De quoi Manuel Valls parle-t-il quand il dit: « c'est un beau visage de la France »?
De quoi le Premier ministre parlait-il mardi matin sur France Inter, au micro de Patrick Cohen, quand il a dit « c'est un beau visage de la France »?
Allez, quelques indices, dénichés dans ce qu'il explique juste après: « une opération humanitaire qui est menée en tenant compte d'hommes et de femmes qui fuient la guerre, qui demandent l'asile, et qui est menée aussi avec fermeté. »
Bon là c'est clair, Manuel Valls parle de… « ce qui est en train de se passer à Calais »
On notera au passage l'emploi de l'anaphore par Monsieur Valls, poétique dès le matin, qui listait les différentes « fiertés » du gouvernement de François Hollande: « fierté », la baisse du chômage, « fierté », l'école, et entre les deux « fiertés », ce qui est en train de se passer à Calais.
Bien, bien, bien, intéressant choix de mots, « beau visage ».
Alors, ne soyez pas mesquins! Évidemment que par là, Manuel Valls ne parle pas du camp de la Lande en lui-même; camp de la lande que l'on appelle — encore un choix de mot à mettre en question peut-être — la « Jungle », camp de la Lande qui avait un visage de feux volontaires cette nuit, un visage boueux, un visage de files humaines, d'attente, un visage pas si fier que ça…
Et je vous arrête tout de suite, sans doute, le Premier ministre quand il parle de « beau visage » ne fait pas référence à la décision de MSF d'arrêter d'orienter les mineurs dont ils s'occupent vers les dispositifs prévus pour eux, en raison « d'une sélection au faciès » qui en aurait déjà exclu plus d'un tiers. Ce n'est pas de ces visages-là qu'il est question.
Pour moi, il semble évident que le beau visage en question c'est celui de la France solidaire, ce sont toutes ces petites taches de rousseur que la France s'offre avec autant de CAO: Centre d'accueil et d'orientation, pour accueillir et orienter donc, ceux qui quittent la Jungle, depuis lundi…
Et autour de chacun de ces CAO, il y en a des visages de villageois, de bénévoles et puis de ceux qui descendent de leur bus dans un endroit inconnu, où sans doute ils n'avaient jamais imaginé mettre le moindre pied. Par exemple à Saint-Bauzille-de-Putois, dans l'Hérault… Et à Saint-Bauzille-de-Putois, la préfecture de l'Hérault avait décidé qu'ils seraient 87 à venir s'installer dans les locaux du centre de pleine nature des Lutins cévenols…
Mais pour le maire de la ville, Michel Issert, « 87 migrants, c'est trop », c'est ce qu'on pouvait lire sur le site internet de la petite ville de 18,16 km2 et c'est ce qui a conduit à sa démission vendredi 21 au soir et à celle de tout son conseil municipal après lui. Parce que pour lui, pour eux, il s'agit d'une décision injuste et inégalitaire, qui a été prise par la préfecture sans concertation avec eux, qu'ils reçoivent dans leur village, 40 % de tous les évacués de Calais destinés au département et qu'on leur aurait annoncé comme ça, par un coup de fil, une semaine avant le démantèlement de la « jungle »…
Et « 87 c'est trop », il le dit deux fois, « 87, c'est trop » pour son « beau village », et pas beau visage. Beau village, c'est ce que Michel Issert a dit par trois fois au Grand Journal sur Canal +, lundi 24, où il venait s'expliquer avec son accent tout chaud du sud. Un beau village, dit-il, avec une forte tradition d'accueil.
Mais, comment ça, d'accueil? Son adjointe dans une très courte intervention — et je me dois de noter qu'elle a l'air vraiment désemparée — le dit: ce n'est pas par manque de solidarité, c'est qu'ils ont peur de ne pas savoir comment bien accueillir 87 personnes dans le beau village, loin des grandes villes…
Mais depuis, sur le site internet de Saint-Bauzille-de-Putois, on peut voir un communiqué, type fichier Word basique, je dirais, qui informe « tous les habitants du village », qu'un « accord avec des garanties a été trouvé avec les services préfectoraux ». Il n'y aura que 44 migrants à Saint-Bauzille-de-Putois, la moitié en somme, parce que 43,5, ce n'est pas possible. Autre décision prise « après d'âpres négociations » comme on peut le lire sur le communiqué dans sa version plus détaillée, le CAO fermera au plus tard en juin 2017, au lieu des 9 mois prévus initialement.
Et pour en savoir un peu plus sur comment s'organise l'accueil de 44 personnes dans la petite commune de Saint-Bauzille-de-Putois, nous avons appelé Élise G., qui vit là-bas, et qui a décidé de donner son temps au centre des Lutins cévenols, qui gère le tout nouveau CAO.
Et ça, la population le sait depuis moins d'un mois, mais en ce qui concerne la mairie et le préfet?
« Évidemment, il y a de la désinformation et de la rétention d'information, il y a un peu un combat pour savoir qui a dit quoi, quand. Ce qu'on sait, c'est que c'est une mesure qui a été décidée un peu dans l'urgence, ce qui fait que la population a été prévenue au dernier moment », laissant « un laps de temps très court » à la population de cette commune, « un mois pour accepter que de nouvelles personnes arrivent, avec toutes les peurs que ça peut véhiculer. »
Mais Élise le dira plus tard, ces peurs, exprimées de façon maladroite sans doute, sont liées à bien d'autres peurs, d'autres réalisations, celles notamment de la parole qu'on ne leur donne pas, celle du silence dans lequel ils vivent leur précarité.
D'ailleurs, ils sont nombreux à avoir décidé, bénévolement, d'aider les nouveaux arrivants, en proposant de nombreuses activités. Question qui semblait inquiéter la première adjointe au maire de la ville quand elle se demandait sur Canal + ce qu'ils allaient bien pouvoir faire toute la journée. Nous avons demandé à Élise si elle le savait, elle… Et Élise nous le dit, elle commence à avoir « quelques éléments de réponse ».
Comme dans tous les CAO, « ils auront [dans un premier temps] vocation à faire une demande d'asile », des démarches administratives très demandeuses en temps et pour lesquelles ils seront « encadrés par des travailleurs sociaux compétents ». « Dans un deuxième temps, comme beaucoup de bénévoles se sont proposés pour aider dans la vie quotidienne, beaucoup d'ateliers seront proposés », notamment « pour la traduction, pour l'apprentissage du Français, une initiation seulement, puisque leur temps d'accueil sera assez court ». Un temps variable au cas par cas et selon la nature des demandes. Beaucoup d'activités ont été proposées « en termes de partage de savoir, certaines familles ont proposé d'accueillir des personnes chez elles », mais tout déprendra bien sûr de ce dont les personnes qui arrivent ont besoin.
Élise nous apprend par ailleurs que le CAO de Saint-Bauzille est en lien avec celui de Montpellier, où on trouve aussi un CADA (Centre d'accueil de demandeurs d'asile). Les demandeurs d'asile seront donc « amenés à se déplacer » et Élise le dit: « finalement, ils vont peut-être avoir moins de temps que ce qu'on pensait, à ne rien faire. »
Et ce temps, il commence quand, on sait quand ils arrivent? Et là, Élise est claire: « Non », « c'est le secret le plus total »…
On ne sait pas s'il est vraiment beau, le visage qu'on vient de voir, celui de villageois qui ont peur, pas de l'autre en fait, mais de l'inconnu ajouté à l'incertitude précaire de leur propre vie, le tout habillé de silence, celui de négociations floues, celui, surtout, de gens dont on ne parle qu'en nombres, « 87, non la moitié ». Mais en regardant bien, moi, je vois de la lumière, de la lumière dans l'envie d'aider, dans la solidarité qui s'impose malgré les peurs, lumière dans la réponse d'Élise à la question « est-ce que 87 c'est trop »? Élise qui dit ne pas pouvoir dissocier la précarité du monde de la sienne ou de celle de ces voisins et est-ce qu'un visage lumineux ce n'est pas aussi important qu'un beau visage?