Fillon-Le Pen : chassé-croisé des valeurs à droite

Fillon-Le Pen : chassé-croisé des valeurs à droite
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Pour notre chroniqueur Edouard Chanot, une situation inédite vient d'apparaître : François Fillon a doublé le Front National sur sa droite. Un duel brutal va suivre.

Ça y est, la machine des sondages repart. Pour l'Institut Harris, si l'élection présidentielle avait lieu aujourd'hui, François Fillon remporterait le premier tour avec 26 % d'intentions de vote, contre 24 % pour Marine Le Pen, 13-14 % pour l'ex-ministre de l'Économie Emmanuel Macron, 13-15 % pour le candidat de la gauche Jean-Luc Mélenchon, et seulement 9 % pour le représentant du Parti socialiste, actuellement au pouvoir, que ce soit François Hollande ou Manuel Valls. Après avoir sous-estimé Fillon, les instituts de sondage le jugent-ils à sa juste valeur ou le surestiment-ils désormais ?

Pour l'instant, les résultats semblent plutôt cohérents au vu des circonstances politiques depuis quelques mois : la droite totalise la moitié des intentions, le centre 15 %, et le PS est totalement siphonné.

Au-delà de ces sondages, quelles leçons retenir ?

En effet, plusieurs leçons apparaissent, ou plutôt réapparaissent :

Tout d'abord, une élection se gagne à droite (ou à gauche pour les candidats socialistes) et Fillon l'a compris. Il n'existe pas de candidature centriste, même s'ils peuvent prétendre (et cela est très relatif) jouer les arbitres du 2nd tour. Pour remporter l'élection, il faut séduire la masse militante, qui n'est pas majoritairement composé de diplômés de grandes écoles, prompts à tout relativiser. Il faut avoir les idées claires et Fillon en a donné l'impression, contrairement à Juppé qui n'a cessé d'aller draguer l'électorat de gauche, de passer dans des médias (par exemple dans Les Inrocks) qui ne sont jamais lus par les électeurs de droite, et pire, qui s'en méfient.

Deuxième leçon, qui est la conséquence de la première : un candidat du parti dit de « droite de gouvernement » qui assume les valeurs dites traditionnellement « de droite » (pour faire simple: la famille, la nation, l'économie de marché) est le pire scénario pour le Front national. Ou, si vous préférez: François Fillon est devenu le pire cauchemar de Marine Le Pen. Fillon a raison quand il déclare (je cite) « faire barrage » à cette dernière.

J'en viens au troisième point: nous sommes arrivés à une situation assez inédite : pour l'instant, le candidat de la droite de gouvernement a doublé celui de la droite nationale… sur sa droite. Je dis semble, car c'est ainsi que l'opinion réagit pour l'instant. Quand on lit les déclarations de Fillon ou qu'on se penche sur ses écrits, c'est autre chose. On se rend aisément compte de son positionnement réel. Au hasard, une citation de son bouquin Vaincre le totalitarisme islamique : « Si certains ne savent pas ce qu'est l'identité française, nos assassins, eux, le savent: la liberté d'opinion, l'égalité des sexes, la fraternité entre tous, le droit de croire ou ne pas croire, le droit de rire, de s'aimer, de voter…  ». En substance : liberté, égalité, fraternité, bien sûr, mais « droit de rire » et de « s'aimer », ce qui est une vue d'un esprit progressiste. La posture de la revendication des droits est plutôt, philosophiquement et historiquement, une posture dite « de gauche ». Un conservateur évoquerait, en général davantage, des « devoirs ».

Tout cela pour poser une question, LA question de l'élection 2017 : le FN va-t-il redescendre sous la barre des 20 % ? La décennie d'efforts de Marine Le Pen, depuis la victoire de Sarko en 2007, pour revenir au cœur du débat public, a-t-elle été anéantie ? Ce sont les questions que se posent pas mal de frontistes. Marion Maréchal Le Pen, dépitée, déclarait après les résultats du premier tour : « ce sont surtout les vieux qui ont voté pour lui parce qu'il fait sérieux avec ses gros sourcils. », regrettant là le conformisme de l'électorat.

Comment la droite en est-elle arrivée là ?

Un savant mélange de ruptures et de nouvelles alliances ont mené à la situation présente :

Sans remonter trop loin dans le temps, nous pouvons prendre comme point de départ la ligne Philippot au sein du Front, qui devait conduire à une dédiabolisation du parti de Jean-Marie Le Pen, dédiabolisation qui a en partie fonctionné.
Fait étrange, le FN avait quand même été repoussé par la Manif pour Tous il y a quelques années (refusant par exemple de donner la parole aux élus du Front, ou de manière générale d'associer l'image de la Manif au Front National). Sociologiquement, la bourgeoisie de la manif pour tous était opposée au populisme du Front. Et puis, secret de polichinelle, de nombreux conseillers de Marine Le Pen sont des militants LGBT plus ou moins avérés qui avaient peu de sympathie pour La Manif pour Tous. Comme en témoignent le mépris affiché de Florian Philippot : pour qui l'abrogation de la loi Taubira a autant d'importance que « la culture du bonsaï ».
Une rupture a donc été instaurée. Et Sens Commun, mouvement issu de La Manif, a clairement été l'un des leviers de la victoire de Fillon.

A cela s'ajoutent bien sûr les dissensions sur les programmes, puisque Fillon a fait de « la libération de l'économie » sa priorité, plaidant par exemple pour 100 milliards d'euros d'économie en cinq ans sur la dépense publique, la fin de l'ISF ou encore 40 milliards de baisse de charges sur les entreprises et 10 sur les familles.

Comment le Front National va-t-il réagir ?

Le FN a depuis quelques jours compris la menace : voici les frontistes qui mènent la charge et soulignent les points sur l'identité (souveraineté et crise migratoire) où Fillon semble selon eux plus fragile (pour avoir par exemple déclaré qu'il accepterait des migrants s'il était aujourd'hui maire). Le FN semble donc effectuer un sursaut identitaire, ce qui aura sans doute pour effet de freiner la dédiabolisation opérée.
En définitive, nous allons assister à un duel intéressant et sans doute très brutal à droite : François contre Le Pen, Fillon contre Marine, c'est la droite catho-libérale contre la droite-nationale progressiste. Une espèce de chassé-croisé de valeurs de droite qu'aucun des deux candidats n'a en réalité entièrement rassemblées. Car ceux qui pensent que l'un ou l'autre représente une « révolution conservatrice » chimiquement pure ont tort.

Bon, et si vous n'avez pas tout à fait suivi cette analyse, alors permettez-moi de la reformuler : Fillon contre Marine, c'est la messe avant d'aller bosser chez KPMG dans une tour à la Défense contre la préférence nationale à la gay pride.

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