Ses accomplissements suffiraient pourtant à plusieurs chefs d'État voulant laisser leur trace dans l'histoire: il a à son actif la création de l'industrie israélienne de la défense, la planification de la campagne de Suez de 1 956, le projet nucléaire israélien, la libération des otages israéliens à l'aéroport d'Entebbe en Ouganda, la lutte contre l'inflation au milieu des années 1 980, les accords de paix d'Oslo, la croissance des entreprises israéliennes de pointe dans les années 1 990 et 2 000…
« J'analyse chaque jour sévèrement mes actions. J'ai sans doute considéré beaucoup de choses de manière erronée et fait beaucoup d'erreurs. Mais il est impossible de vivre sans erreurs. Tout homme libre a droit à l'erreur », disait Shimon Peres. La liberté faisant partie de ses valeurs immuables.
C'est pour la liberté que le père de Szymon Perski, garçon de huit ans, a quitté en 1 931 la ville polonaise de Wiśniew pour partir en Palestine. C'est pour la liberté que Szymon, devenu Shimon, a fait des gestes qu'un homme ordinaire ou même un homme politique respectable pouvait considérer comme des aventures.
Mais Peres se rappelait très bien de la leçon qui lui avait été donnée alors qu'il était encore un simple militant de 16 ans par David Ben Gourion. Le futur fondateur de l'État hébreu conduisait le futur neuvième président israélien de Tel Aviv à Haïfa: "J'étais très nerveux avant le voyage. Je pensais que j'aurais deux heures pour lui parler mais quand nous sommes montés dans la voiture il s'est avéré que Ben Gourion avait même oublié mon nom. Nous roulions en silence. Ben Gourion était assis, le dos tourné vers moi, sans dire un mot. J'étais très déçu. Mais soudainement il a dit: « Trotski n'a pas été un véritable homme politique ». Je ne savais pas pourquoi il avait mentionné Trotski. Je voulais poursuivre la conversation et j'ai demandé: « Pourquoi? » Il a répondu: « Ni paix, ni guerre — c'est quoi ça?! C'est une invention juive. Un leader aurait dit qu'il fallait décider: soit prendre une risque et faire la guerre, soit obtenir la paix coûte que coûte. »
«J'ai alors eu l'idée de créer la Fondation de défense d'Israël, racontait Shimon Peres. Je me suis adressé à des Juifs riches dans le monde entier. Nous avons rapidement ramassé 40 millions de dollars — ce qui était la première contribution à la construction d'un réacteur. Nous avons recueilli au total 100 millions de dollars. Il s'agissait à l'époque d'une somme énorme, équivalente à 2 milliards de dollars actuels. »
Certains seraient sceptiques de voir un homme de 35 ans originaire d'une ville biélorusso-polonaise pouvant aussi facilement attirer des millions de dollars de la part de Juifs richissimes. D'autres pourraient considérer cet épisode comme une preuve de l'unité et de la puissance des « coulisses juives ».
Mais la vérité est que Peres a sans doute établi des connections lors de ses études à Harvard. A la fin des années 1940 Ben Gourion a envoyé son protégé aux États-Unis, comprenant sans doute que ce dernier n'allait se limiter aux fonctions formelles de représentant du ministère israélien de la Défense.
Seul obstacle: Peres ne parlait pas un seul mot d'anglais avant ses 26 ans, c'est-à-dire pratiquement jusqu'à son départ aux États-Unis. Pour obtenir un enseignement excellent et trouver des amis au sein des riches familles occidentales avec un bagage de connaissances aussi pauvre, il lui fallait donc suivre littérairement son principe: « Rêvez plus. Plus grand est votre rêve, plus importants seront vos accomplissements ».
Mais la vérité est que Peres a sans doute établi des connections lors de ses études à Harvard. A la fin des années 1940 Ben Gourion a envoyé son protégé aux États-Unis, comprenant sans doute que ce dernier n'allait se limiter aux fonctions formelles de représentant du ministère israélien de la Défense.
Cette formule n'est pas sans rappeler le slogan de mai 1968 « Soyez réalistes, demandez l'impossible. » Mais la comparaison s'arrête là: Peres suivait surtout les traditions des pères fondateurs de l'État hébreu, il était un révolutionnaire créatif et pas un révolutionnaire par excellence — qui rase tout l'édifice jusqu'à ses fondements sans réfléchir à l'avenir. Ce n'est pas par hasard qu'il aimait tellement citer Ben Gourion qui affirmait qu'on pouvait trouver des idées socialistes dans la Torah et les Nevi'im plutôt que dans les œuvres de Marx, de Lénine ou de Staline.
Quoi qu'il en soit, le moteur éternel de la création ne peut fonctionner sans combustible. "Nous pensions que nous avions de grands rêves mais aujourd'hui nous comprenons qu'ils n'étaient pas si grands", a reconnu Shimon Peres il y plus d'un an. Il est difficile de ne pas considérer cette phrase comme une tentative de repenser le sionisme.
Chaque personne qui a visité Israël comprend le caractère très hétérogène de ce pays où des véritables fossés mentaux séparent les quartiers ultraorthodoxes et les kibboutz, les "Russes" et les "Éthiopiens", les militants de gauche et les radicaux de droite. Tous ces groupes ont leur propre représentation très spéciale de ce que doit (ou ne doit pas) faire un Juif. Sans parler de leur attitude envers l'État hébreu voire la possibilité de son existence.
Dans ce contexte, un sionisme pur peut servir de fondement ou plutôt de ciment idéologique soutenant l'unité d'Israël. Mais en échange de quoi?
Compte tenu des intérêts de Peres ces dernières années, on peut dire qu'il considérait que l'issue se trouvait dans le domaine des technologies de pointe. Il voulait les transformer en nouvelle cause commune réunissant toutes ces couches très différentes de la société israélienne pour permettre à l'État hébreu de porter la lumière dont parle la Torah.
Naftali Bennett, ministre israélien de l'Éducation, a affirmé récemment, malgré son passé de créateur d'une entreprise informatique, que la Torah était "plus importante que les mathématiques". L'homme qui aurait pu expliquer à Bennett et à tous ceux qui veulent s'accrocher à leurs racines qu'"il faut suivre la science" et qu'"il n'y a pas ni futur, ni espoir dans le passé" est parti pour toujours. Et sa science tellement vantée est incapable de le faire revenir.
Tous ceux qui restent se sentent donc mal à l'aise. Et non seulement en Israël. Moins il existera de gens comme Shimon Peres, plus terrifiant il sera d'aller vers l'avant, plus de chances il y aura de sombrer dans un maelstrom païen d'archaïsme et de postmodernisme.
Mais il faut se rappeler des paroles du neuvième président israélien et les considérer comme son héritage: « L'imagination peut créer des images terrifiantes, elle exige que l'homme prenne un risque et quitte le monde connu ».