Norberg: une escroquerie libérale

NORBERG : UNE ESCROQUERIE LIBERALE
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Pour l’économiste Johan Norberg, le libéralisme et le progrès ont réussi et réussiront encore. Notre chroniqueur Édouard Chanot a décidé de s’attaquer à eux.

La couverture est jaune, jaune fluo, jaune stabilo. Une abscisse, une ordonnée, et le sourire béat d'un smiley — d'un émoticône, — le sourire béat du bonheur. Le livre est intitulé Progress, Ten Reasons To Look Into The Future, [Progrès, dix raisons de nous tourner vers le futur] et caracole en tête des ventes outre-Atlantique.

Le livre n'a pas encore été traduit, mais l'économiste qui en est l'auteur, le suédois Johan Norberg, se trouve en Une du Point. En grand, en large et dans un jaune plus ou moins identique, l'hebdomadaire traduit l'argument de l'économiste : « Non, ce n'était pas mieux avant. »

Ce livre de 300 pages, qui se lit comme un « PowerPoint », c'est le libéralisme qui défend son bilan. C'est le libéralisme qui se défend face aux attaques dont il est la cible depuis… depuis le début sans doute.

© Edouard Chanot
  - Sputnik Afrique

Une promesse émancipatrice

Le Point et Norberg revendiquent la subversivité. On pourrait s'en offusquer: le libéralisme est un reflet du confort et du conformisme, l'idéologie bourgeoise par excellence. Mais rappelez-vous : il fut un temps où il était révolutionnaire. Life, Liberty & property écrivait Locke; Life, Liberty & the pursuit of happiness disait Jefferson. Le libéralisme fit tout pour séduire, et parvint à la domination universelle vers 1990, après avoir défait ses adversaires fasciste et socialiste.

Mais depuis Jean-Jacques, la colère monte. Et maintenant, cette colère gronde. Les périphéries, le peuple des déclassés, se rebellent à travers le monde contre l'ouverture du monde. Ils auraient tort, selon Norberg: ils pensent moins bien vivre aujourd'hui qu'il y a trente ans et ils auraient tort. Ils auraient tort de ressentir « le ressentiment contre la mondialisation et l'économie moderne [des] populistes, aussi bien de droite que de gauche. »

Ainsi l'homo tragicus devrait-il enfiler, une bonne fois pour toutes, le complet gris/chemise blanche/cravate sombre de l'homo economicus : « la vérité est que les bons vieux jours ["The good old days"] étaient affreux » écrit notre économiste. « Le libéralisme a libéré le peuple des chaînes de l'hérédité, de l'autoritarisme et de la servilité », ajoute-t-il avec cet individualisme si prompt à rendre la famille, le commun et le devoir accessoires face à la promesse émancipatrice.

« Les libertés individuelles, une économie ouverte et le progrès technologique » garantiraient, selon notre économiste bien inspiré, le « progrès » — notez le glissement lexical, du « libre marché » à « l'économie ouverte ». En fait, cette réussite serait « le plus grand accomplissement de l'humanité. »

Une logique fallacieuse


Pourtant, l'argument pose problème. L'argument pose problème, car la logique est fallacieuse. L'argument repose en réalité sur une petite escroquerie : Norberg utilise, pour juger de la réussite du libéralisme, les critères du libéralisme. Des critères matérialistes, pour la plupart : l'argument alimentaire, sanitaire, de la durée de vie, de la pauvreté, de la violence, de l'environnement, de l'alphabétisation, de la liberté, et de l'égalité… on trouve dans cet essai jaune et souriant une flopée de données qualifiées d'objectives — seuls les chiffres et les nombres, les pourcentages et les statistiques lui semblent valables.

Mais que faire des nouveaux maux ? On pense à l'obésité bien sûr (qui touche 40 % des femmes américaines), mais aussi à la dépression, souvent liée à la productivité exigée des salariés, considérés comme les rouages d'une machine immense, et remplacés comme tels… L'individu sans chaînes est en fait un individu sans liens, sans soutiens. Et puis d'autres éléments ne peuvent être chiffrés… sans surprise, Norberg se révèle ethnocentré, désireux de voir le Vietnam ou l'Équateur basculer plus encore dans l'ordre capitaliste libéral — le libéralisme est une vision unilatérale du monde, dépourvue du moindre sens des pluralités.

Et l'être ?

Alors sans doute notre estomac se porte-t-il mieux, mais que dire, permettez-moi… de notre âme?

Le libéralisme se voulait créateur et Norberg minimise les destructions… dont pourtant la couverture de son bouquin est une parfaite illustration. Alors que certaines exigences matérielles sont des moyens nécessaires, bien sûr. Mais l'économiste fait de ce désir d'avoir le fondement et la fin de toute vision… et s'éloigne plus encore de l'être.

 

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