I. Fillon, « de l'ombre à la lumière »
Cinglant démenti des prévisions des médias, qui voyaient Alain Juppé comme futur président, pourfendant, tel un Saint-Georges, le dragon Front national en mai 2017.
Une victoire assurée par une campagne axée sur un programme de droite. Comme l'explique Jean Chiche, ingénieur de recherches CNRS au Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), « la droite, celle qui a été voter, s'est trouvé un champion », Fillon ayant marié avec succès l'image d'un réformateur libéral à celle d'un conservateur social.
À l'inverse, Alain Juppé a mené une « campagne de second tour », selon François Asselineau, ouverte au centre et au centre-gauche. Un soutien électoral de la Manif pour tous dont François Fillon a fait les frais durant l'entre-deux tours: présenté parfois comme un « archi-réac, ultra-libéral et pro-Poutine » (cf. la Une de l'Obs du 24 novembre), il s'est finalement vu adouber du titre envieux de favori à la course à l'Élysée.
"Le vrai Fillon" en couverture du nouveau numéro de l'Obs, dès demain en kiosque. Abonnez-vous >> https://t.co/6RVDViwf5U;) pic.twitter.com/58lObda77M
— L'Obs (@lobs) 23 ноября 2016 г.
Sur le papier, son plan paraît clair. À gauche, les candidats sont en déroute après un quinquennat socialiste calamiteux. Il ne reste qu'à la droite rassemblée sous les bannières de la famille, la nation et de l'économie de marché — soient ses valeurs traditionnelles enfin assumées — qu'à pousser le FN à délaisser ses places fortes pour venir combattre sur-le-champ économique, où il sera défait… tout aussi logiquement que devaient l'être les Anglais à Azincourt. Pour Jean Chiche, François Fillon mordra bien dans l'électorat du Front national:
II. Un FN plus fort que jamais: les médias et la politique de l'autruche
Cependant, de là à vendre la peau d'une bête politique telle que Marine Le Pen avant de l'avoir tuée serait aller vite en besogne. D'ailleurs, Jean Chiche tient à rester prudent: si François Fillon est bien en mesure d'arracher les électeurs frontistes les plus libéraux, les mesures libérales du programme de François Fillon pourraient en revanche apporter de l'eau au moulin du FN.
« Il va jeter dans les bras du Front national une grande partie des classes populaires et des classes moyennes, qui vont être effrayées par le programme ultra-libéral et conservateur de classe sociale qu'il propose. »
Un point sur lequel Jean Chiche surenchérit: « Il a obtenu un peu plus de 3 millions de voix dimanche, il lui en faut 9,5 pour être au second tour ». La base électorale de Fillon est-elle donc plus étroite qu'elle en a l'air? Nicolas Bay, eurodéputé Front national et Secrétaire général du parti, table sur ce facteur:
« C'est bien peu par rapport aux 45 millions de Français inscrits sur les listes électorales et ce qui était sa force à la primaire peut être sa faiblesse à la présidentielle, c'est-à-dire un électorat extrêmement circonscrit sur le plan sociologique: électorat de droite, plutôt aisé, plutôt âgé aussi suivant les enquêtes d'opinion. Or, l'enjeu de la présidentielle, c'est justement d'être capable de rassembler un électorat populaire. »
Comme le déclarait Nicolas Bay:
« François Fillon n'est pas un perdreau de l'année, il a participé en tant que ministre ou en tant Premier ministre à tous les gouvernements de droite depuis maintenant 25 ans. », ajoutant que « tout ce qu'il a fait va à l'inverse de ce qu'il prétend faire aujourd'hui. »
III. Les petits candidats souverainistes paieront-ils les pots cassés du choc Fillon/Marine Le Pen?
Là où peut certainement l'emporter François Fillon, c'est en phagocytant les électorats des partis à sa droite, souverainistes, comme les gaullistes de Debout la France, menés par Nicolas Dupont-Aignan. Si Damien Lempereur, délégué national DLF, pointe du doigt le programme économique de François Fillon qui propose « une purge qui serait inefficace, on l'a vu en Grèce avec les effets que l'on connaît » ou son bilan migratoire, pour Jean Chiche il fait peu de doute que les souverainistes vont « se faire manger la laine sur le dos »:
« On ne peut pas dire que François Fillon soit souverainiste, mais il est pour l'Europe des nations, contre une Europe fédérale. Il a dans son projet de ne laisser à Bruxelles qu'un rôle de protection des frontières, sans intervention dans chacun des pays. »
Un autre parti, l'UPR, donne toutefois du grain à moudre à la ligne anti-européenne quand son président, François Asselineau, révèle que le programme de François Fillon, c'est:
« Le programme du rapport des grandes orientations des politiques économiques, qui a été publié par la Commission européenne le 18 mai 2016 et qui a fixé quelle devait être la politique économique et sociale de la France pour les années 2016 et 2017. »
Il faut souligner cependant que les questions relatives à l'Europe ou à l'OTAN figurent aux abonnées absentes des questions posées par les journalistes jusqu'ici lors des débats, ce qui agace Damien Lempereur:
« C'est un piège, puisque François Fillon apparaît grâce à l'aide des médias comme un candidat qui serait en rupture et qui proposerait un programme différent de ce qu'on a connu. Or, monsieur Fillon, malheureusement a été Premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant 5 ans et surtout il a appliqué la politique atlantiste de monsieur Sarkozy durant la totalité de son mandat. »
IV. Quid d'une candidature sur son aile gauche? Les menaces Bayrou et Macron
François Fillon se retrouve donc dans la posture paradoxalement inconfortable du favori. Une place qui n'a pas toujours porté chance à ses prédécesseurs, Juppé en tête, mais aussi Jospin ou Balladur…
Cette fois-ci, le danger pour François Fillon ne pourrait-il pas venir de trop d'assurance de la droite de vaincre la gauche, qui n'a pas encore tenu ses primaires? Qu'adviendrait-il si François Bayrou déclarait finalement sa candidature ou si les sympathisants d'Alain Juppé se ralliaient à Emmanuel Macron? Une hypothèse à prendre au sérieux si l'on en croit les reportages filmés dans le QG du maire de Bordeaux le soir de sa défaite: la plupart de ses sympathisants ont déclaré qu'ils voteraient pour Macron ou Bayrou. Tout cela priverait de précieuses voix le camp des Républicains, sur sa gauche.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.