Le Pentagone annonce un sans-faute pour ses frappes en Somalie

© REUTERS / Feisal OmarCombattants du groupe islamiste Al-Shabbaab
Combattants du groupe islamiste Al-Shabbaab - Sputnik Afrique
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Le Pentagone faisait état Lundi 7 mars de 150 terroristes Shebab abattus en Somalie par les avions et les drones américains. Seulement, comme le rappelle The Intercept, rien ne prouve encore véritablement l’affiliation de tous ces individus au groupe terroriste…

Le Ministère américain de la Défense annonçait lundi 07 Mars l'élimination de 150 combattants du groupe islamiste Al-Shabaab — branche locale d'Al-Qaeda — en Somalie au cours d'une série de frappes aériennes menées par des avions et des drones, dans ce qui est présenté comme l'attaque américaine les plus dévastatrice de ces dix dernières années contre le groupe terroriste.

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Le compte rendu est précis: le camp d'entrainement était surveillé depuis plusieurs semaines et les missiles seraient venus surprendre les « combattants » en pleine « cérémonie de remise de diplôme », preuve d'après les autorités américaines qu'une « opération de grande envergure » se préparait contre leurs troupes.

Les officiels du Pentagone sont catégoriques: les morts sont tous des « terroristes » ou des « militants » et plusieurs commandants figureraient au bilan de ce « coup spectaculaire » pour reprendre un des qualificatifs de la presse américaine qui salue cette opération.

La presse américaine, à l'exception de The Intercept, qui dénonce une absence de scepticisme des médias à l'égard des autorités, rappelant qu'il n'y a aucun moyen de confirmer l'identité et encore moins l'affiliation de l'ensemble de ces 150 individus: étaient-ils vraiment tous des « terroristes » ou quelques dommages collatéraux se sont-ils immiscés parmi eux? D'autant plus que, comme le rappelle The Intercept cela ne serait pas la première fois que le Pentagone manque d'exactitude dans ses déclarations.

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Il faut dire que le magazine en ligne, propriété du franco-iranien Pierre Omidyar — fondateur d'Ebay — a su acquérir une certaine expertise et une solide réputation de pourfendeur des attaques de drones…Le magazine, et notamment l'auteur de l'article: Glen Greenwald, a su révéler à plusieurs reprises leurs nombreuses bavures grâce, en partie, à des documents acquis lors de l'affaire Snowden, comme en 2015 où il mettait en ligne une série de documents classés secret défense qui tendaient à prouver que dans le cadre d'une campagne de frappes de 5 mois en Afghanistan, 90% des personnes tuées par les drones américains n'étaient pas celles initialement visées. Un résultat bien loin des estimations de certains Think-Tanks américains en matière de dommages collatéraux — situées en règle générale aux alentours des 10% — ou des estimations de l'organisation britannique Bureau of Investigative Journalism (BIJ), qui varient entre 5% à 30% en fonction des théâtres d'opérations.

Par ces révélations, The Intercept tenait à dénoncer ce qu'il jugeait être une stratégie anti-terroriste peu efficace… le tout à un moment où les frappes de drones américains n'avaient jamais été aussi nombreuses: en effet si elles débutaient en 2002 sous la mandature de George W. Bush elles ont connu leur véritable essor à partir de l'investiture de Barack Obama à la Maison Blanche. L'essor d'une méthode qui au fil des ans a été jugée tout autant expéditive que polémique.

Expéditive, quant à l'emploi d'appareils télécommandés pour délivrer à plusieurs milliers de kilomètres du sol américain des sentences de mort à l'encontre d'individus n'ayant fait l'objet d'aucune comparution devant un tribunal, des individus n'ayant jamais fait l'objet d'aucun jugement, si ce n'est celui de services américains, validé par le Président des Etats-Unis. Et ce fut le cas par exemple, du prédicateur Anwar Al-Aulaqi, un citoyen américain né de parents yéménites —accusé par les autorités américaines d'être lié à plusieurs attentats — tué par des drones de la CIA le 30 Septembre 2011, et qui laissait derrière lui un fils de 16 ans, Abdulrahman Al-Aulaqi, lui aussi éliminé par une frappe de drone deux semaines plus tard.

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Polémique, notamment lors de la médiatisation de certaines bavures; comme par exemple celle de ce 12 décembre 2013: lorsque, non loin de Radaa au Yémen, un drone opéré depuis une base américaine à Djibouti, tire quatre missiles sur un convoi; alors que les autorités américaines pensent cibler Shaki Ahmed Albadani qu'elles soupçonnent d'avoir fomenté quelques mois plus tôt des attaques sur l'une de leurs ambassades, elles détruisent en réalité un convoi… nuptial.

De nombreuses erreurs d'appréciations, qui viendraient d'une certaine facilité à rendre de telles sentences du fait de la distance entre l'opérateur et le théâtre d'opération.
Mais pour le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset, directeur de recherche à l'IRIS, délivrer une frappe via un drone n'est pas si différent que de le faire depuis un aéronef à haute altitude, voire — dans certains cas — depuis des vaisseaux en mer…

« C'est très à la mode de dire le drone ceci, le drone cela, pour le moment les drones ont tous un humain dans la boucle pour la dernière phase de la frappe, et un drone est piloté jusqu'à quelques kilomètres de l'objectif: donc entre le moment où le tir est commencé et le moment où le tir est irrémédiable, très peu de temps s'écoule entre le tir irrémédiable et la frappe de l'objectif, alors que lorsqu'on tire un missile de croisière par exemple, il peut s'écouler plusieurs heures… donc il faut quand même bien voir que le drone est quelque chose où l'humain est peut être physiquement très loin de la cible mais où il est techniquement très proche de cette cible ».

« Les frappes d'avions, guidées par des forces spéciales, c'est de l'appui feu aérien rapproché, cela représente une toute petite partie des frappes; la plupart des frappes sont faites avec des désignations et ces désignations sont faites à plusieurs kilomètres de distance. La vision physique de l'objectif par le pilote d'un avion de chasse à l'heure actuelle n'est dans 90% des cas pas supérieure à celle d'un opérateur de drone ».

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Quelques soient les personnes que ces frappes touchent ou visent, d'après l'analyste politique Gearóid Ó Colmáin — correspondant à Paris pour l'American Herald Tribune — elles viennent s'inscrire dans une certaine stratégie régionale des Etats-Unis, à un moment où le continent africain fait l'objet de toutes les convoitises.

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« Si on considère la géopolitique de la région, il faut souligner le fait que la Somalie est en train de devenir un état très important pour la Chine: il y'a beaucoup de pétrole en Somalie et actuellement la Chine est assez présente dans cette région. […] La Chine est en train de s'étendre dans toute la région de la corne de l'Afrique, il y a une intégration, une tentative d'unification, de tous ces états d'Afrique de l'Est. Le but de la stratégie américaine dans la région est d'affaiblir cette unité et de maintenir un état de déséquilibre, un état d'instabilité, donc j'ai du mal à croire que les Etats-Unis sont en train de se débarrasser de cet outil que sont les interventions, parce que si la région recouvrait une certaine stabilité la Chine représenterait la présence géopolitique la plus importante dans une région stratégique et riche en ressources. Donc il faut tenir compte de tout cela quand on considère le rôle des Etats-Unis dans cette partie du monde, les Etats-Unis n'ont pas cachés leur volonté de recoloniser le continent africain: le programme s'appelle l'AFRICOM, tous ces pays sont en train de se développer très vite, enregistrant un énorme taux de croissance, mais surtout une orientation vers l'Est, c'est-à-dire une orientation vers la Chine ».

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Le jour même de l'annonce des frappes en Somalie, l'administration du président Barack Obama annonçait qu'elle publierait sous peu un bilan des frappes menées à travers le monde, depuis 2009, dans le cadre de la lutte antiterroriste, et qui mentionnerait aussi bien le nombre de civils que celui d'extrémistes tués.

On notera que les promesses passées quant à apporter plus de transparence sur les frappes menées dans des pays non officiellement en guerre sont, pour ainsi dire, restées jusqu'à aujourd'hui lettre morte…

Après tout, transparence ou non, la désignation de « civil », « militant » ou encore « terroriste » n'est-elle pas dépendante de la perception des acteurs?

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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