« Nous faisons appel aux grandes puissances et notamment aux cinq membres du Conseil de Sécurité, d'assumer leurs responsabilités et de mettre un terme aux agissements, à la politique irresponsable, de monsieur Erdogan […] Il entrave la lutte contre Daech » a déclaré Khaled Issa, Représentant du Rojava en France. Le Rojava, pour rappel, c'est le Kurdistan syrien. Des déclarations prononcées lors d'une conférence de presse destinée à attirer l'attention des membres permanents du Conseil de Sécurité sur la situation dans le nord de la Syrie. Également visés par cet appel, les membres de la coalition internationale anti-Daech, qui se réunissent aujourd'hui à Paris.
Un discours qui tranche avec celui prononcé par Ashton Carter, en visite dimanche 23 octobre dans le Kurdistan Irakien. Le secrétaire américain à la Défense a évoqué la nécessité d'une opération d'isolement de « Daech » à Raqqa, simultanément à l'opération militaire à Mossoul.
Mais pour Khaled Issa, les conditions pour cette opération autour de Raqqa ne seront pas réunies tant que Turcs seront présents dans la région. Pour lui, Ankara considère les combattants kurdes, les seuls à pouvoir éventuellement mener à bien cette opération, comme des terroristes à combattre, ce dont ils ne se privent d'ailleurs pas. De plus, il ne fait aucun doute pour lui qu'il existe des connivences entre Ankara et l'organisation terroriste:
« Les Turcs n'ont jamais rompu leurs contacts avec Daech qu'ils soutenaient, maintenant ils font semblant de se battre contre Daech. Dans chaque commune, lorsque l'armée turque et ses mercenaires — qui ne sont pas différents de Daech — arrivent, Daech leur livre sans aucun combat ou parfois avec des semblants de combats. »
De fait, pour le moment, les seules troupes sur lesquelles la coalition internationale puisse s'appuyer pour chasser « Daech » de Raqqa sont celles des Forces démocratiques syriennes (FDS), qui réunit les milices kurdes syriennes des Unités de protection du peuple (YPG) et plusieurs groupes armés sunnites. Mais ce groupe n'a pas la capacité opérationnelle de mener une telle offensive. D'où l'idée de les armer, avancée le 22 septembre par le général Joseph Dunford, le chef d'état-major interarmées américain qui a estimé « Si nous renforçons les capacités actuelles des FDS, cela augmentera les chances de succès à Raqqa ».
Problème, les turcs voient cette option d'un très mauvais œil: pour eux, les YPG sont considérés comme des terroristes, à l'instar des indépendantistes du PKK et refusent tout armement des Kurdes par la coalition internationale. Mevlut Cavusoglu, le ministre turc des Affaires étrangères n'avait pas manqué de réagir en qualifiant « d'inacceptable » ce projet.
Mais il est vrai que les actes tardent à venir, ce qui est d'autant plus étonnant pour Khaled Issa que la France avait été le premier état à se pencher sur le sort de Kobané, qui représente l'un des trois cantons du Kurdistan syrien.
La clef de la victoire contre Daech restera néanmoins de vraiment combattre cette organisation, insistent les Kurdes. Ils dénoncent la porosité des frontières turques et par conséquent la circulation de terroristes et de leurs approvisionnements entre la Syrie et la Turquie, une situation qui accentue la menace terroriste qui pèse au Moyen-Orient mais aussi en Europe:
«Si l'Etat Turc continue cette politique de complicité, de complaisance et de soutien à Daech, c'est un danger pour tout le monde, pas seulement pour Rojava et la Syrie!»
En guise d'illustration de ces dires, le représentant du Kurdistan syrien avance le nom de Manbij, cette localité par laquelle sont passés les auteurs des attentats de Paris (Novembre) et de Bruxelles (Mars), de l'aveu même de Brett McGurk, l'émissaire spécial du président américain auprès de la Coalition. Manbij, une ville à la frontière turco-syrienne, délivrée de « Daech » en août par les FDS. En conséquence, Khaled Issa appelle à la protection, au contrôle par une force internationale, des 70 kilomètres de la frontière turco-syrienne aujourd'hui sous contrôle exclusif de la Turquie.
« Regardez les zones qui sont contrôlées par les Forces Démocratiques Syriennes (FDS)! Ce sont des frontières hermétiques, il n'y a pas de passages de terroristes, alors que dans la zone contrôlée par la Turquie il y a dans les deux sens l'afflux et le ravitaillement des terroristes. »
Pour les officiels kurdes, l'intervention turque vise en effet à empêcher la fermeture de la frontière turco-syrienne afin de continuer à approvisionner le bastion de « Daech » à Raqqa. Il dénonce de plus les bombardements aériens ou les tirs d'artillerie longue portée des territoires repris par les FDS à l'organisation terroriste.
Les Turcs ont beau jeu de repousser ces accusations en soulignant qu'en Irak, ils soutiendraient l'offensive de la coalition anti-Daech, y compris dans ses composantes Kurdes. Ainsi, Yildirim Binali, Premier ministre turc, déclarait dimanche 23 octobre que les troupes turques avaient opéré des tirs d'artillerie depuis Bashiqa, en Irak, sur demande des Peshmergas, les forces kurdes locales.
#PMYıldırım: Turkish howitzers stationed in #Bashiqa camp near #Mosul pounded terrorist #Daesh positions upon Peshmerga's request. pic.twitter.com/QDJ0Ng2ZJp
— EuphratesShield (@EuphratesShield) 23 октября 2016 г.
Quant aux kurdes syriens, qui se sentent aujourd'hui abandonnés par leurs anciens alliés, ils se démarquent de bon nombre d'acteurs de cette guerre: à la fin du conflit leur projet est d'aller vers une fédéralisation de la Syrie — et non l'indépendance — une situation qui implique par conséquent un dialogue avec Damas, un dialogue avec Bachar al-Assad.
Même si ce dernier ne semble pour l'heure pas vraiment prêt à envisager un tel projet d'autogestion, cette position qui n'exclut pas forcément Assad de la négociation et qui parie sur l'intégrité de la Syrie ne doit pas les rendre très populaires auprès des acteurs qui ont misé sur la chute d'Assad et le démembrement de la Syrie.
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