Serait-ce son manque de popularité qui pousserait l'ancien président géorgien à faire ce type de déclaration, dont la teneur est jugée comme « populiste » partout ailleurs? Il faut dire que la cure de rigueur qui accompagne la tutelle du Fond Monétaire International sur un pays déstabilisé par la guerre civile a déjà lourdement affectée la population; l'Etat central est aujourd'hui incapable de conserver la gratuité de certains services publics, ainsi que le maintien de certaines prestations sociales.
Mais si la probable envie de redorer son image peut tenter l'ancien président Géorgien, d'autres raisons pourraient motiver l'envie de voir le FMI partir du pays, comme nous l'explique l'analyste politico-stratégique Xavier Moreau, auteur du livre l'Ukraine, pourquoi la France s'est trompée et co-fondateur du site d'analyse politico-stratégique Stratpol:
L'oligarque israélo-ukrainien, Igor Kolomoïsky — troisième fortune du pays et parrain de milices et de groupes paramilitaires — avait été démis en Mars 2015 de ses fonctions de gouverneur de la région industrielle Dnipropetrovsk dans le sud-est du pays, qu'il occupait depuis un peu plus d'un an. Une décision du président ukrainien peut-être autant aux lourds soupçons de détournement de fonds lorsqu'une partie de l'argent prêté par le FMI avait été retrouvée sur des comptes chypriotes contrôlés par Igor Kolomoïsky qu'à son dernier coup d'eclat…
Un phénomène de corruption endémique qui n'échappe pas au FMI; si en 2015 Kiev a reçu 6,7 des 17,5 milliards de dollars d'un programme de soutien étalé sur 4 ans (clef de voute d'un plan de sauvetage international du pays de près de 40 milliards de dollars), la directrice générale du Fond Monétaire, Christine Lagarde, a déclaré le 10 Février que les autorités ukrainiennes devaient fournir « un nouvel effort substantiel » dans la lutte contre la corruption si elles escomptaient que leur soit versée la prochaine et troisième tranche d'aides de 1,7 milliard de dollars, un versement qui était initialement prévu pour Octobre 2015…. Pour Christine Lagarde, sans ces réformes, « Il est difficile de voir comment le programme du FMI pourrait être un succès».
Et, si dans son interview, Mikhail Saakachvili se réfère à son management de la situation en Géorgie — pays dont il était devenu le président en 2004 des suites du renversement de son prédécesseur Eduard Shevardnadze — déclarant s'être « débarrassé du FMI en l'espace d'un an », notre expert demeure quant à lui plus réservé sur la marge de manœuvre de l'exécutif ukrainien, tenant à rappeler que la situation économique de la Géorgie d'alors, était bien différente de celle de l'Ukraine actuelle…
« Les caisses de l'Etat ukrainien sont vides, donc les moyens d'actions sont nuls. Même si demain l'Ukraine fait défaut sur sa dette, elle va être obligée de trouver de l'argent. Le seul moyen une fois qu'on a fait défaut sur sa dette est de s'adresser directement à des états par exemple. Mais le seul état qui serait à la limite prêt à aider l'Ukraine ce serait la Russie, mais pour ça il faut changer complètement de politique vis-à-vis de la Russie et puis il faut régler le problème des 3 milliards qui ne lui ont pas été payés etc. Donc ce que dit Saakachvili, ou ce qu'il ne dit, pas n'a pas de grande importance dans la situation actuelle, en plus mis à part sur Odessa il n'a tout de même aucun pouvoir».
Comme le rappelle notre expert, les caisses sont vides, et notamment depuis que la Russie n'injecte plus annuellement l'équivalent de 10 Milliards de dollars, comme elle le faisait depuis l'indépendance du pays. Des investissements à perte que les occidentaux devront compenser d'une manière ou d'une autre.
« Il faut savoir que si la coalition éclate, si jamais ils ne se mettent pas d'accord pendant un mois, il y a automatiquement des législatives et si vous prenez les résultats des élections locales, qui ont eu lieu à la fin de l'année dernière, et bien cela veut dire que le Bloc d'Opposition — qui est le successeur du Parti des Régions — va faire un retour en force d'autant plus que les partis pro-occidentaux sont nombreux et n'auront pas tant de voix que ça à se partager.
Ce qui est sûr c'est qu'on aura de nouveau un découpage parfait de l'Ukraine, qui correspond à la partie on va dire Nouvelle Russie d'Odessa jusqu'à Soumy, et une Ukraine centrale et de l'Extrême Ouest, donc on aura de nouveau une partition, avec justement une forte présence de l'Ukraine russophone et puis ce que j'ai appelé depuis longtemps la « fédéralisation de facto »: c'est-à-dire que comme l'état central va avoir de moins en moins les moyens de faire de la politique au niveau national et bien finalement ce sont les régions, qui elles vont continuer à percevoir l'impôt, qui vont s'organiser.
Pour donner un avant-goût de la situation électorale: lors des dernières élections, les élections locales de fin Octobre 2015, certaines villes de l'Est, « libérées » par l'armée ukrainienne, avaient vu les élections ajournées, comme Marioupol, ce grand port de l'Est, d'un demi-million d'habitants, non loin de la frontière russe; alors que par ailleurs, Odessa à l'instar d'autres villes à l'Ouest du pays, avait dès le premier tour préféré le maire sortant — anciennement affilié au Parti des Régions — Gennadi Trukhanov, au candidat présenté par le nouveau gouverneur de la région éponyme, à 52.3% contre 25.7% des voix… et ce malgré l'appel de la branche locale du parti du Président Porochenko à recompter les voix et la suggestion de Mikhaïl Saakachvili d'organiser malgré tout un second tour.
L'opposition entre exécutif et législatif qui pourrait bien s'accentuer: avec le départ, Mercredi 17 Février, des 26 députés du parti Samopomitch la coalition pro-européenne a été diagnostiquée virtuellement morte.
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