"Kollektsia!", qu'est-ce que c'est? Rien de moins qu'un ensemble unique en Europe de plus de 250 œuvres et une centaine de "documents conceptualistes", retraçant l'art contemporain soviétique et russe de la fin des années 50 aux années 2000. Un vernissage très couru a lancé l'exposition au Centre Pompidou ce mardi 13 septembre et le commun des mortels pourra arpenter les 1.200 m² d'exposition dès mercredi.
L'exposition ne prétend pas à l'exhaustivité, mais souhaite donner un aperçu global de toute cette dynamique de la seconde moitié du XXe siècle. Pas question de se cantonner à une époque ou un mouvement en particulier. Nicolas Liucci-Goutnikov, conservateur au Musée national d'art moderne, souhaite par ce rassemblement d'œuvres, permettre "à cet art soviétique et russe d'avoir la reconnaissance internationale qui lui revient indéniablement". Il a travaillé plus d'un an sur ce projet qu'il détaille à notre micro:
"Avec cette donation, on a voulu raisonner en termes de grands ensembles. On n'a pas voulu acheter une œuvre par artiste, mais constituer un ensemble de quatre ou cinq œuvres notamment pour les artistes +non conformistes+. Cette idée de recréer un contexte historique au travers de grands ensembles permet de rendre justice aux œuvres et de permettre une compréhension plus juste, plus pertinente, de leur extraordinaire valeur."
Donner un effet d'ensemble, une cohésion historique entre ces artistes issus de différents mouvements, voilà qui n'est pas si simple. Il faut en effet trouver des œuvres d'horizon divers, mais surtout toujours disponibles à l'acquisition. Bernard Blistène, le directeur du Centre Pompidou, a tenu à relever ce côté "non formaté pour être des œuvres du marché" pour reprendre ses propres mots. Nous sommes 28 ans après la première vente aux enchères organisée par Sotheby's à Moscou, une vente qui a donné une valeur à ces œuvres issues d'un art qui était jusque-là non officiel…
La période phare demeure celle des années 70, avec la naissance de deux mouvements qui ont enrichi les décennies qui s'en sont suivie et plus particulièrement les années de la Perestroïka: avec l'École conceptualiste de Moscou et bien sûr le "Sot art" — vous savez, c'est ce détournement de la propagande soviétique, que l'on retrouve dans toutes ces déco made in URSS un peu kitch — un art qui reprend les codes du "pop art".
À l'occasion de cette exposition un nom revient, celui de Vladimir Potanin, le milliardaire russe, insistons sur le mot "LE", car il est selon le dernier classement Forbes l'homme le plus riche de Russie avec un capital confortable de 15 milliards de dollars. Vladimir Potanin, donc, et sa fondation, vise à encourager le développement de la philanthropie en Russie.
Une chose importante à préciser cependant, c'est que si la fondation Vladimir Potanin s'est portée acquéreur d'une bonne moitié des œuvres de la collection, afin de les reverser au musée parisien, ce n'est pas le seul contributeur: ils sont près de 40 donateurs — que ce soient les artistes eux-mêmes ou leurs familles, des collectionneurs ou des musées —, à avoir offert à Beaubourg l'autre moitié des œuvres de la collection aujourd'hui exposées. Un point sur lequel insiste tout particulièrement Bernard Blistène, directeur du Musée national d'art moderne du Centre Pompidou:
"Rien ne se serait fait si Vladimir Potanin — qui fait partie de ces très grands philanthropes, comme Bill Gates, qui ont décidé de consacrer une grande partie de leur fortune à des actions culturelles, de charité, qui forment une sorte de club — n'avait pas donné son accord pour que nous puissions acquérir pour le musée quantité de ces œuvres. Mais il y a eu un effet d'entraînement et d'autres familles, comme les Semenikhin, que nous avons rencontrées, des familles d'artistes, la famille Prigov, Tsukanov… tous ces gens-là nous ont dit +on va faire partie de ce projet+ et on a construit en une année cet ensemble absolument considérable que j'espère pouvoir développer. Car comme vous le savez, le propre d'une collection, c'est d'être en mouvement."
"Il y a clairement un manque de connaissance de l'art contemporain russe. L'art et l'histoire russes sont généralement connus du grand public en Occident mais uniquement la période classique, du XIXe siècle notamment, mais dès qu'il s'agit de la Russie moderne, ce sont les stéréotypes qui en ressortent, surtout concernant la seconde moitié du XXe siècle, à l'époque où l'art russe ne s'exportait pas beaucoup. Les personnes extérieures à la Russie ne connaissaient aucun artiste russe, ni ce qui se passait dans le pays et cette culture est une façon tout à fait unique d'expliquer une partie très importante de notre histoire. Ici, nous n'avons pas juste un artiste, ou un courant, nous avons plusieurs courants qui créent un dialogue."
Parmi toutes ces œuvres, on retrouve ainsi le "Ministère des Affaires étrangères" de Valery Koshlyakov, don du Musée de l'impressionnisme russe, à Moscou, ou encore Le "Buste dans le style de Rastrelli" de Boris Orlov (1996, don de Vladimir et Ekaterina Semenikhin). Ce buste en bronze parsemé de médailles staliniennes n'est pas sans rappeler le goût quasi obsessionnel pour les décorations qu'entretenait dans les années 70 un pouvoir brejnévien gérontocratique.
Il y a aussi cette Jeanne d'Arc, de Pavel Pepperstein, un artiste russe bien vivant, lui, que l'on retrouve dans tous les flyers, une toile "atypique", mais en même temps si "typique" de l'exposition: sur son destrier aux très grands sabots, la pucelle d'Orléans apparaît dans un paysage lunaire coiffée de son auréole bleue et drapée d'une cape vert de jade, empoignant sa bannière, un… fanion japonais.
Bref, que vous soyez un inconditionnel ou simplement un curieux de l'art soviétique ou du monde russe en général, n'hésitez pas à visiter Kollektsia. Car si la culture russe — et la Russie — sont particulièrement méconnus, que dire de l'art contemporain russe et soviétique? Indubitablement, l'exposition vous ouvrira une fenêtre sur un monde riche et fascinant.
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