S'agit-il d'un 1er Avril avant l'heure? Non, c'est une décision judiciaire bien réelle.
Au-delà de l'hilarité que peut susciter une telle décision judiciaire, c'est surtout l'argument juridique de la cour qui viole toutes les notions de logique. L'Iran n'aurait pas apporté la preuve qu'elle n'était pas liée aux attentats, et prouve par conséquent sa culpabilité.
Ce Mercredi 10 Mars, le juge George Daniels, de la cour de district du Sud de New York, a posé un jugement par défaut (1) à l'encontre de l'Iran à une hauteur de 7,5 Milliards de Dollars pour les propriétés et les familles des victimes des attentats. Cela inclut 2 Millions pour chaque propriété et souffrance, et 6,88 Millions de Dollars en dommages punitifs.
L'Iran avait été incapable de prouver qu'elle n'avait pas aidé les pirates de l'air, et donc responsable pour les dommages occasionnés par les attaques.
En ce qui concerne la collecte des 10,5 Milliards, comme celle-ci ne peut se faire que difficilement à l'encontre d'une nation étrangère, les parties civiles seront amenées à prélever sur les fonds gelés par les terroristes. Cela inclurait-il les avoirs iraniens gelés? Maître Vallat, avocat au barreau de Paris, nous explique ce que juridiquement cela signifie:
« Il faut bien comprendre que c'est un jugement rendu par défaut; on est dans une procédure qui est un peu particulière, civile. Ce n'est pas la première décision qui a été rendue par un tribunal américain sur ce cas. Il y a une loi de « Compétence Universelle », donc même des Etats souverains, en matière de terrorisme ou d'actes contraires au traitement des êtres humains. Les ayants droit des victimes et des assureurs se sont engouffrés dans cette possibilité procédurale pour réclamer des compensations financières suite aux attentats. »
« C'est parfaitement possible de le faire; en France, il y a une possibilité de jugement par défaut, avec des possibilités de recours. On s'imagine bien que l'Iran ne rentrera pas dans ce jeu-là et va laisser faire. Ces décisions sont purement symboliques. »
Décisions symboliques, car difficiles à exécuter: un débiteur est un Etat souverain, et dans la période actuelle de réchauffement des relations diplomatiques entre les Etats-Unis et l'Iran, il y aura difficilement des moyens de coercition.
Si le jugement en lui-même est étonnant, il tient la route procéduralement parlant.
C'est que cette affaire ne date pas de hier. Comme l'a expliqué Maître Vallat, de nombreuses procédures avaient précédé ce jugement.
En Décembre 2011, la même cour et le même juge avaient officiellement soutenus que l'Iran et le Hezbollah avaient aidé matériellement et directement Al —Qaeda dans la préparation des attentats. En 2012, le juge fédéral Frank Maas avait déjà évalué le montant de 6 Milliards de dommages et intérêts à l'encontre d'Al-Qaeda, les Talibans, l'Iran et le Hezbollah. Initialement, en 2003, les griefs avaient été passés contre l'Irak de Saddam Hussein; le procureur avait décidé de retirer ce pays de la défense, quand les autorités ont considéré que ces griefs étaient infondés.
Richard Labévière, écrivain, ancien rédacteur en chef de la TSR et de la RFI, spécialisé dans les questions de défense et de sécurité, et rédacteur en chef de prochetmoyen-orient.ch, nous donne son opinion sur une telle décision judiciaire et ses implications politiques.
« Cette affaire apparait dans toutes ses dimensions particulièrement grotesque. (…) Des spécialistes du renseignement et des criminologues américains ont déconstruit cet attentat de masse. 17 des pirates de l'air étaient Saoudiens ou d'origine saoudienne. (…) La fabrication de cet attentat était le point final d'une décennie, qui depuis la fin de la guerre du Golfe a vu des attentats ciblant soit des intérêts occidentaux (attentat à Aden en 2000 contre l'USS Cole, ceux de Haran, de Louxor), et qui a vu la montée d'un terrorisme djihado-salafiste issu du sunnisme radical.
L'épicentre de cet islamisme avait été l'Afghanistan entre 1979 et 1989, lorsque les Américains, à commencer par Zbigniew Brzezińsk, ont reconnu avoir tout fait pour attirer les soviétiques dans le bourbier afghan comme vengeance du Viêt-Nam; les services américains avaient, avec des fonds saoudiens et pakistanais, enrôlé, soutenu et armé des factions djihadistes internationales. (…) Ben Laden est l'enfant naturel de l'oligarchie saoudienne et des services américains.»
« C'est assez cocasse, paradoxal, sinon d'une bêtise insondable de voir aujourd'hui une cour américaine réclamer des dommages et intérêts à l'Iran, dans la mesure où l'Iran a été victime du salafisme et des groupes radicaux sunnites, et pas protagoniste ni soutien; c'est une vérité historique que les spécialistes de la région connaissent.»
Or, les Etats Unis sont en train d'effectuer un retrait politique du Moyen Orient. Al Qaeda et le Hezbollah s'affrontent sur place, et malgré cela, le corollaire a été effectué par la cour américaine entre ces deux organisations, de sorte à ce que l'Iran puisse être lié aux attentats du 11 Septembre.
La décision juridique rejoint en fait ce que le rapport de 2004 de la Commission sur les attentats du 11 Septembre avait mentionné: Al-Qaeda et le Hezbollah seraient, selon ce rapport, des alliés!
En dehors du ridicule de la décision, qui pourtant dispose d'un fondement juridique solide, c'est toute l'approche américaine à la situation au Moyen-Orient qui est en cause: que cela soit la Commission du 11 Septembre, ou la cour du District Sud de New York, tous rejoignent les propos tenus par l'ancien président américain George W. Bush peu après les attentats en question: « vous êtes soit de notre côté, soit du côté des terroristes ». C'est ce que nous confirme M. Hossein Sheikholeslam, Conseiller du Président des Affaires Etrangères du Majlis de la République Islamique d'Iran, qui nous livre son appréciation d'une telle décision juridique:
L'Iran n'a figuré dans aucune procédure contentieuse en rapport avec le 11 septembre 2001. Et si une telle condamnation dérisoire et ridicule a vraiment était prononcée — cette décision ne tient pas la route et n'a aucun fondement légitime. L'Iran n'était jamais cité à aucune des étapes de l'enquête sur ces actes terroristes.
L'investigation à l'égard des coupables avait été classée comme secrète. Mais sur la base de l'information rendue publique, on pouvait constater que toutes les pistes menaient à l'Arabie Saoudite et non à l'Iran.
Donc ça nous étonne vraiment d'apprendre cette dérisoire décision de la cour américaine sans aucun fondement légitime. Ça ressemble beaucoup à une nouvelle mauvaise plaisanterie de la part des Etats-Unis. »
(propos recueillis par Sputnik Persian, traduction du persan au français)
En conclusion, les Etats-Unis se sont tournés contre un pays, qui fut l'un des tous premiers à condamner ces attentats, et à apporter une aide face à Al-Qaeda, un ennemi commun aux deux pays. Comme quoi, l'expression « les ennemis de mes ennemis sont mes amis » ne se vérifie pas toujours.
(1) référence juridique: In Re Terrorist Attacks on September 11, 2001, 03-cv-09848, U.S. District Court, Southern District of New York (Manhattan).
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