L'Euro 2016 a démarré en fanfare, mais pas vraiment d'un point de vue sportif. Lors du week-end du 11 et 12 juin, les centres-ville de Marseille et de Nice ont été le théâtre de violents affrontements entre hooligans en marge du match Angleterre-Russie. Dans un mauvais remake du match Angleterre-Tunisie de 1998, les habitants de la cité phocéenne et les téléspectateurs ont pu découvrir des scènes de bagarre généralisée dans le vieux port, avec un bilan lourd: après trois jours d'affrontements, outre les dégâts importants, près de 35 blessés, dont quatre graves, sont à déplorer.
Les Anglais, qui sont pourtant bien à l'origine du mot "hooligan" et de ses codes de violence, ce qui attise d'ailleurs l'agressivité des groupes rivaux, comme nous l'explique "Antoine", qui lui-même fait partie de la "culture hooligan" depuis une vingtaine d'années:
Pourtant, de son propre aveu, les Anglais ne sont plus l'icône du hooliganisme comme ils le furent un temps: ceux qui sont à craindre aujourd'hui viennent des pays de l'Est. Le hooliganisme anglais avait acquis sa réputation dans le milieu d'une manière particulièrement tragique — le drame du Heysel, survenu un 29 mai 1985 à Bruxelles, est encore dans toutes les mémoires. Lors de la finale de la Coupe d'Europe des clubs champions, opposant Liverpool à la Juventus, sous le poids des supporters italo-belges fuyant une centaine de hooligans britanniques ayant pris d'assaut leur tribune, les grilles de séparation ainsi qu'un muret s'effondrèrent. Bilan: 39 morts et 454 blessés.
"Ils ont une réputation qui n'est plus adaptée au mouvement hooligan actuel, ça s'est vu avec les Russes: ce sont des hooligans +à la pays de l'Est, on les a vus habillés de la même manière, arrivés très organisés, ils font des actions très rapides: ils sont toujours groupés, ils cognent et ils s'en vont, et pourtant ils ne sont qu'une poignée par rapport à ce qu'il y a en face. Alors que les Anglais sont plutôt des mecs qui picolent toute la journée dans des bars, et à cause de l'alcool, ça part en bagarre, mais ce n'est pas eux qui viennent à l'affrontement réel, en fait."
Mais les Anglais compensent par le nombre: si les hooligans endurcis ne représentent qu'un noyau dur, tout supporter anglais semble d'après notre intervenant susceptible de se joindre à l'affrontement. Pour lui, "le noyau dur, c'est tous les Anglais":
"Les Anglais c'est typique: ils ont un noyau de hooligans qui va être dans le bar, entouré de plein de personnes qui ne le sont pas, et suivant la provocation des mecs en face il se peut qu'ils le deviennent. C'est un état d'esprit qu'ils ont, de 50 hooligans ils passent au stade de +on va aller se battre parce qu'on est Anglais".
"Tous ceux qui sont dans le bar, deux jours avant le match en train de picoler, ils sont là pour faire la fête, mais si ça peut cogner, ils sont les premiers contents — il faut être clair et net, ça fait des mois et des mois qu'on dialogue avec eux sur internet, ils n'attendent que ça…. Et puis ça fait partie de leur culture, qu'on le veuille ou non, ça fait partie de leur culture."
L'alcool, premier coupable pour Samia Ghali, l'une des édiles dont la réaction a été le plus relayée par les médias.
[#EURO2016] ⚽️ #Marseille: les jours d'après. Mes propositions pr ne reproduire pas la contreperformance 🇬🇧#ANGRUS🇷🇺 pic.twitter.com/gD2qkqIlME
— Samia GHALI (@SamiaGhali) 12 июня 2016 г.
Samia Ghali, maire des 15e et 16e arr. de #Marseille: "Il faut interdire l'alcool pendant ces matchs là" #ENGRUS https://t.co/8DUcbETQtv
— iTELE (@itele) 11 июня 2016 г.
La maire socialiste — des 15e et 16e arrondissements de Marseille, suggérant ainsi au micro d'iTele que les bars devraient limiter le débit de boisson… Un appel en partie entendu par le ministère de l'intérieur, et par la préfecture de police des Bouches-du-Rhône qui a annoncé mardi étendre le périmètre d'interdiction de vente d'alcool à emporter, ainsi que l'utilisation des verres en terrasses, depuis les abords de la fan-zone jusqu'au centre-ville de Marseille.
Retrouvez ma réaction aux violences à #Marseille, qui ont mêlé hooligans russes et anglais, et racailles de cité.https://t.co/DvOljgxmQs
— Stéphane Ravier (@Stephane_Ravier) 12 июня 2016 г.
Il appelle à la tolérance zéro et condamne le laxisme des autorités françaises, mais pas que:
"En France, lorsqu'on s'attaque à des magasins, lorsqu'on s'attaque à des policiers, avec ces agressions d'extrême gauche qui se sont produites et qui se produisent encore, eh bien on jouit d'une totale impunité. Donc, eh bien ma foi, les amoureux non pas du sport, mais de la violence, et les supporters de la violence, parmi les Britanniques et les Russes et les racailles des cités, qui sont descendues en masse au Vieux-Port, drapeaux algériens au vent, eh bien s'en sont donné si j'ose dire, à cœur joie."
En connaisseurs de la violence autour des stades, Antoine ainsi qu"Enzodukep", un autre hooligan versé de longue date dans le milieu, et que nous avons interrogé, nous confirment le rôle important joué par les bandes locales dans l'escalade de la violence de ce week-end à Marseille:
Pour Antoine, qui tient à rappeler, je cite "qu'on n'est pas là pour tuer", malgré le chaos apparent, les affrontements entre hooligans se font suivant certaines règles:
"Dans la mesure du possible, c'est de ne pas utiliser d'arme; donc là les Russes ont a pu le voir, ils arrivent, certains ont des protège-dents effectivement, ou peut-être des gants, mais jusqu'à preuve du contraire il n'y a pas eu d'armes. J'ai entendu parler d'un coup de couteau, je doute que ce soit un Russe qui ait mis un coup de couteau."
Pour autant, les hooligans ne sont pas des enfants de chœur et tous peuvent-ils être victime de leur goût de la violence? Antoine réfute:
"On se bat avec des gens qui ont envie, on n'attrape pas un pauvre mec qui a un T-shirt de l'OM et on ne lui met pas sur la gueule parce qu'il a un T-shirt de l'OM, non on va se battre avec des gens qui nous montrent qu'ils sont prêts à répondre."
Les bagarres généralisées dans les rues de Marseille ne seraient donc pas imputables qu'aux seuls hooligans et d'autres acteurs sont venus se greffer à la bataille, comme les "racailles des cités" dénoncées par Stéphane Ravier. D'ailleurs, nos deux hooligans n'ont pas de doute là-dessus…
Argumente Antoine. Un point confirmé par "Enzodukep".
"Il y a les Marseillais, la population locale, qui s'en est prise aux supporters Anglais, ce qui explique sans doute les blessés, car je ne pense pas que ce soient les Russes qui aient utilisé des couteaux: de toute façon sur les vidéos qui sont disponibles et qui tournent en boucle sur internet force est de constater qu'ils n'avaient pas besoin d'arme pour défaire les Anglais."
"Pour connaître ce milieu, dire que les Russes ont attaqué les Anglais, que les Russes sont méchants, que les Anglais sont méchants, que ce sont tous des hooligans, c'est bien gentil. Mais les premiers incidents qui ont eu lieu se sont produits entre des Marseillais et des supporters anglais. Les Russes sont arrivés après, et ils ont fait ce qu'ils avaient à faire, en tout cas ils ont fait ce qu'ils avaient annoncé à l'Europe entière depuis déjà de nombreux mois."
Il faut dire que sur les réseaux sociaux, Twitter en tête, on peut, au détour d'une photo ou d'une vidéo, observer un drapeau algérien émerger de la cohue. Sur les vidéos, des hommes sont passés à tabac, un passant immobile s'écroule inerte après avoir reçu un coup de poing en pleine figure, le tout… dans un français injurieux bien de nos quartiers dits populaires…
Parfois, les hooligans ont bon dos… Par exemple lors de la remise de la coupe de France au PSG sur le Trocadéro mi-mai 2013… Le ministre de l'Intérieur d'alors, Manuel Valls, ainsi que le préfet de police, n'avaient pas hésité à faire porter la responsabilité des saccages survenus aux ultras. Cependant, le visionnage des vidéos des incidents permet de douter de cette version, notamment avec le pillage en règle d'un bus de touristes chinois, les lancers de barrières de sécurité sur les forces de l'ordre, ou encore des scènes surréalistes comme une perfusion prodiguée par la Croix-Rouge juste devant la terrasse du Fouquet's. À chaque fois, on n'avait pas vraiment l'impression qu'il s'agissait de hooligans d'extrême-droite, mais plutôt d'individus "issus de la diversité" ou des banlieues "difficiles" de la région parisienne.
Notre société n'est-elle pas tout simplement devenue ultra-violente et nos forces de police débordées?
"Quand les supporters se déplacent pas [dans les compétitions locales, ndlr], évidemment il n'y a pas d'affrontement, donc on peut mettre son bilan en avant… sauf que là, faire des arrêtés préfectoraux pour les supporters Russes, alors que tout le monde dans notre milieu savait depuis déjà très longtemps qu'ils iraient à Marseille, et qu'ils y allaient pour se faire des Anglais. Donc déjà apparemment eux n'étaient pas au courant pourtant ils savaient que c'étaient un match chaud. Donc les évènements sont simplement la conséquence de l'autosatisfaction de gens incompétents."
Même la démonstration de force de la justice peine à convaincre. Le tribunal correctionnel de Marseille a certes prononcé dès lundi neuf peines de prison ferme et une peine de prison avec sursis contre six Britanniques, trois Français et un Autrichien qui ont participé aux violences. Mais la plupart des condamnés l'ont été pour avoir… provoqué la police. Les six Britanniques, qui avaient lancé des cannettes ou des bouteilles sur les policiers sans faire de blessés, ont été condamnés à des peines allant jusqu'à trois mois ferme. Un Français, David Palmeri, a été condamné à un an ferme pour avoir frappé jeudi soir trois personnes à coups de pieds, de poing et de ceinture.
Des peines pour l'exemple, tant leur sévérité contraste avec les mesures prises à l'encontre d'autres groupes violents, comme ceux qui ont opéré de nombreuses agressions et dégradations en marge des manifestations contre la loi travail ou du mouvement nuit Debout, malgré un bilan bien plus lourd, que se plaît à souligner "Enzodukep":
"Mais je rappelle tout de même que malgré les trois nuits d'émeutes, en terme de dégâts matériels on n'a pas grand-chose à déplorer. Il me semble pourtant que lors des dernières manifestations dues au climat social en France, il n'y avait pas de Russe, il n'y avait pas d'Anglais, il n'y avait pas de gens d'extrême-droite ou de supporters radicaux, comme on l'entend partout à la radio ou la télévision et pourtant, en terme de dégradations, en terme de dégradations et de blessés policiers, le bilan est nettement plus lourd qu'après trois jours d'affrontement à Marseille entre supporters".
Un deux poids, deux mesures qui laissera un goût amer, notamment aux supporters anglais, qui ont payé le prix fort, à la fois dans la rue et dans les tribunaux.
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