Une larme, rouge, en forme de cœur inversé a été rajoutée sous son œil droit. Une bonne partie de son corps de papier est désormais en lambeaux: l'éphémère, Fred le Chevalier s'en accommode très bien. C'est tout le paradoxe du collage: le charme discret de ses figures oniriques soumis aux brusques aléas des rues et des passants.
Ici, c'est le lieu où une partie des tragédies du 13 novembre s'est déroulée. Mais c'est également le quartier où vit et opère régulièrement le street-artiste Fred le Chevalier. Sa notoriété a bondit d'un coup lorsque, bouleversé par les attentats, il se met à coller encore plus et surtout, des « messages d'amour »:
Sachant que moi j'habite Rue Marie-et-Louise, donc à côté du Carillon et du Petit Cambodge. Les endroits où il y a eu les attentats, c'est des endroits où je passe tous les jours, et où je colle déjà. Donc j'ai juste collé plus, et ça me paraissait important de le faire, à ce moment-là, pour que la vie continue et pour se raccrocher à des choses qui étaient douces. Je pense qu'on est beaucoup à avoir fait cette démarche-là: c'est-à-dire qu'au moment de Charlie Hebdo (je compare parce que c'est deux choses fortes), on est un certain nombre à être restés scotchés devant la télé des jours entiers à regarder des documentaires sur Daech et d'autres choses assez stressantes. Je crois que là, il y avait un besoin de pas être complètement mangé par ça, de poser de la vie et de continuer la vie, dans l'idée qu'on va vivre avec les attentats, et qu'il y en aura d'autres probablement. On ne peut pas se mettre en pause totalement.
Ne pas se mettre en pause totalement: alors Fred est sorti et a collé, tout simplement, dans ses propres lieux de vie, pour créer un dialogue. En dehors cet espace, cela aurait été indécent, estime-t-il. Au moment de Charlie Hebdo, il avait collé des dessins inspirés par ce qui s'était passé. Mais cette fois-ci, pas question, Le Chevalier préfère coller des dessins déjà existants autour de « choses douces, des émotions, de l'amour ». Mais ce n'est pas l'unique interprétation que l'on peut en faire:
C'est sûr que j'aurai préféré qu'on parle de moi à un autre moment et pour d'autres raisons. Peut-être quand même que la réalité des choses fait ressortir le propos de mes dessins. Je n'ai pas l'impression de dessiner des arcs en ciel et des choses forcément si douces que ça. Je crois que ces dessins qui sont doux dans la forme mais qui sont une façon de poser du doux sur du dur, sur le fait de vivre dans ce monde-là, avec ces relations sociales-là. Je pense qu'il y avait besoin de doux et que ça donne une autre interprétation et un autre sens à mes dessins, et une image parfois un peu trop naïve.
Face au succès grandissant de ses premiers dessins sur internet, Fred Le chevalier s'engage dans cette voie définitivement. Non seulement en France mais aussi à l'étranger, il expose ses dessins et les colle: des petits personnages, des animaux, avec leurs grands yeux doux et leurs éternelles pupilles en virgule, qui leur donnent cet air à la fois conscient et évadé. Epris, Fred le Chevalier semble l'être depuis toujours: déjà lorsqu'il collait ses premiers dessins dans la rue de la fille dont il était amoureux. A l'époque, c'était des dessins de la taille d'une main, sans signature. Pas besoin de flanquer ses personnages d'un large sourire pour évoquer quelque chose de positif. Leurs poses aériennes et les légendes qui les accompagnent, percutantes et mystérieuses, font inévitablement voyager. Fred Le Chevalier joue sur ces contrastes.
C'est vraiment des choses qui vont ensemble, en général il y a toujours une phrase qui accompagne le dessin. Dans la rue, je ne les colle pas forcément. Peut-être par paresse parce que je ne prends pas le temps. Mais pour moi ça accompagne, dans l'idée que le dessin se veut poétique et un peu doux et fait voyager un petit peu. Et les phrases ont la même ambition: c'est-à-dire de ne pas être des phrases avec une lecture unique et qui ferme l'interprétation mais qu'on puisse éventuellement se les approprier, se raconter sa propre histoire. J'ai beaucoup collé la phrase « On ne dira que l'amour » au moment des attentats. Bon ça, c'est un peu mièvre, mais il y avait quelque chose comme ça, d'être dans un partage d'émotions porteuses, de solidarité et de soutien, quelques choses dans cet esprit-là.
Le petit bonhomme rue Bichat, sur le mur de l'hôpital St Luis, est l'un des seuls à être, partiellement, encore là. A côté d'un smiley tagué aux commissures bien basses. Un passant s'arrête: « Il m'inspire un peu de tristesse, parce que cette dame elle pleure, son cœur pleure. J'imagine qu'il a été fait en fin d'année après les événements. La tristesse, le cœur qui a été attaqué.Ca m'évoque ça. Et en même temps le recueillement avec une bougie aussi. Ça permet de faire penser à un moment où il faut prendre du recul ». Le dessin choisit évoque la compassion, l'empathie: « C'est une sorte de témoignage, mais graphique. Effectivement, il ne reste plus grand-chose. C'est un témoignage, il y a de la compassion dedans et de la tristesse évidement ». Une autre riveraine saisi bien la dualité du personnage: « Quelque chose d'un peu triste mais tourné vers un truc chouette. C'est une dualité assez belle, issue de quelque chose de triste, mais qui tend vers du positif ». Habituellement, Fred le Chevalier « dessine plus des alter egos, des amis ou des gens » qu'il aime bien. Les figures connues, les icônes, c'est moins son langage dit-il. Mais pour l'une de ces première expo, l'artiste, originaire d'Angoulême, a dressé le portrait de François Ravaillac, Charles Manson, Landru ou encore Raspoutine, sous un projet intitulé « Tous les barbus ne descendent pas d'une croix ».
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