D'ici trois semaines c'est ce qu'on risque de voir partout les autorités étant bien déterminées de faire du camp la table rase.
Des pillards rodent mais n'auront que peu de chance vu que la cabane a été consommée par le feu un seulement quelques minutes.
Ceux qui sont restés sans abri, vont s'installer ailleurs dans le camp.
« On était deux ou trois à vivre dans une même cabane. Maintenant il y a jusqu'à cinq personnes dans un seul abri, c'est de la promiscuité. Il y a des enfants, il fait froid, il pleut, nulle part où aller. On aide des amis, on essaye de se serrer les coudes », raconte un migrant originaire de l'Afghanistan.
Tout est à raser
Les autorités locales et la police n'ont pas tenu leurs promesses quant aux conditions du démantèlement de la « jungle », dit Maya de l'Association « Auberge des migrants ».
« Ils nous ont dit que tout sera fait pacifiquement, progressivement, en trois semaines, qu'il y aurait des négociations, qu'il n'y aurait pas du tout de violence. Mais dès lundi on a compris que ça n'allait pas se passer dans le calme ni pacifiquement. Dès le matin il y a eu des gens de la préfecture, la police est venue. Ils ont délimité la zone à raser, l'ont bouclée, ont fait le tour des abris en prévenant que les occupants n'ont qu'une heure pour partir. Une heure plus tard ils ont procédé à la destruction, ceux qui ne voulaient pas partir, ont été traînés de force », raconte la bénévole.
Après la première intervention les migrants étaient désorientés, apeurés, vexés. Ils ont trouvé une riposte adéquate, selon eux, en jetant les pierres sur les policiers. Ceux-ci ont riposté en tirant du gaz lacrymogène et en distribuant des coups de matraque à droite et à gauche.
«Je n'arrive pas à comprendre comme ils peuvent faire ça. Il leur aurait suffi de nous demander de partir. Mais des matraques, du gaz lacrymogène contre les femmes, les enfants, pourquoi? Les gens en France sont bien mais pas la police. Les vaches. Mais on peut aussi les comprendre — ils doivent exécuter des ordres », s'indigne l'un des habitants du camp.
Des cabanes brûlées
Pendant que nous parlons avec des migrants un autre incendie se déclare à une quinzaine de mètres. Tous ceux qui se trouvent à proximité accourent pour tenter d'éteindre le feu en renversant la cabane et en apportant de l'eau d'un ruisseau voisin. Ils réussissent à éteindre le feu mais l'abri n'est plus habitable.
« Aujourd'hui les incendies se déclarent pour principalement deux raisons. L'une d'elles c'est que c'est le fait des migrants. Ils décident de détruire une cabane avant que la police ne le fait. C'est une sorte de la réalisation de leur droit de disposer d'un bien dont ils s'estiment propriétaires », explique Maya.
La deuxième raison est l'action des policiers. « J'ai vu lundi de mes propres yeux un projectile de gaz lacrymogène tiré par la police incendier l'un des abris. Celui-ci a brûlé en quelques minutes, il y a rien à brûler là-dedans et la fusée dégage assez de chaleur pour mettre le feu », poursuit mon interlocutrice.
De l'autre côté des boucliers
Les policiers ont refusé de parler aux journalistes. Mais ils considèrent que l'existence même du camp est une anomalie et ce qui s'y passe n'est donc pas normal non plus.
« Est-ce qu'il est normal ce qui s'y passe? Vous savez, je pense que ce camp chez nous ici, c'est déjà pas normal en soi. Et on ne peut pas dire que c'est normal ce qui s'y passe, mais il n'y a rien à faire », dit à travers son masque l'un des policiers.
Le ministre des Affaires étrangers Bernard Caseneuve essaye d'encourager ses troupes. « Lorsque nous mobilisons nos travailleurs sociaux, nos troupes se font insulter, caillasser, et lorsque je mobilise des forces de l'ordre pour les protéger dans l'exercice de leur mission on crie aux violences policières. La ficelle est un peu grosse », s'est indigné le ministre lors d'un débat au Sénat.
Selon Caseneuve, la destruction de la Jungle est un travail au nom d'un « idéal humanitaire ».
« Nous ne considérons pas que maintenir des personnes en situation précaire corresponde à un idéal humanitaire. Ce qui correspond pour nous à un idéal humanitaire est de proposer à ces personnes, qui ont déjà beaucoup souffert, un dispositif qui leur permet d'être mises à l'abri et de bénéficier d'un accompagnement social et d'un accès à la langue française », a conclu le ministre cité par l'AFP.
Après la tempête
Si la journée de lundi était très agitée au camp, celle de mardi est étonnement calme. Quelques personnes traînent à proximité des cabanes détruites. Pour certains la journée suit son cours normal, pour les autres il faut aller s'installer dans un centre d'accueil temporaire créé il y a quelques mois dans une zone faisant jadis partie de la « jungle ».
Derrière une haute clôture il y a deux étages de conteneurs avec des serrures à combinaison et un poste de surveillance.
«C'est un centre d'hébergement temporaire pour les migrants. Ici ils peuvent bénéficier de bonnes conditions d'hébergement, être au chaud, il y a des douches et des salles de récréation. Ensuite les gens vont dans d'autres centres qui existent partout dans le pays », raconte Guillaume. Aujourd'hui il y a 1 300 places occupées sur 1 500 disponibles, tous les jours il y a de nouvelles personnes qui arrivent alors que certains « anciens » occupants partent pour une fois de plus essayer de se reconstruire ailleurs.
Les conteneurs sont posés sur les dalles en béton, chacun porte un numéro. Par ici c'est une zone d'habitation, par là un espace de récréation. Il y a des salles pour des familles avec enfants où les petits peuvent jouer et dessiner, pour les adultes il y a une salle de musique et une salle avec des jeux de société.
«Avec Adil, 2 ans, nous sommes venu de l'Afghanistan. Ici tout est beaucoup mieux, j'aime bien la France, mais on ne va pas rester ici. Notre papa, nos proches sont en Angleterre. Nous aussi nous voulons aller nous installer là-bas », dit en anglais une femme venue avec son fils dans une salle d'enfants. Un garçon avec de grands yeux et les cheveux bouclés joue à ses pieds avec une petite voiture bleue. On n'a pas l'impression que cette maman et son garçon manque de quelque chose: ils ont des vêtements, des jouets, de la nourriture chaude et de l'espoir. Du reste il paraît que personne n'attend le petit garçon excepté son papa en Grande-Bretagne.
Les migrants sont prêts à tout pour traverser la Manche quitte à risquer leur vie. Mais la Grande-Bretagne est intransigeante: elle n'acceptera qu'un petit nombre de réfugiés. En janvier le cabinet du premier ministre britannique Davide Cameron a déclaré que si la Grande-Bretagne acceptait les migrants de Calais, cela ne ferait qu'aggraver la situation à Douvres.
Encore des incendies
La nuit est tombée, il ne pleut plus, en revanche il y a du vent. La nuit, c'est le temps pour les migrants quand les habitants de la « jungle » sont dans leur élément.
L'ambiance est tendue déjà avant minuit. Il y a un feu par ici, un autre par là — les cabanes brûlent. Une épaisse fumée noire se lève dans le ciel au-dessus du camp alors que ses habitants courent avec des seaux pour apporter de l'eau.
Des voitures policières viennent plusieurs fois à l'entrée de la « jungle »: d'abord pour boucler la zone autour des cabanes en feu afin de permettre aux pompiers de travailler, ensuite pour faire le tour du camp sans toutefois prendre de mesures.
Si l'on ne prend pas en compte des incendies, la nuit était plutôt calme. Mais les nuits calmes, elles deviendront, paraît-il, exceptionnelles à la « jungle » — les habitants du camp ne vont pas aussi rapidement baisser les bras même s'ils n'ont plus rien à quoi s'accrocher à Calais.
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