Or, le problème est que, qu'il s'agisse de Whatsapp ou de Viber, ils appartiennent à de gros groupes et sont donc déjà épurés de toute menace terroriste, explique Gérald Arboit, directeur de recherches au sein du Centre français de recherches sur le renseignement, dans un entretien à Sputnik.
"Reste Telegram, qui a été fondé par deux frères libertarians russes. Donc on joue sur un effet d'annonce parce que les frères Durov, on dit que de toute manière ils ne toucheraient à rien. Cela dit, ils ont déjà supprimé des messages. Mais plus on supprime, plus il y en a d'autres qui réapparaissent. Les frères Durov sont sur le même problème que les autres en termes d'effacement ou de déréférencement, ça se recrée ailleurs".
Ensuite, on a les sites du style Tor ou I2P. Là il faut voir avec les vendeurs d'accès Internet, parce que le propre de ces réseaux-là, c'est qu'on ne peut pas vraiment les contrôler, poursuit M. Arboit.
Quand on met sur écoute ce genre de services informatiques, on le fait avant tout pour mettre en place les algorithmes qui vont, avec une série de listes de mots, intercepter les messages en révélant l'identifiant de l'émetteur et l'identifiant du récepteur. Et puis?
"Ensuite l'algorithme va travailler tout seul c'est-à-dire que si se répètent des messages entre les mêmes personnes, avec les mêmes messages ou les mêmes mots employés, on va les mettre sur écoute, on va les enregistrer du moins, et quand on aura suffisamment d'enregistrements, on va écouter", précise-t-il.
C'est là où l'oreille humaine va entrer en ligne de compte. Aujourd'hui on a tellement démultiplié le nombre d'écoutes, de tout et de n'importe quoi, aussi bien de téléphones portables que de moyens informatiques, qu'il est difficile de tout traiter. On commande une écoute à un jour donné, puis on en commande une autre trois jours après.
"Donc il y a un embouteillage de données et ni les algorithmes, ni les personnels ne réussissent à suivre parce qu'il y a trop de choses dans trop de directions", déplore M. Arboit.
Quant au chiffrement, il n'y voit pas de problèmes. Pendant la guerre froide, par exemple, il était clair que tout chiffrement privé était primo interdit, et secundo, s'il n'était pas interdit c'est qu'il avait été déposé au service du chiffre des services de renseignement de chaque Etat.
"Je ne vois pas pourquoi une mesure qui était en cours pendant la guerre froide aurait disparu après la guerre froide. Il est clair que de toute manière les chiffres sont à chaque fois modifiés, modernisés, etc. mais dites-vous qu'en face quand vous prenez un système comme la NSA ou quand vous regardez le GCHQ (Service de renseignements électronique du Royaume-Uni, ndlr), ils ont des moyens, s'ils veulent les mettre, humains et techniques, de briser tous les codes, de toute manière ils ont été créés pour ça, c'est leur boulot", résume-t-il.
Pour le journaliste et spécialiste des questions liées au cybercrime et à la sécurité informatique Damien Bancal, le plan européen qui est proposé par le ministre de l'Intérieur n'est en rien une nouveauté. Les Américains en parlaient il y a déjà de nombreuse années. Dans les années 90, il y avait déjà un logiciel qui s'appelait PGP qui chiffrait des informations, par exemple les mails.
L'initiative actuelle s'apparente donc plutôt à une ruse pour relancer le débat en l'espèce, mais est-ce qu'elle sera efficace?
"C'est un moyen de faire parler de cette technologie et de se dire: est-ce qu'on va réussir à convaincre les entreprises qui proposent ce genre d'outils — on a parlé de Telegram mais il y a une dizaine d'autres outils qui permettent de faire la messagerie et de chiffrer les messages — de faire plier ces entreprises", signale M. Bancal. "Je vais être très honnête, ça va être compliqué de dire aux Russes de Telegram: nous sommes le ministère de l'Intérieur français, merci de faire en sorte qu'on puisse accéder aux messages chiffrés de vos utilisateurs."
Pourquoi les Etats sont-ils impuissants face à ce problème? D'abord parce qu'un éditeur, c'est une société privée, elle fait ce qu'elle veut, explique l'interlocuteur de Sputnik. Cette société propose des outils qui permettent de sécuriser ses utilisateurs face à un espionnage, un piratage.
"Avec mon blog depuis 25 ans je traite du piratage informatique. Le fait de se dire qu'on va amoindrir des logiciels, en tout cas des systèmes de sécurité pour je ne sais quelle cybersurveillance, c'est surtout la porte ouverte à des pirates qui une fois qu'ils seront au courant, vont se jeter sur la brèche", raconte-t-il.
Enfin, le fait que Daech utilise un satellite, rien de plus simple, mais de mettre la main sur un satellite alors que les satellites sont quand-même placés sous la coupe des Etats… Faut-il se rappeler Al-Qaida et Ben Laden, quand on nous disait qu'il utilisait des satellites pour communiquer, rappelle M. Bancal.
"Je pense que les gens qui ont décidé d'être malveillants et de communiquer dans des modes secrets auront toujours les possibilités d'avoir malheureusement ce train d'avance. Maintenant dire aux autorités Internet, aux créateurs de logiciels: +donnez-nous un coup de main, on a besoin d'aide+, ce n'est malheureusement pas la solution. Par contre que des groupes comme Facebook, Twitter et autres disent: +on va vous aider dans cette lutte en bloquant les messages ou en tentant de vous aider à remonter jusqu'aux gens qui diffusent des monstruosités+, je trouve ça tout à fait normal", conclut-il.