Les relations entre Ankara et Bagdad s'enveniment et Washington tenterait de jouer aux arbitres. C'est ce qu'estime Aydin Selcen, ex-consul turc à Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Face à Daech, les représentants américains prônent une stratégie unifiée, à tel point que l'influence exercée sur Ankara a pu conduire les Turcs à maintenir leur présence militaire sur la base de Bashika, au grand dam des autorités irakiennes. Possible, même si la Turquie suit une voie bien à elle, selon Hosham Dawod, chercheur au CNRS, anthropologue et spécialiste de l'Irak.
Certainement Washington exerce-t-elle des pressions sur la Turquie, pour qu'elle s'intègre dans sa stratégie anti Daesh. Vous savez, il y a plus d'une nuance concernant cette réponse. Parce que la Turquie a sa propre ligne, qu'elle suit depuis des années. Quelquefois, elle était critiquée et présentée tantôt comme complice des djihadistes et tantôt comme leur ennemie. Néanmoins, il y a eu et il y a toujours des pressions sur la Turquie. Je crois que les Russes sont passés par là avant, quand il y avait des problèmes concernant la politique turque en Syrie. Les Américains ont encore quelques difficultés avec leurs alliés turcs.
L'ennui, c'est que les Turcs disent tantôt qu'ils sont au nord de l'Irak à la demande de l'ancien gouverneur de Mossoul, Athil al-Nujaifi. Peu de temps après, ils déclarent qu'ils sont à Bashika à la demande de Massoud Barzani, président toujours en fonction après avoir dépassé son mandat officiel à la tête du GRK au nord de l'Irak. Les autorités turques déclarent également que leurs forces se trouvent près de Mossoul à la demande des autorités fédérales irakiennes, « d'après un accord que nous ne voulons pas divulguer ». En vérité, il y a un manque de crédibilité. La vraie raison, c'est : tout le monde se positionne en vue de l'après Daesh et de ce qui va advenir de cette région après la libération de Mossoul. L'État turc a le droit d'être inquiet devant des questions importantes : Le PKK sera-t-il un peu plus fort ? Les Iraniens avanceront-ils un peu plus vers le nord de l'Irak, près de la frontière turque ? Cette évolution améliorera-t-elle la position des Kurdes en Syrie ? Mais l'erreur d'Ankara est qu'elle passe outre Bagdad et multiplie le nombre de ses adversaires dans la région. Force est de reconnaître que la politique turque est aujourd'hui plus que jamais isolée.
« La Turquie sent qu'elle est une force majeure dans la région et il faut le prendre en considération. Or, les Turcs pensent avoir été marginalisés par leurs alliés américains d'abord, russes et autres ensuite. Aujourd'hui, ils souhaitent rappeler de façon bruyante qu'ils sont concernés par ce qui se passe dans la région. Ils ne cessent de répéter : "Nous avons notre vision, nos intérêts". Il y a probablement un deuxième point important, c'est ce qui touche au comportement même du président turc Ergodan : beaucoup d'observateurs régionaux et internationaux, voire des décideurs politiques, trouvent qu'il est ombrageux, se laisse facilement emporter et manque de diplomatie dans une région suffisamment tendue et éclatée. Il suffit d'observer la place et la crédibilité du président turc dans la région dans le monde : il a peu d'alliés et son pays est presque encerclé par des adversaires. Et sa manière de parler avec le Premier ministre irakien, même si c'est un pays qui traverse des difficultés, n'est pas celle d'un chef d'État. »
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