre libérale de tous contre tous, programme qui fait fureur actuellement :
« À la bonne heure, le plus fort seul aura raison. Eh bien! Voilà l'état primitif de guerre et de destruction perpétuelle pour lequel sa main nous créa, et dans lequel seul il lui est avantageux que nous soyons (p.83). »
Ailleurs le maître à penser du néolibéralisme libertaire ajoutera :
« La cruauté est dans la nature, nous naissons tous avec une dose de cruauté que la seule éducation modifie; mais l'éducation n'est pas dans la nature, elle nuit autant aux effets sacrés de la nature que la culture nuit aux arbres… la cruauté n'est autre chose que l'énergie de l'homme que la civilisation n'a point encore corrompue… »
« La fierté du républicain demande un peu de férocité; s'il s'amollit, son énergie se perd, il sera bientôt subjugué… une nation déjà vieille et corrompue, qui courageusement secouera le joug de son gouvernement monarchique pour en adopter un républicain, ne se maintiendra que par beaucoup de crimes (p.176) ».
Dans Justine ou les malheurs de la vertu, Sade encense « l'état de guerre perpétuel (p.45) ». Cette expression est celle qu'utilisera l'historien révisionniste américain Charles Beard, quand il parle du pentagone et de ses deux-cents guerres, qui attendent un jour d'être extatiquement couronnées par une paix perpétuelle ; on verra laquelle, mais on n'a aucune raison d'être optimiste !
Je ne vois rien dans Sade qui n'ait été littéralement repris par notre société néolibérale et cool. Le film prémonitoire du cinéaste marxiste Pier Paolo Pasolini sur les 120 jours de Sodome nous expliquait aussi à quelle sauce nous serions un jour mangés.
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