Hooligans anglais, russes et racailles, le trio perdant de Marseille

© AFP 2024 Anne-Christine PoujoulatHooligans anglais, russes et racailles, le trio perdant de Marseille
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Scènes de guérilla urbaines à Marseille samedi soir en marge du match Angleterre – Russie. 35 blessés, dont quatre graves. En cause, les bagarres entre hooligans anglais, russes… et voyous marseillais des quartiers nord. Le témoignage exclusif de deux hooligans français permet à Sputnik d’éclairer ces incidents de l’intérieur.

L'Euro 2016 a démarré en fanfare, mais pas vraiment d'un point de vue sportif. Lors du week-end du 11 et 12 juin, les centres-ville de Marseille et de Nice ont été le théâtre de violents affrontements entre hooligans en marge du match Angleterre-Russie. Dans un mauvais remake du match Angleterre-Tunisie de 1998, les habitants de la cité phocéenne et les téléspectateurs ont pu découvrir des scènes de bagarre généralisée dans le vieux port, avec un bilan lourd: après trois jours d'affrontements, outre les dégâts importants, près de 35 blessés, dont quatre graves, sont à déplorer.

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Des violences qui ont provoqué la réaction de l'UEFA — Union des associations européennes de football — qui a purement et simplement menacé de disqualifier les équipes d'Angleterre et de Russie si de tels évènements se reproduisaient durant la compétition. De leur côté, les autorités britanniques ont tout fait pour minimiser le rôle joué par les Anglais et accuser les Russes, un mouvement, assez suivi dans la presse nationale; observez bien, par exemple dans le journal l'Équipe, que si l'on y parle de "hooligans" russes, on évoque des "supporters" anglais…

Les Anglais, qui sont pourtant bien à l'origine du mot "hooligan" et de ses codes de violence, ce qui attise d'ailleurs l'agressivité des groupes rivaux, comme nous l'explique "Antoine", qui lui-même fait partie de la "culture hooligan" depuis une vingtaine d'années:

"Par exemple s'il y a une bagarre avec les Anglais, c'est parce qu'ils ont une réputation de bagarreurs. On préfère s'en prendre aux Anglais plutôt qu'aux Suédois qui ne sont pas trop dans le milieu: le fait de se battre avec les Anglais… si on arrive à les battre, c'est une victoire."

Pourtant, de son propre aveu, les Anglais ne sont plus l'icône du hooliganisme comme ils le furent un temps: ceux qui sont à craindre aujourd'hui viennent des pays de l'Est. Le hooliganisme anglais avait acquis sa réputation dans le milieu d'une manière particulièrement tragique — le drame du Heysel, survenu un 29 mai 1985 à Bruxelles, est encore dans toutes les mémoires. Lors de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions, opposant Liverpool à la Juventus, sous le poids des supporters italo-belges fuyant une centaine de hooligans britanniques ayant pris d'assaut leur tribune, les grilles de séparation ainsi qu'un muret s'effondrèrent. Bilan: 39 morts et 454 blessés.

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Aujourd'hui, ce seraient, à en croire certains commentateurs, des Russes — surentraînés et à l'organisation quasi militaire — qui seraient allés au contact, en quelque sorte, d'hooligans anglais "à la retraite" — ou tout simplement "sur alcoolisés" — un avis qui semble en partie partagé par "Antoine":

"Ils ont une réputation qui n'est plus adaptée au mouvement hooligan actuel, ça s'est vu avec les Russes: ce sont des hooligans +à la pays de l'Est, on les a vus habillés de la même manière, arrivés très organisés, ils font des actions très rapides: ils sont toujours groupés, ils cognent et ils s'en vont, et pourtant ils ne sont qu'une poignée par rapport à ce qu'il y a en face. Alors que les Anglais sont plutôt des mecs qui picolent toute la journée dans des bars, et à cause de l'alcool, ça part en bagarre, mais ce n'est pas eux qui viennent à l'affrontement réel, en fait."

Mais les Anglais compensent par le nombre: si les hooligans endurcis ne représentent qu'un noyau dur, tout supporter anglais semble d'après notre intervenant susceptible de se joindre à l'affrontement. Pour lui, "le noyau dur, c'est tous les Anglais":

"Les Anglais c'est typique: ils ont un noyau de hooligans qui va être dans le bar, entouré de plein de personnes qui ne le sont pas, et suivant la provocation des mecs en face il se peut qu'ils le deviennent. C'est un état d'esprit qu'ils ont, de 50 hooligans ils passent au stade de +on va aller se battre parce qu'on est Anglais".

"Tous ceux qui sont dans le bar, deux jours avant le match en train de picoler, ils sont là pour faire la fête, mais si ça peut cogner, ils sont les premiers contents — il faut être clair et net, ça fait des mois et des mois qu'on dialogue avec eux sur internet, ils n'attendent que ça…. Et puis ça fait partie de leur culture, qu'on le veuille ou non, ça fait partie de leur culture."

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​​La maire socialiste — des 15e et 16e arrondissements de Marseille, suggérant ainsi au micro d'iTele que les bars devraient limiter le débit de boisson… Un appel en partie entendu par le ministère de l'intérieur, et par la préfecture de police des Bouches-du-Rhône qui a annoncé mardi étendre le périmètre d'interdiction de vente d'alcool à emporter, ainsi que l'utilisation des verres en terrasses, depuis les abords de la fan-zone jusqu'au centre-ville de Marseille.

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L'alcool et le hooliganisme seuls en cause? Les médias britanniques mettent eux l'accent sur le rôle des bandes locales, à l'exemple aussi du footballeur anglais à la retraite Stan Collymore, dont le "Periscope" montre clairement "une bande locale de 300 personnes poursuivant les Anglais". Le Front national est, sans grande surprise, sur cette même ligne, comme en témoigne la réaction de Marion Maréchal Le Pen, députée du Vaucluse et Président du groupe Front National à la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui sur France 2 a critiqué une "information très partielle à ce sujet", évoquant "la descente en masse des racailles des cités de Marseille" à l'occasion des affrontements entre hooligans. Des déclarations qui donnent échos à celles du maire du 7e arrondissement de Marseille, Stéphane Ravier.

​Il appelle à la tolérance zéro et condamne le laxisme des autorités françaises, mais pas que: 

"En France, lorsqu'on s'attaque à des magasins, lorsqu'on s'attaque à des policiers, avec ces agressions d'extrême gauche qui se sont produites et qui se produisent encore, eh bien on jouit d'une totale impunité. Donc, eh bien ma foi, les amoureux non pas du sport, mais de la violence, et les supporters de la violence, parmi les Britanniques et les Russes et les racailles des cités, qui sont descendues en masse au Vieux-Port, drapeaux algériens au vent, eh bien s'en sont donné si j'ose dire, à cœur joie."

En connaisseurs de la violence autour des stades, Antoine ainsi qu"Enzodukep", un autre hooligan versé de longue date dans le milieu, et que nous avons interrogé, nous confirment le rôle important joué par les bandes locales dans l'escalade de la violence de ce week-end à Marseille:

"On peut tweeter, on peut dire ce qu'on veut, les faits sont là, tout le monde savait ce qui allait se passer, les gens sont venus… après on peut dire que ce sont des racailles, mais je voudrais bien savoir ce qu'est une racaille: un supporter russe qui s'attaque à un supporter anglais, c'est une racaille — pour quoi pas —, un supporter anglais qui s'attaque aux supporters russes, c'est une racaille, mais les seules racailles qui ont fait dégénérer les choses au moment où ça devait être calme, ce sont les racailles de Marseille qui dès jeudi ont attaqué les Anglais qui étaient juste là pour se saouler."

Pour Antoine, qui tient à rappeler, je cite "qu'on n'est pas là pour tuer", malgré le chaos apparent, les affrontements entre hooligans se font suivant certaines règles:

"Dans la mesure du possible, c'est de ne pas utiliser d'arme; donc là les Russes ont a pu le voir, ils arrivent, certains ont des protège-dents effectivement, ou peut-être des gants, mais jusqu'à preuve du contraire il n'y a pas eu d'armes. J'ai entendu parler d'un coup de couteau, je doute que ce soit un Russe qui ait mis un coup de couteau."

Pour autant, les hooligans ne sont pas des enfants de chœur et tous peuvent-ils être victime de leur goût de la violence? Antoine réfute:

"On se bat avec des gens qui ont envie, on n'attrape pas un pauvre mec qui a un T-shirt de l'OM et on ne lui met pas sur la gueule parce qu'il a un T-shirt de l'OM, non on va se battre avec des gens qui nous montrent qu'ils sont prêts à répondre."

Les bagarres généralisées dans les rues de Marseille ne seraient donc pas imputables qu'aux seuls hooligans et d'autres acteurs sont venus se greffer à la bataille, comme les "racailles des cités" dénoncées par Stéphane Ravier. D'ailleurs, nos deux hooligans n'ont pas de doute là-dessus…

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"C'est certain qu'ils étaient là, mais eux, ils n'ont pas la culture des hooligans, eux c'est la culture de cité: juste les poings et les pieds pour eux ce n'est pas possible, ils ne savent pas faire. Sans être moqueur, ils ne savent pas faire: Ils se retrouvent face à un bébé anglais de 110 kg bien aviné, le mec il panique, il sort le couteau. Contre les Russes, j'en parle même pas, ce sont des mecs qui s'entraînent toute la semaine à des sports de combat… Donc il valait mieux qu'ils aient des couteaux en face effectivement…"

Argumente Antoine. Un point confirmé par "Enzodukep".

"Il y a les Marseillais, la population locale, qui s'en est prise aux supporters Anglais, ce qui explique sans doute les blessés, car je ne pense pas que ce soient les Russes qui aient utilisé des couteaux: de toute façon sur les vidéos qui sont disponibles et qui tournent en boucle sur internet force est de constater qu'ils n'avaient pas besoin d'arme pour défaire les Anglais."

"Pour connaître ce milieu, dire que les Russes ont attaqué les Anglais, que les Russes sont méchants, que les Anglais sont méchants, que ce sont tous des hooligans, c'est bien gentil. Mais les premiers incidents qui ont eu lieu se sont produits entre des Marseillais et des supporters anglais. Les Russes sont arrivés après, et ils ont fait ce qu'ils avaient à faire, en tout cas ils ont fait ce qu'ils avaient annoncé à l'Europe entière depuis déjà de nombreux mois."

Il faut dire que sur les réseaux sociaux, Twitter en tête, on peut, au détour d'une photo ou d'une vidéo, observer un drapeau algérien émerger de la cohue. Sur les vidéos, des hommes sont passés à tabac, un passant immobile s'écroule inerte après avoir reçu un coup de poing en pleine figure, le tout… dans un français injurieux bien de nos quartiers dits populaires…

Parfois, les hooligans ont bon dos… Par exemple lors de la remise de la coupe de France au PSG sur le Trocadéro mi-mai 2013… Le ministre de l'Intérieur d'alors, Manuel Valls, ainsi que le préfet de police, n'avaient pas hésité à faire porter la responsabilité des saccages survenus aux ultras. Cependant, le visionnage des vidéos des incidents permet de douter de cette version, notamment avec le pillage en règle d'un bus de touristes chinois, les lancers de barrières de sécurité sur les forces de l'ordre, ou encore des scènes surréalistes comme une perfusion prodiguée par la Croix-Rouge juste devant la terrasse du Fouquet's. À chaque fois, on n'avait pas vraiment l'impression qu'il s'agissait de hooligans d'extrême-droite, mais plutôt d'individus "issus de la diversité" ou des banlieues "difficiles" de la région parisienne.

Notre société n'est-elle pas tout simplement devenue ultra-violente et nos forces de police débordées?

"Quand les supporters se déplacent pas [dans les compétitions locales, ndlr], évidemment il n'y a pas d'affrontement, donc on peut mettre son bilan en avant… sauf que là, faire des arrêtés préfectoraux pour les supporters Russes, alors que tout le monde dans notre milieu savait depuis déjà très longtemps qu'ils iraient à Marseille, et qu'ils y allaient pour se faire des Anglais. Donc déjà apparemment eux n'étaient pas au courant pourtant ils savaient que c'étaient un match chaud. Donc les évènements sont simplement la conséquence de l'autosatisfaction de gens incompétents."

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Vous avez dit autosatisfaction? Le commissaire Antoine Boutonnet, chef de la Division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH), affirme qu'"il n'y a pas de constat d'échec, dans la mesure où l'intervention rapide et efficace des forces de l'ordre a permis de circonscrire les incidents." Les nombreux blessés et les commerçants marseillais qui ont vu leurs devantures saccagées sont d'un avis légèrement différent. Ils risquent d'ailleurs de ne pas être d'accord non plus avec le préfet de police de Marseille, Laurent Nunez, qui affirme qu'aucun hooligan ne se trouvait dans les rues de la ville avant le coup d'envoi de la rencontre entre l'Angleterre et la Russie au stade Vélodrome. En clair, aucun hooligan fiché et reconnu par les autorités, qui essaye désespérément de botter en touche dans cette affaire, alors qu'aucun hooligan russe n'a été arrêté et que les centaines de "jeunes" des "quartiers sensibles" ne figurent pas non plus au bilan de la police.

Même la démonstration de force de la justice peine à convaincre. Le tribunal correctionnel de Marseille a certes prononcé dès lundi neuf peines de prison ferme et une peine de prison avec sursis contre six Britanniques, trois Français et un Autrichien qui ont participé aux violences. Mais la plupart des condamnés l'ont été pour avoir… provoqué la police. Les six Britanniques, qui avaient lancé des cannettes ou des bouteilles sur les policiers sans faire de blessés, ont été condamnés à des peines allant jusqu'à trois mois ferme. Un Français, David Palmeri, a été condamné à un an ferme pour avoir frappé jeudi soir trois personnes à coups de pieds, de poing et de ceinture.

Des peines pour l'exemple, tant leur sévérité contraste avec les mesures prises à l'encontre d'autres groupes violents, comme ceux qui ont opéré de nombreuses agressions et dégradations en marge des manifestations contre la loi travail ou du mouvement nuit Debout, malgré un bilan bien plus lourd, que se plaît à souligner "Enzodukep":

"Mais je rappelle tout de même que malgré les trois nuits d'émeutes, en terme de dégâts matériels on n'a pas grand-chose à déplorer. Il me semble pourtant que lors des dernières manifestations dues au climat social en France, il n'y avait pas de Russe, il n'y avait pas d'Anglais, il n'y avait pas de gens d'extrême-droite ou de supporters radicaux, comme on l'entend partout à la radio ou la télévision et pourtant, en terme de dégradations, en terme de dégradations et de blessés policiers, le bilan est nettement plus lourd qu'après trois jours d'affrontement à Marseille entre supporters".

Un deux poids, deux mesures qui laissera un goût amer, notamment aux supporters anglais, qui ont payé le prix fort, à la fois dans la rue et dans les tribunaux.

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