La tribune de la discorde

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Les hommes politiques et de presse s’indignaient de la non-parution des quotidiens nationaux ce jeudi 26 mai. En cause, le chantage subi par la presse: pas de publication de la tribune de Philippe Martinez, pas de publication tout court. En témoigne la seule parution jeudi de l’Humanité…

"- Fabrice Angei, je voudrais vous poser une question très précise sur ce soir la CGT du Livre qui arrête les imprimeries, qui empêche la parution des quotidiens demain et qui, d'après plusieurs journalistes, demande la parution d'un édito de Philippe Martinez. Est-ce que c'est démocratique ça? Est-ce que ce sont des méthodes acceptables?

- Ça fait partie de l'action de grève, ça fait partie des modalités de mobilisation, cela concourt à l'élargissement de la mobilisation".

C'est ainsi que Fabrice Angei, chargé des questions emploi à la CGT, justifiait au micro de BFMTV l'annonce de la non-parution des quotidiens nationaux.

Il faut dire que si ce 26 mai n'était que le troisième épisode de grève affectant la presse, après les journées du 31 mars et du 28 avril — qui avaient été marquées par une forte mobilisation contre la loi Travail — cet épisode de l'extension du mouvement avait un parfum un peu plus particulier: celui du chantage.

En effet, la CGT avait envoyé aux différentes rédactions une tribune signée de Philippe Martinez, son secrétaire général. Une tribune intitulée "La modernité, c'est le progrès social, pas la loi travail !", avec la menace plus ou moins explicite que si cette Tribune n'avait pas une pleine page dans l'édition du 26 mai, aucune autre page de quotidiens ne verrait le nez d'un lecteur.

Un chantage qui n'a pas été du goût d'Hervé Mariton, député Les Républicains de la Drôme, qui s'insurgeait, toujours sur BFMTV, face à Fabrice Angei de la CGT:

"- Vous n'allez pas dicter les éditoriaux des journaux est-ce que vous vous rendez-compte de ce que vous dites? Est-ce que vous vous rendez compte du décalage avec l'aspiration de liberté de nos concitoyens?

- Ce n'est pas un éditorial, attendez, oui enfin les médias, on connait très bien la liberté des médias aujourd'hui… je ne polémiquerai pas là-dessus! Ce n'est pas un éditorial, c'est une tribune qui est demandée à la presse."

"Demandé" dit-il… pourtant, par un heureux hasard, le seul quotidien a être paru ce jour, l'Humanité, qui pour le coup publie ladite tribune en pleine page…

Ce matin les lecteurs du Figaro, du Monde, du Parisien, de l'Équipe, des Échos, de la Croix, de Libération ou encore de l'Opinion, qui se sont rendus dans les kiosques, ont eu un choix cornélien, ou plutôt, stalinien: passer leur chemin ou se contenter d'acheter l'Humanité: le journal communiste était le seul disponible en kiosque, le seul à avoir passé le filtre de la CGT du Livre dont le secrétaire général, Didier Lourdez, avait affirmé sur France Inter, que son syndicat n'avait "ni exigence, ni diktat".

Ni exigence ni diktat? Comment alors qualifier le communiqué de la Fédération des travailleurs de l'Industrie du Livre, du Papier et de la Communication (Filpac-CGT), en date du 25 mai, ou le syndicat affirmait son intention de ne pas publier les quotidiens n'ayant pas reproduit la tribune de Martinez:

"Un grand nombre de titres refusent pour le moment la parution de la tribune signée par Philippe Martinez (…) Les syndicats décideront donc de ne pas faire paraître les éditions des titres datées du 26 mai qui auront refusé de reproduire la tribune de la CGT".

Soyons diplomates et utilisons le mot "pression", à l'instar de Laurent Joffrin, le directeur de Libération qui a affirmé sur France inter qu'"On n'a jamais publié de communiqué sous la pression et on ne le fera jamais".

Faire pression sur la presse — vecteur de l'image du mouvement — n'est-ce pas se tirer une balle dans le pied, se mettre indirectement les gens à dos? Patrick Le Hyaric, directeur de l'Humanité, nous répond:

​"Mais les syndicats ne font aucune pression sur la presse, les syndicats défendent leurs revendications. Dans ce cas précis, ils demandent le retrait d'une loi et l'ouverture d'une discussion sur un code du travail de ce siècle. Ils ne font strictement aucune pression, un syndicat, qu'il soit à la radio, à la télévision, dans la presse écrite, il défend ses objectifs et il utilise les moyens dont il dispose. Et jusqu'à nouvel ordre, le droit de grève est toujours constitutionnel."

Vraiment, M. Le Hyaric, il n'y a pas de lien de cause à effet entre la non-parution des journaux et leur décision de ne pas publier la tribune de M. Martinez?

"Les éditeurs de journaux sont libres de publier ou de ne pas publier ce qu'ils veulent et les organisations syndicales sont également libres de prendre des décisions en conséquence ou en lien avec le mouvement qui se développe aujourd'hui. Je ne vois pas pourquoi on fait une affaire de quelque chose qui est plutôt naturel.

Les accusations portées à l'encontre l'Humanité pour être paru avec la Tribune de Philippe Martinez? Un quotidien "qui se serait couché" selon Laurent Joffrin? Le directeur de l'Humanité les balaye d'un revers de main: l'Humanité n'est en rien instrumentalisée, bien au contraire:

"Il n'y a aucune instrumentalisation d'aucune sorte, l'Humanité a une orientation éditoriale liée au mouvement social, c'est le porteur du mouvement social, du mouvement syndical, du mouvement associatif et donc il n'y a rien là d'anormal. Au contraire, c'est l'ordre des choses, et ce n'est pas la première fois, que cela arrive, c'est déjà arrivé. De même, parfois, l'Humanité est éditée le 1er mai pour être distribuée dans les manifestations alors qu'en général le 31 avril les ouvriers du Livre font leur 1er mai. Donc il n'y a rien d'anormal à tout ça."

Dans un éditorial — un vrai — publié sur le site de l'Opinion par son Fondateur, Nicolas Beytout fustige pour sa part, je cite, une "intrusion scandaleuse du syndicat dans les contenus des médias" devant "être dénoncée comme une déplorable atteinte à la démocratie".

L'extension du mouvement semble en tout cas avoir pris de court, certes les kiosquiers — qui n'ont pas vu arriver leurs lots quotidiens de tirages nationaux, soit une partie de leur chiffre d'affaires, mais également les lecteurs, à en croire les déclarations de cette kiosquière…

"On a eu des clients, malgré qu'ils aient entendu à la radio qu'il n'y avait pas journaux aujourd'hui… ils sont venus quand même pour voir s'il y avait des journaux et ils me demandaient pourquoi ils n'y avaient pas de livraison, donc je leur ai dit que c'était la grève".

Quant à savoir si ces personnes connaissaient les conditions de cette parution sélective…

"La vraie raison, non: ils demandaient pourquoi il n'avait pas de journaux, je n'avais pas de réponse. L'Humanité, ce n'est pas le journal qui est demandé dans le quartier… malheureusement."

La grève ou plutôt, le "pluralisme façon URSS": que dénonce le rédacteur en chef adjoint de l'Opinion, Olivier Auguste, dans son tweet: « La #CGT exigeait une pleine page sur la loi Travail signée Philippe Martinez pour imprimer les quotidiens demain. Le pluralisme façon URSS ».

​Allusion transparente à la Pravda, qui était certes le seul journal du seul parti politique autorisé dans la défunte URSS, mais qui était loin d'être le seul quotidien à paraître dans le pays. Comme quoi, la liberté de la presse façon CGT-Livre est encore plus restrictive que celle du pouvoir soviétique.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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