2001-2016: la Pax Americana n'a jamais autant été un oxymore. Pour mieux comprendre ces années dramatiques, nous nous sommes entretenus avec Jacques Charmelot, le réalisateur du reportage remarqué « Irak, une véritable imposture ».
Vétéran chevronné, Jacques Charmelot est journaliste depuis près de 40 ans. Il a couvert l'Afrique, les Balkans mais aussi et surtout le Moyen-Orient. Le point de départ de son analyse des dernières années réside dans l'interventionnisme du gouvernement américain, fondé sur des mensonges avérés. Des mensonges mais aussi des intérêts: « l'intervention était certainement une erreur pour le peuple irakien, certainement une erreur pour la cohésion d'une nation qui s'appelle l'Irak, certainement pour les américains qui ont laissé leurs vies en Irak, certainement pas pour ceux qui y ont trouvé leur intérêt. Sur les 3 ou 5000 milliards de dollars dépensés, quelqu'un en a certainement profité ».
Ainsi Charmelot cible-t-il particulièrement les néoconservateurs: « c'est un groupe d'idéologues qui se trouvent au cœur du pouvoir américain depuis la fin de la guerre froide. Ils considèrent qu'avec l'élimination de leur grand rival, les USA sont devenus la première et l'unique puissance mondiale, et que cette puissance doit être utilisée de façon efficace pour défendre les intérêts des Etats-Unis à travers le monde ». Pour notre invité, l'alliance de la contre-prolifération de la lutte contre le terrorisme a été la cause d'une guerre permanente: « Cette philosophie de domination a été traduite dans la politique structurelle de l'Etat américain, par exemple en décidant que la prolifération était le grand ennemi de l'Amérique: dès 1991 le mot clé de la politique américaine est « prolifération ».
Les Etats-Unis décident de combattre les pays qui diffusent la technologie que sont les missiles ou la technologie nucléaire. Et dans ce cas, on entre en confrontation ennemi avec l'Irak ou encore l'Iran. A partir de 2001 s'ajoute à cette contre-prolifération la lutte contre le terrorisme. Les deux choses mises ensemble créent les conditions nécessaires aux Néoconservateurs pour embarquer leur pays dans une guerre permanente. » Naturellement, celle-ci est soumise à des aléas complexes et pour le moins difficiles à contrôler: « Il est beaucoup plus difficile de se débarrasser d'une structure d'Etat comme en Syrie que dans un dictateur vieillissant comme Ben Ali ou Moubarak ou du fameux colonel Kadhafi, à qui on a fait la cour puis n'était plus dans les petits papiers de l'Occident. (…) on déclenche des guerres, c'est facile, pour les finir c'est plus compliqué, surtout quand s'agrègent des groupuscules qui deviennent des alliés et qu'on ne sait plus contrôler ».
Charmelot pense toutefois qu'« On peut pas dire que l'Occident a créé l'Etat islamique. C'est l'aboutissement du phénomène de l'islam politique qui devient un élément de rébellion. Ça a commencé avec 1979, avec l'invasion de l'Afghanistan, avec la prise au pouvoir de la Mecque par des éléments fanatiques en Arabie Saoudite, avec un accord de paix séparé entre l'Egypte et Israël, qui créé les conditions d'aujourd'hui: un lent développement d'un islam armé. Bien entendu, l'intervention en Irak a favorisé la création d'une frange de combattants extrémistes qui s'appelle aujourd'hui l'EI, Al-Qaida hier — la dynamique est la même ».
Ainsi Charmelot souligne-t-il avec réalisme qu'« elle sera longtemps encore protagoniste du jeu géopolitique au Moyen-Orient ».