20 h 10 chez la famille Meyer, Julien, 11 ans, finit ses devoirs d'histoire géo. Anne-Claire, sa mère, rentre à peine du boulot, elle a faim, elle ne se changera pas avant de diner. Éric, son mari, finit de préparer ses pâtes à la bolognaise, sa spécialité, ça sent bon la tomate et l'oignon, et là : toc toc toc…
Mais on n'attend personne ! Julien, qui commence à en avoir marre de lire des trucs sur les silex et autres outils préhistoriques, se lève pour ouvrir et là, un inconnu demande à voir ses parents… Il vient leur parler de Nicolas Sarkozy. Bah ça alors, pourquoi chez eux ? Éric a bien liké le dernier post de Nicolas Sarkozy sur Facebook, mais quand même…
Eh bien non Éric, il n'y a pas de « mais quand même ». Bienvenue dans la politique à l'ère du Big data et des algorithmes ultra performants. Bienvenue dans l'air des logiciels de gestion de contenus, bienvenue dans les campagnes connectées !
Et encore, la famille Meyer peut s'estimer heureuse, avant que la presse n'en parle, l'application knock-in utilisée pour la campagne de Nicolas Sarkozy ne se contentait pas de regrouper des données sur les potentiels électeurs, elle les cartographiait et rendait accessible à tous ses utilisateurs une carte où étaient indiquées les adresses des potentiels Sarkozystes… Et pour peu que tout le voisinage soit plus du genre Mélenchon, ça aurait pu faire moyen autour du taboulé et du mousseux à la fête des voisins en juin prochain… Il se trouve que le 2 septembre, la presse en a parlé et que depuis, cette carte qui marque d'un point gris les maisons déjà visitées par le porte-à-porte, et d'un point rouge les contacts à aller rencontrer, n'est plus accessible qu'à un nombre limité de personnes.
Et le créateur de l'application, Paul Hatte le disait dans une interview sur RMC il y a peu : « l'objectif n'est ni de faire peur ni d'inquiéter, mais vraiment d'aller apporter le message qui intéresse la personne quand on la rencontre. »
Rassurés ? Pas complètement, hein ?
Cette petite histoire soulève quand même la question de la vie privée et de la protection des données personnelles… D'autant que l'application knock-in n'est pas la seule du genre, on compte aussi Nation Builder qui vient tout droit des États-Unis, et qui elle aussi recense et aide à la gestion des données du type : âge, profession, centres d'intérêt, etc. Nation Builder utilisé par Alain Juppé et Jean-Luc Mélenchon, mais aussi par Donald Trump aux États-Unis, et qui, grâce aux données récoltées, envoie des messages ciblés à ses utilisateurs.
Et la CNIL, elle en dit quoi de tout ça ? Elle devrait établir une nouvelle recommandation très prochainement, qui viendraient compléter la norme établie en 2012 après les dernières élections, déjà placées sous le signe du digital. Cette norme autorise la collecte de données, mais n'en autorise pas l'exploitation dans un porte-à-porte ciblé par exemple, ou plus exactement interdit le démarchage sans accord préalable.
Cela dit, cette collecte de données, ce big data, cette idée que la moindre de nos cyber-actions est répertoriée et associée à toutes les autres pour créer un profil de l'utilisateur que nous sommes, n'est pas une idée nouvelle. En témoignent toutes ces publicités sur mesure qu'on reçoit sur nos murs digitaux. C'est le marketing moderne.
Ce que cette nouvelle forme de campagne met en lumière aussi, c'est donc l'aspect marketing de la politique, où on adapte le message à chacun pour acquérir un vote, où le candidat est un produit qu'on vend à l'électeur/utilisateur/consommateur. Une politique plutôt du genre consommation, et plus vraiment du genre conviction…
On notera au passage qu'on espère que les messages ciblés seront plus subtils ici en France que ceux qu'envoie Donald Trump, là-bas, en Amérique. J'en ai vu quelques-uns, je me permets de vous lire mon préféré : « Marie, do you want to make America great again ? » Suivi d'un bon gros YES en vert, et d'un tout aussi gros NO en rouge. Voilà, c'est tout.