Irina Rakobolskaïa, héroïne de guerre devenue professeur de physique
"Le premier ordre que nous avons reçu concernait nos cheveux: il fallait que nous soyons coiffées comme des hommes et nos longs cheveux ont été coupés par le coiffeur de la garnison", se souvient Irina Rakobolskaïa. En 1941, elle avait 22 ans. A 96 ans, elle a gardé les cheveux courts…
Pendant la guerre, elle a officié en tant qu'adjointe au commandant de division des "sorcières nocturnes" — un régiment d'aviation féminin de bombardiers de nuit. Après la victoire, elle est devenue physicienne et professeure à la prestigieuse Université d'État Lomonossov de Moscou (MGU).
Les moqueries, puis le respect
Assis avec Irina dans son appartement du corpus des professeurs de la MGU, elle me demande de lui donner une maquette d'avion: "C'est sur de tels biplans tout simples que volaient nos filles. A la tombée de la nuit, des jeunes filles âgées de 17 à 22 ans s'installaient dans des cabines à moitié ouvertes et s'envolaient pour bombarder les fascistes. En une nuit, elles arrivaient à mener 5 à 6 missions. A l'aérodrome elles étaient attendues par des assistants, aussi jeunes qu'elles, pour accrocher aux avions de nouvelles bombes — qui pesaient entre 150 et 200 kg. Un jour j'ai compté: parfois une seule femme soulevait jusqu'à 300 tonnes! D'ailleurs, le système de bombardement de l'ancien avion d'entraînement russe a été inventé par les pilotes elles-mêmes qui l'appelaient "SCB" ("simple comme bonjour"): il suffisait de tirer sur un fil pour que les bombes tombent.
Camouflés par la nuit et à une vitesse de 100 km/h, les avions russes pouvaient se positionner très près de leur cible: "Les Allemands nous craignaient, ils nous appelaient les "sorcières nocturnes". Nos pilotes masculins, eux, se moquaient d'abord de nous: "Tiens, c'est le régiment de Dounia!" mais par la suite nous avons gagné leur respect et ils disaient que nous étions des "êtres célestes".
32 sourires éteints
Irina Rakobolskaïa a réussi à effectuer plusieurs vols en tant que copilote — mais c'était plutôt rare. Immédiatement après ses études, la fondatrice du régiment Marina Raskova l'avait nommée adjointe du chef de division, chef d'état-major.
"Je suis allée voir Raskova pour lui dire que je voulais voler. Mais elle m'a répondu: "Je n'aime pas les conversations civiles!", se rappelle Irina.
"C'était difficile pour moi. Je comprenais peu les avions, les bombes, les rapports opérationnels… Et les filles n'écoutaient pas vraiment — pendant les entraînements nous étions copines, et tout à coup j'étais devenue leur chef. Je pleurais même, au début. Mais ensuite de nouvelles personnes sont arrivées au régiment et c'est devenu plus simple — j'étais un vrai cher d'état-major pour elles".
"Le plus terrible était de rester sur l'aérodrome et de voir un avion s'embraser dans le ciel nocturne avec mes amies à bord, avant de s'écraser… Les biplans étaient en bois et s'enflammaient immédiatement. Or il n'y avait pas de parachutes dans les avions avant 1944: on estimait à l'époque que cela alourdissait l'appareil et qu'il valait mieux mourir que de tomber entre les mains de l'ennemi. Aujourd'hui, je pense que c'était une erreur du commandement: les jeunes filles étaient condamnées à mourir… Nous ne savions même pas ce qu'elles étaient devenues. Avaient-elles brûlé ou été faites prisonnières? C'est seulement après la victoire que plusieurs expéditions ont été menées sur les points de chute des avions. Il s'est avéré que toutes les femmes disparues avaient brûlé dans les cabines et avaient été enterrés par les habitants des villages environnants. Plus tard, nous avons érigé des tombes en leur nom. Au total, 32 jeunes femmes ont été tuées — jeunes, belles et drôles… Je me souviens toujours de la manière dont elles transportaient en secret des chats dans leur cabine, cousaient des myosotis sur les chaussettes russes et chantaient des refrains populaires", se remémore Irina Rakobolskaïa.
"Une femme peut tout!"
Pendant la guerre, Irina écrivait des lettres à un amant imaginaire. Elle ne les envoyait pas — elle voulait simplement s'exprimer et aimer… C'est seulement après la guerre, en 1946, qu'elle a revu son ancien camarade de classe Dmitri Linde (qui a également combattu) et qu'elle s'est mariée avec lui.
"Je suis parti sur le front en troisième année de faculté de physique et, après la guerre, j'avais peur de ne plus me souvenir de rien. Pendant le cours, le professeur parlait et mes yeux se fermaient — j'avais pris pour habitude de dormir le jour. Dmitri m'aidait et me soutenait, et je lui en suis reconnaissante", raconte Irina Rakobolskaïa.
En 1945, les États-Unis ont lancé deux bombes atomiques sur le Japon et la MGU a ouvert une chaire de physique nucléaire. Mais Rakobolskaïa n'a pas souhaité concevoir de bombe atomique sur Terre. Elle s'est intéressée à l'espace et a défendu une thèse sur "Les électrons D formés par les muons des rayons cosmiques".
"Je me souviens, Raskova disait sur le front: "Les filles, arrivez à vos fins! Une femme est capable de tout!". Ses paroles m'ont toujours inspirée. Dans les années 1960, il fallait réaliser une expérience scientifique nécessitant un dispositif complexe. J'ai alors écrit une lettre au gouvernement disant qu'il nous fallait 500 tonnes de plomb, 5 000 m² de pellicule radiographique, un local souterrain à 10 mètres de profondeur et un centre de développement de photos. Et que pensez-vous? J'ai réussi! Parce qu'une femme est capable de tout!", poursuit Irina.
Elle a défendu sa thèse de doctorat, écrit un manuel en physique nucléaire, dirigé la chaire et est devenue professeure à la MGU.
"Puis mon mari est tombé malade. Je m'occupais de lui, puis allais en cours et au magasin. Dmitri est décédé en 2005. On avait tous les deux 86 ans — nous avons passé 60 ans ensemble. J'avais le sentiment que la vie était terminée. Je me suis effondrée sur un lit et j'ai commencé à prendre des calmants. Puis j'ai décidé de me reprendre en mains.
Avec Dmitri, nous avons de merveilleux fils. L'aîné, Andreï, est devenu chercheur cosmologue, il travaille à Stanford aux USA. Le benjamin, Nikolaï, est psychologue. J'ai 5 petits-enfants et deux arrières petits-enfants. En revanche, il ne reste pratiquement plus de filles avec qui j'ai servi. Chaque année, le 2 mai, nous nous rencontrions sur le square devant le théâtre Bolchoï. Aujourd'hui, ce sont nos enfants qui s'y rencontrent avant de se rendre au mur du Kremlin où est enterrée Marina Raskova, pour y déposer des fleurs.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.