On estime à un millier le nombre de bébés vendus au Québec dans les années 1940 à 1950. Harold Rosenberg, ancien photographe pour la police, est l'un de ces enfants: né d'une mère catholique, il est converti au judaïsme et vendu. Et il le prend plutôt bien: lorsqu'il apprend à 35 ans qu'il n'est ni l'enfant biologique de ses parents ni de la religion dans laquelle il a été élevé, il trouve cela « intéressant ». Assez mature et établi pour accepter la vérité, c'est aussi parce que « dans [sa] vie personnelle, la religion n'a pas eu une grande importance ». C'est pourtant elle qui a changé son destin.
« Je suis né à Montréal, apparemment… »
Le père adoptif d'Harold a fait appel à ce réseau très secret:« Il a trouvé une matchmaker, c'est-à-dire une dame qui arrange des mariages. Mais elle a fait une faveur à mon père et elle a trouvé un enfant pour lui, elle s'appelait Mme Baker. C'est le seul nom qu'on m'a donné ».
« Vous saviez que vous étiez adopté, n'est-ce pas ? »
Harold passe une enfance heureuse et insouciante au sein de la « middle class »:« Mes parents, Monsieur et Mme Rosenberg, demeuraient dans un quartier de la classe moyenne de Montréal. Mon père travaillait dans une usine de textile, ma mère aussi. J'étais enfant unique ».
À leur décès, un cousin trop bavard « lance l'information »: Harold est adopté. Sa femme l'incite à chercher la vérité, mais les langues peinent à se délier: « Votre mère ne voulait pas que vous sachiez. C'était le secret de la famille ». Patience: Harold a travaillé pour la police, il sait comment mener une enquête.
Après la guerre, le Québec vit ses années de « Grande Noirceur », une période où l'église et le pouvoir local se mêlent, sur fond de sordides intérêts économiques et dont les enfants sont les premières victimes. Le clergé est sans pitié envers les mères célibataires: elles n'ont d'autres choix que de placer les enfants à l'adoption. Retrouver ensuite sa mère, qui fuit l'opprobre de l'église et de la société, relève du miracle.
« Vos parents voulaient vraiment avoir un enfant »
« Cela a expliqué beaucoup de choses dans ma vie »
Boyko, le nom de famille est rare, les recherches s'accélèrent. Harold contacte une organisation, qui lui confirme qu'une Marie Boyko, âgée de 16 à 25 ans, a bien habité Montréal en 1949 et a épousé un certain Eugène Tremblay. Mais là, les espoirs d'Harold s'effondrent à nouveau, le nom est très commun, « Comme Smith aux États-Unis. Et toutes les femmes catholiques s'appelaient Marie. Donc, je me suis dit c'est impossible. J'ai une partie du puzzle, mais trouver une Marie Tremblay, c'est impossible. Je laisse tomber ».
« Il a commencé à pleurer au téléphone »
« Je suis né dans l'hôpital juif »
Harold Rosenberg apprend enfin presque toute la vérité. Sa mère l'a confié à l'adoption avant son mariage et il a un demi-frère en Ontario: Eugène Tremblay Junior. Heureux, ils se rencontrent et ensemble, ils finissent par parler de leurs enquêtes respectives. Mais quelque chose cloche: les lieux, les certificats de naissance… Les demi-frères découvrent alors qu'Harold n'est en fait que le deuxième enfant confié à l'adoption par la mère: « Elle a donné le premier enfant à l'adoption légale. Et elle a promis ne pas le faire une deuxième fois. Mais malheureusement, peut-être un an et demi après, elle est tombée enceinte de moi et n'était pas capable de le dire à la famille, alors elle a caché la naissance, peut-être qu'elle m'a donnée directement à ce réseau, ce marché noir des bébés à Montréal, un réseau fourni par les médecins. »
Ce réseau, qui aurait généré 3 000 000 $, est finalement démantelé en 1954. La presse révèle un trafic international, de Montréal à New York. De riches familles juives pouvaient acheter jusqu'à 10 000 $ des enfants qu'elles pensaient être juifs. Le trafic était géré clandestinement par une multitude d'intermédiaires: médecins, avocats, auxiliaires sociales, rabbins, passeurs… le nom de Mme Baker est révélé. Maintenant, Harold a une nouvelle mission: « Nous cherchons encore une troisième enfant, peut-être qui a un an ou un an et demi de plus que moi, qui a été donné à l'adoption légale au Québec. C'est la fin de l'histoire, nous en sommes là maintenant ».
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