Avant nous n'avions pas de bases, mais nous avions des garnisons. Et voici ce qu'en disait un spécialiste, le Marquis de Sade: « il est assurément peu de plus mauvaises écoles que celles des garnisons, peu où un jeune homme corrompe plus tôt et son ton et ses mœurs »
Les centaines de bases correspondent au projet rooseveltien de construire après la Guerre une Pax americana appuyée sur un colossal réseau de bases US chargées de contrôler et de paramétrer l'humanité de la Fin de l'Histoire. Et le Général de Gaulle décrit l'émergence de ce réseau que Roosevelt lui conte avec force détails. On est en 1942 et le messianique Mr President est en veine de confidences (Mémoires de guerre, tome deux, Plon, p.238):
« Mais, passant d'un extrême à l'autre, c'est un système permanent d'intervention qu'il entend instituer de par la loi internationale (…) Mais, à moins de livrer à la discrétion des trois autres la quasi-totalité de la terre, une telle organisation devra, suivant lui, impliquer l'installation de la force américaine sur des bases réparties dans toutes les régions du monde et dont certaines seront choisies en territoire français.»
De Gaulle ajoute avec inquiétude:
« Le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'appui offert par Washington, l'existence des bases américaines, vont susciter, en Afrique, en Asie, en Australasie, des souverainetés nouvelles qui accroîtront le nombre des obligés des États-Unis.»
La pax americana est la fin de la liberté des peuples. C'est la servitude de Tocqueville, le despotisme mou. Le Général ajoute que l'Europe devient secondaire dans le discours de Roosevelt. Elle devra se soumettre et se démettre.
« Dans une pareille perspective, les questions propres à l'Europe, notamment le sort de l'Allemagne, le destin des États de la Vistule, du Danube, des Balkans, l'avenir de l'Italie, lui font l'effet d'être accessoires. »
L'idée d'une destruction partielle ou totale de l'Europe semble de plus en plus réjouir les endiablés du pentagone. N'est-ce pas le général Petraeus qui parlait d'une destruction nucléaire de Varsovie comme ça, en passant, récemment? Dommage collatéral, un de plus dans l'histoire militaire US, qu'on créditera aux russes! On peut imaginer que pour une Clinton la destruction de l'Europe permettrait (hypothèse Tétreau en 2010) aux agents américains de balancer ce qui reste de fonds européens en Amérique, et tout cela ne serait pas cher payé pour un anéantissement de la Russie.
Je crois que c'est ce vers quoi nous nous dirigeons, avec la complicité des élites hostiles imposées en Europe par nos maîtres, avec aussi l'indifférence suffocante de la masse des peuples préoccupés par autre chose: le foot, le people, l'enivrante télé-poubelle, pour parler comme l'historien Stanley Payne à propos de l'Espagne.
Mais parlons des bases proprement dites.
Les universitaires américains comme Joseph Gerson ou Catherine Lutz ont rappelé les conséquences méphitiques des bases américaines. Spécialiste, comme Chalmers Johnson, de la base d'Okinawa, Gerson souligne les méfaits de cette base. Elle pose des problèmes de santé, de diététique (obésité), de sexualité, de sécurité.
Does Okinawa need another U.S. military base? pic.twitter.com/juF2y9OMkR
— misuzu sakurai (@misuzusakurai1) 13 сентября 2016 г.
Car les bases US sont aussi là pour américaniser le monde, à coups de golf, basket, sex-shops, magasins, bars, cafés, showrooms. Les bases sont un butin de guerre, un indice de soumission en fait. Voici ce que Catherine Lutz écrit sur les bases dans un anglais très clair:
« While the bases are literally barracks and weapons depots and staging areas for war-making and ship repair facilities and golf courses and basketball courts, they are also political claims, spoils of war, arms sales showrooms, toxic industrial sites, laboratories for cultural (mis)communication, and collections of customers for local bars, shops, and prostitution. »
J'aime citer en anglais car il est temps que le Français se rappelle que l'anglais de l'élite n'est que du français (du normand) simplifié.
Joseph Gerson écrit (cette fois je traduis):
«Aujourd'hui, les abus et usurpations comprennent la saisie des terres des personnes, la destruction de biens et l'impérialisme culturel qui ont accompagné les armées étrangères depuis des temps immémoriaux. »
Il évoque le problème de la nuisance environnementale:
«Ils comprennent maintenant le souffle des réacteurs à faible altitude, les fréquents atterrissages de nuit, les exercices des hélicoptères et des avions de combat, l'empoisonnement de l'environnement et des communautés avec des substances toxiques militaires. »
M. Gerson souligne la modification du régime alimentaire à l'époque où l'obésité fait un ravage planétaire, et pousse à une diminution de la durée de vie. Le hamburger, les chips, les barres Mars et le bacon remplacent les légumes et le poisson frais. Pour être honnête je dirai ici que l'on n'a pas eu besoin de bases militaires pour américaniser les populations! La puissante matrice US, qui repose sur la télé, le cinéma, la pharmacie et l'industrie alimentaire a fait le reste toute seule. Lisez à ce propos le livre remarquable du journaliste britannique Michael Moss. Si l'on devait expliquer en une formule le secret du succès américain sur des populations modernes dégénérées et déconnectées de leurs racines culturelles et religieuses, on dirait: dopamine. La dopamine est cette hormone qui organise vite la débâcle du cerveau, qui réclame toujours plus de calories et de crapulerie chimique. Au niveau des images il en est de même: on recherche la satisfaction immédiate par une sorte d'infantilisation intellectuelle qui évoque la similaire infantilisation alimentaire.
Clint Eastwood, qui ne soutient pas Donald Trump pour rien, et qui incarne cette Amérique traditionnelle et libre que nous aimions, peut-être un peu mythique d'ailleurs, l'a dit un jour lors d'une interview sur son drôle de film Space cowboys: on veut se goinfrer d'images. Comme Barroso déjà bien gras veut se goinfrer de dollars… Le développement de CNN et des chaînes info a aussi des origines militaires. On impose cette propagande en continu à des foules aussi hébétées que les prisonniers de la caverne de Platon (voyez mon article à ce sujet sur Dedefensa.org). L'individu gobe-tout est en manque rapide, il ne peut plus éteindre sa chaîne télé, il ne peut plus mettre fin à son enchaînement. Thoreau l'avait pourtant prévénu dans Walden.
Je terminerai avec Nick Turse sur Tomdispatch.com. Il montre comment le pentagone contamine toute la vie culturelle, gastronomique et même ludique de la planète. On constatera alors que mes sources sont presque toutes américaines. Après tout c'est un pays libre…
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Références
Sade-Aline et Valcour
De Gaulle — Mémoires de guerre, tome 2
Joseph Gerson — The sun nevers sets
Catherine Lutz, The bases of empire
Tomdispatch.com
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