Samedi, le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve a lancé un nouvel appel aux volontaires ("Français patriotes", selon ses termes) pour qu'ils rejoignent la réserve opérationnelle qui compte aujourd'hui 9.000 gendarmes et 3.000 policiers. L'objectif de l'appel? "Faire monter en puissance la capacité maximale de cette ressource dans les tout prochains jours".
Parallèlement, il existe un rapport encourageant le développement de la réserve militaire. Ses auteurs espèrent faire de la réserve une véritable "Garde nationale" qui pourrait défendre efficacement le territoire. Le rapport a été présenté le 13 juillet, à la veille de l'attentat de Nice, précise l'un de ses auteurs, Jean-Marie Bockel, sénateur du Haut-Rhin.
"Le rapport est sorti évidemment avant les événements, mais on peut dire que d'une certaine manière la ligne directrice du rapport c'était ce risque de nouveaux attentats, de troubles que cela peut entraîner. Oui, c'est vrai qu'on a eu, malheureusement, cette intuition dans notre travail", a déclaré M. Bockel dans un entretien à Sputnik.
Suite aux événements survenus à Nice, la question de la garde nationale devient de plus en plus aigüe. Le terme de "garde nationale" existe en France depuis la Révolution française et aujourd'hui dans tous les pays: aux États-Unis depuis très longtemps, en Russie depuis quelque temps. Or, la garde nationale française que proposent les sénateurs est une nouvelle appellation pour désigner la réserve militaire, explique M. Bockel.
"La réserve militaire existe depuis longtemps en France, et elle a beaucoup diminué après la suppression du service militaire. Et aujourd'hui, depuis quelques années déjà, on se pose la question de lui redonner toute sa force au sein de nos armées".
"Il est normal que le ministre de l'Intérieur veuille renforcer une réserve de la gendarmerie et même de la police, qui est aujourd'hui un peu anecdotique. Il a raison de le faire. Mais ce n'est pas la réponse à la totalité de la question qui nous est posée", répond-t-il lorsqu'on lui demande de commenter l'appel de M. Cazeneuve. "Ça veut dire que nous aurons simplement, par rapport au risque d'attentats, une gendarmerie qui, avec une réserve plus importante mobilisée complètement, aura quelques moyens supplémentaires. C'est une très bonne chose".
Quant à la garde nationale, c'est autre chose. C'est l'armée française, avec sa réserve, qui va pouvoir, en plus de disposer des moyens de la gendarmerie, mieux couvrir le territoire national. La gendarmerie, elle, doit faire le travail de sécurité au quotidien, au même titre que la police, qui œuvre pour sa part dans les secteurs urbains. Mais quand on a affaire à des troubles graves, c'est à l'armée qu'on fait appel.
Aujourd'hui, on ne pourrait pas faire appel à l'armée dans des conditions suffisantes et de manière durable parce que les effectifs ne sont plus au rendez-vous et qu'il y a des régions entières où il n'y a plus d'armée. Donc, renforcer la gendarmerie et la police avec des réservistes, très bien, mais ce n'est pas suffisant, poursuit M. Bockel.
"Il faut une réserve militaire de la défense nationale de l'armée française, et c'est ça la garde nationale. C'est une idée que j'emprunte au président de la République puisqu'il est le premier à avoir parlé de la garde nationale après les attentats du mois de novembre".
Pour Thomas Guénolé, politologue français, l'appel de Bernard Cazeneuve reste purement politicien. Proposer de rétablir une garde nationale est un artifice de communication, estime-t-il.
"Lutter contre le terrorisme, c'est un travail de professionnels. On va demander à n'importe quel passant s'il peut s'engager dans la garde nationale afin de lutter contre le terrorisme? Ce n'est pas sérieux. Faire appel à une fibre patriotique: engagez-vous et rengagez-vous? Mais d'abord, il y a déjà quelque chose qui existe en la matière, ça s'appelle la réserve unitaire. Donc, c'est de l'habillage par rapport à un dispositif qui existe déjà".
"Je pense aux ramassages de fonds qui peuvent avoir lieu au Qatar, en Arabie saoudite ou au Koweït", précise-t-il, partageant l'opinion du sénateur Bockel concernant la nécessité de la réserve professionnelle et soulignant d'ailleurs le côté financier de l'affaire.
Mais de toute façon il y a un autre problème, plus profond et plus grave, sur le plan sécuritaire: la totalité des services de police et des services de renseignement souffrent d'un problème de politique d'austérité budgétaire en matière de ressources humaines, en particulier. Ce qui les conduit à des aberrations. Par exemple, le temps passé par le policier, en moyenne, dans des tâches purement administratives, qui est particulièrement élevé, relève M. Guénolé.
Dès maintenant, les médias relaient des histoires de recrues qui renforceront les effectifs après avoir suivi quelque trois semaines de formation d'officier de réserve de gendarmerie dispensée par l'École des officiers de la gendarmerie nationale. Or, trois semaines d'entraînement, est-ce une période suffisante pour faire face à des terroristes décidés à mourir et qui s'entraînent pour cela pendant des mois et des mois?
Alexandre Vautravers, du Geneva Centre for Security Policy, pointe surtout l'absence de coordination entre les deux douzaines de mesures proposées par le gouvernement depuis plus d'un an dans sa lutte contre le terrorisme. D'après lui, l'État français est prêt à mettre tous les moyens financiers et humains en sa possession pour poursuivre et accroître la lutte, mais une meilleure coordination s'imposerait. De toute façon, résume l'expert, les nouvelles recrues seront affectées aux tâches administratives, pour "libérer" les personnels d'active afin de leur permettre d'aller sur le terrain.