Espace Schengen, opération portes ouvertes? Sur une vidéo publiée sur son compte Twitter, un français se filme à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle en train de passer la frontière. Un acte en apparence anodin, si ce n'est que cet homme revient de Syrie! En moins d'une minute, montre en main, muni de son seul passeport biométrique — et d'un doigt — il rentre dans l'espace Schengen, le tout sans avoir rencontré un seul agent de la PAF (la Police de l'Air et des Frontières) qui aurait pu lui poser ne serait-ce qu'une ou deux questions sur son séjour dans ces contrées en guerre.
Je rentre de #Syrie. En arrivant à Roissy, aucun interrogatoire. Je rentre dans #Schengen en 3 minutes. Hallucinant. pic.twitter.com/Kgp7iP9sIt
— Damien Rieu (@DamienRieu) 20 августа 2016 г.
Alors, rassurez-vous, ce Français n'est pas l'un de ces nombreux "volontaires" ayant pris un aller simple pour Raqqa ou Mossoul, histoire de muscler un peu son CV de djihadiste. Damien Rieu, Directeur adjoint de la communication de la mairie (FN) de Beaucaire, intervient en territoire syrien sous contrôle gouvernemental dans le cadre de missions humanitaires mandatées par SOS Chrétiens d'Orient:
"Ça fait trois, quatre ans que je me rends en Syrie dans le cadre d'actions humanitaires, puisque je participe à l'association humanitaire SOS Chrétiens d'Orient. Là, j'accompagnais le directeur en tournée d'inspection des différents projets en cours en Syrie gouvernementale."
"Effectivement, je suis un petit peu surpris, à chaque fois que je vais en Syrie, de ne jamais avoir été interrogé ni contrôlé lorsque je rentre en France. Alors effectivement, ce n'est pas un vol direct Damas — Paris, on passe par Beyrouth ou par l'Algérie, mais ça ne change pas grand-chose: au Liban, il y a Al-Nosra, des partisans de Daech et la frontière est poreuse avec la Syrie. […] Cette fois-ci, j'ai filmé: on passe les portiques de contrôle sans aucun interrogatoire, sans rentrer en relation avec un policier si l'on choisit les portiques biométriques."
Si Damien Rieu tient à mettre en exergue des "failles très graves" notamment dans un contexte d'état d'urgence où l'on ne cesse de nous répéter que les mesures de sécurité sont renforcées, pour Gérald Arboit —directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (Cf2R), spécialiste des services de renseignement français et européens — les services français seraient bien au courant de ces départs de personnes qui se rendent en Syrie dans ce contexte:
"Tous ceux qui sont sortis — puisqu'on sait qui est sorti — ceux-là sont attendus au retour. Mais quelqu'un qui va faire du tourisme, bien que je ne comprenne pas qu'on aille faire du tourisme en ce moment, mais prenons les exemples des archéologues qui doivent inspecter Palmyre ou des humanitaires, tous ces gens-là, on sait qui ils sont, on a leur identité, leur photo et autre, donc quand ils vont rentrer ils prendront la file Schengen sans contrôle excessif. Mais en même temps pourquoi est-ce qu'eux subiraient un contrôle excessif simplement parce qu'ils viennent d'un territoire qui n'est pas en paix comme le reste de l'Europe?"
Une réponse que remet en cause Damien Rieu. Pour lui, la Syrie n'est justement pas un territoire en guerre comme les autres et les autorités se doivent de s'intéresser au parcours de toute personne s'étant rendue dans ces contrées inhospitalières.
"Des failles sur le système technique et des failles je dirais de renseignement, car lorsqu'on arrive dans un aéroport, on n'est pas questionné sur l'endroit d'où l'on vient. On est en état d'urgence, on est dans une situation de guerre et c'est totalement ahurissant: quoi qu'on ait fait en Syrie, que ce soit pour de l'humanitaire ou pour tout l'inverse, il faut au moins que la police vérifie, contrôle, pose quelques questions sur le parcours qui a été réalisé dans un pays aussi dangereux."
Pour Gérald Arboit, ils existent bien d'autres failles exploitables par les djihadistes sur le chemin du retour, des failles offertes par Schengen:
Le 19 juillet dernier, Manuel Valls avait tenu à rappeler sur son compte Twitter que dans le cadre de l'état d'urgence, en vigueur depuis novembre 2015 suite aux attentats qui ont ensanglanté Paris — 77 individus considérés comme "potentiellement dangereux" ont été assignés à résidence. "une réponse puissante contre le terrorisme" qui a "démontré son utilité". Une semaine plus tard, l'un des deux assassins du père Hamel était un individu fiché +S+ pour radicalisation islamique, l'autre portait un bracelet électronique suite à une mise en examen pour association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste.
L'#étatdurgence, c'est une réponse puissante contre le terrorisme. Depuis novembre 2015, il a démontré son utilité. pic.twitter.com/tDnLN8qcts
— Manuel Valls (@manuelvalls) 19 июля 2016 г.
Charlie Hebdo et le Bataclan à Paris, la promenade des Anglais à Nice, l'église de Saint-Étienne-du-Rouvray non loin de Rouen: des atrocités commises par des individus dont la plupart ne sont jamais partis en Syrie. Ils n'étaient donc pas aguerris comme ces 2.000 ressortissants français aujourd'hui éparpillés entre les territoires syriens et irakiens de Daech. Des ressortissants qui vont bien finir par rentrer chez eux et qu'il faudra bien intercepter. Ce n'est pas gagné: portails biométriques ou voies détournées, les moyens de franchir les frontières loin du regard des douaniers ne manquent hélas pas.
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