Les Al-Saoud contre les Ayatollahs: le choc des barbes

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L'étincelle… l'exécution de l'Ayatollah Nemr El Nemr

Le 2 janvier 2016, le royaume d'Arabie Saoudite a décidé de bâillonner les critiques internationales et de prouver qu'il est digne de la présidence de l'Organisation internationale des Droits de l'Homme, qu'il occupe actuellement. Ryad est alors passée à la vitesse supérieure en exécutant quarante-sept détenus, parmi lesquels un Égyptien et un Tchadien, par balle pour quatre d'entre eux et par décapitation pour les autres. A la tête des condamnés se trouvait l'icône de la communauté chiite en Arabie Saoudite, l'Ayatollah Nemr Baqer El Nemr. La réaction est intervenue quelques heures plus tard à Téhéran sous la forme d'une attaque contre l'ambassade saoudienne par des pasdarans en colère.
Le 3 janvier 2016, à 16h30, j'étais l'invité de la chaîne de télévision publique égyptienne NILE TV International, pour l'émission The World Today. A une question sur la réponse attendue de la part des Saoudiens à l'atteinte portée à leur ambassade, j'ai déclaré que celle-ci se ferait dans le cadre du droit international. Quelques heures plus tard, lors d'une conférence de presse convoquée en urgence, le ministre des Affaires étrangères saoudien, Adel Al Jobeir, a déclaré la rupture des relations diplomatiques entre le royaume d'Arabie Saoudite et la république islamique d'Iran. Il a précisé que les personnels de l'ambassade d'Iran à Ryad devraient quitter le territoire saoudien en l'espace de quarante-huit heures. Cette attitude a aussi constitué une réponse aux déclarations faites le matin même par le guide de la révolution iranienne, l'Ayatollah Ali Khameina'i, selon lesquelles l'exécution d'El Nerm entraînerait une « vengeance divine ». Ryad a également décidé de suspendre tous les vols vers l'Iran et de cesser tous les échanges économiques entre les deux pays. Le lendemain, 4 janvier, le royaume de Bahreïn et le Soudan, suivant les Saoudiens, ont aussi déclaré la rupture de leurs relations diplomatiques avec l'Iran. Mais la réaction soudanaise est particulièrement surprenante car, bien que l'Iran n'ait plus d'ambassadeur au Soudan depuis un certain moment, Khartoum a déclaré l'avoir expulsé… Les Émirats Arabes Unis se sont contentés de restreindre leurs relations bilatérales avec l'Iran, décidant seulement de réduire leurs effectifs à Téhéran. Le 5 janvier, le Koweït a lui décidé de rappeler son ambassadeur à Téhéran et de rompre ses relations diplomatiques avec l'Iran. L'Égypte, enfin, a confirmé que Le Caire avait cessé toute relation diplomatique avec l'Iran depuis la révolution islamique de 1979: rappelons que la république islamique n'hésite jamais à perturber la sécurité interne de l'Égypte, quel que soit le moment.

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Le cauchemar géopolitique des Saoudiens

Examinons maintenant les conséquences possibles à venir de ces événements… sans oublier d'ajouter, comme les présentateurs des bulletins météorologiques à la télévision saoudienne, « Allah sait mieux!!! ».
Actuellement, la maison Al-Saoud est face à plusieurs défis. Il est vrai que ses alliés sont nombreux, mais cela n'empêche pas de s'interroger sur leur fiabilité à long terme, et des sacrifices consentis en échange des pétrodollars. Les mercenaires colombiens, pakistanais, bangladeshi et soudanais coûtent cher au royaume, mais les pays sunnites majeurs de la région, comme l'Égypte, la Turquie et le Pakistan, n'ont pas réellement engagé une action terrestre dans le conflit yéménite, comme souhaité par les Saoudiens.
La problématique principale de l'Arabie Saoudite d'aujourd'hui réside dans sa stratégie de défense nationale, construite sur l'alliance sacrée avec les États-Unis. Cette alliance s'est concrétisée avec réussite pendant la deuxième guerre du Golfe, en 1990, lorsque les armées irakiennes ont envahi le Koweït, menaçant sérieusement la survie du royaume wahhabite.
Le contexte actuel reste cependant différent puisque l'importance stratégique de l'Arabie Saoudite est désormais réduite, pour les raisons suivantes.
1. La chute des prix du pétrole, orchestrée par les Saoudiens n'est qu'une aventure périlleuse et condamnée à l'échec pour Al-Saoud. Certains producteurs de pétrole comme la Russie sont des géants industriels qui peuvent endurer une baisse des prix pour un certain moment. Si les Russes ont surmonté le siège allemand de Stalingrad, ce ne sont pas les petites manœuvres pétrolières des Al-Saoud qui vont les faire s'agenouiller!!! Les puissances occidentales, quant à elles, recourent à d'autres sources d'énergies ou même à d'autres méthodes d'extraction du pétrole comme la fracturation hydraulique, à l'instar des États-Unis. Les Saoudiens ne sont d'ailleurs pas capables d'extraire eux-mêmes leur propre pétrole et recourent à des industries étrangères.
2. Ryad est toujours un obstacle majeur pour la normalisation des relations entre Téhéran et l'Occident.
3. Le royaume promeut, dans sa pratique religieuse, le courant wahhabite sunnite, principale source des mouvements terroristes dans le monde, et notamment adopté par le mouvement terroriste des Frères musulmans. Cette idéologie a été massivement promue dans le monde, auprès de nombreux foyers islamiques. Même ceux qui prônent la théorie de « l'Islam modéré » trouvent que l'Arabie Saoudite est un extrême à éviter.
4. L'implication de nombreux membres de la famille royale saoudienne dans le financement des activités menaçant la sécurité des pays occidentaux commence à devenir un vrai souci pour de nombreux États occidentaux.
5. Les divisions au sein de la maison Al-Saoud sont bel et bien présentes, et de nombreux princes contestent le rôle accru de l'actuel ministre de la défense, deuxième dans la succession de son père, le prince héritier Mohamed Ben Salman, âgé de trente ans et fils de l'actuel roi Salman.
Le bourbier yéménite, dans lequel se sont jetés les Saoudiens, est une aventure dangereuse qui risque de devenir une véritable guerre d'usure pour le royaume et ses alliés. D'une part, les postes-frontière des troupes d'Al-Saoud sont détruits avec précision par les missiles iraniens lancés par les milices chiites d'Ansar Allah, connues sous le nom de Houthis. D'autre part, la « coalition » guidée par l'Arabie Saoudite ne cesse de provoquer des dégâts collatéraux à l'occasion du bombardement des villes yéménites, massacrant des civils et dernièrement l'hôpital de Médecins Sans Frontières (MSF). Il ne faut pas non plus oublier la destruction des sites archéologiques de l'ancienne ville d'Eden, classés par l'UNESCO. Le recours en secret à l'aide des experts militaires israéliens ne changera pas vraiment les données sur le terrain, car le Yémen est un territoire difficile à gérer. Le résultat sera une érosion graduelle des territoires au sud de l'Arabie Saoudite au profit des milices yéménites.

Des manœuvres iraniennes…avec une « bénédiction » occidentale?

Les Iraniens, quant à eux, ont l'expansion pour mot-clé dans tous ces événements. Qu'elle soit rapide, comme en Irak, ou graduelle, comme en Syrie et au Yémen, cette expansion est le but ultime des Ayatollahs. La république islamique s'appuie aussi sur la notion de « résistance populaire », comme au Bahreïn ou au Qotaif, à l'est de l'Arabie Saoudite. Les négociations sur le dossier nucléaire avec les puissances occidentales ne sont qu'un moyen de pression pour accélérer cette expansion territoriale. Contrairement à ce qu'ils prétendent, les dictateurs iraniens savent bien qu'ils seront incapables de mener une guerre ouverte contre Israël ou les États-Unis, mais ils sont persuadés que des pays comme le Bahreïn, l'Arabie Saoudite ou même les Émirats Arabes Unis doivent être éliminés, annexés et soumis à la branche chiite de l'Islam et à la domination perse, bien distincte des Arabes bédouins du Golfe.
L'Iran a longuement constitué, au sein de la communauté internationale, un Etat voyou. Les Iraniens ont ainsi plus d'expérience dans l'organisation du chaos avec les puissances occidentales. Le 23 mars 2007, par exemple, les forces navales iraniennes ont capturé un navire de guerre britannique au large du Golfe persique et en ont détenu les marins jusqu'à ce que le Royaume-Uni parvienne à obtenir leur libération, après avoir exercé toutes les pressions diplomatiques possibles. Le même scénario s'est répété le 12 janvier 2016, au même endroit, mais avec une corvette américaine. Les Iraniens ont prétendu que les dix militaires avaient violé l'espace maritime de la république islamique, avant de les relâcher le lendemain.

 


Ces manœuvres ont une signification géostratégique, et la diffusion de l'image des soldats américains agenouillés, les bras croisés derrière la tête, constitue un sérieux message: les Iraniens veulent ainsi dire aux Saoudiens que leurs « protecteurs superpuissants », les Américains, ont été capturés et humiliés en pleine mission militaire au large du Golfe persique. Message que ses destinataires ont bien reçu. Washington n'a d'ailleurs émis ni commentaires, ni menaces après cet incident.
Dans cette pièce de théâtre, orchestrée par les chefs de la garde révolutionnaire iranienne, ce qui est curieux n'est pas l'action osée des Iraniens mais plutôt l'inaction des Américains. Nous sommes habitués à ce que la CIA, le « James Bond » global, contrôle tout et à ce que le Pentagone maîtrise toutes les situations, graves ou non, sur terre, en mer ou dans l'air. Chez l'Oncle Sam, tout est généralement bien étudié, surtout lorsque sont en jeu les affaires militaires du Golfe et leur traditionnel ennemi, les Iraniens. Le silence de Washington ainsi que ses remerciements3 aux Iraniens après cet incident fut un précèdent étrange, car les États-Unis ne toléreraient jamais de telles provocations de la part des Ayatollahs; mais en réalité, il constitue lui-même un message puissant à destination des Saoudiens. Le 16 janvier 2016, le royaume wahhabite a essuyé l'un des plus grands échecs de sa politique extérieure: les sanctions imposées à la république islamique iranienne depuis plus de trente ans ont été levées par la communauté internationale. Ryad n'a même pas réussi à retarder la levée des sanctions.

Le point de non-retour s'approche

Téhéran, ainsi, est actuellement en train d'améliorer progressivement ses relations avec les diverses puissances occidentales. Les Ayatollahs comprennent bien qu'ils représentent actuellement un intérêt pour l'Occident, et que la lune de miel d'Al-Saoud avec Lawrence est terminée. Les Saoudiens, en effet, ne sont plus capables de séduire la puissance américaine comme avant. Ils sont en train de jouer leurs cartes l'une après l'autre, comme le pétrole, l'expansion de l'idéologie wahhabite, l'achat d'armes ou de groupes médiatiques. A moyen terme, le royaume wahhabite n'arrivera pas à faire face aux menaces iraniennes, ni sur le plan extérieur, ni sur le plan intérieur, notamment dans les zones de l'est majoritairement chiites. Mais je développerai cette thèse en détail dans un prochain article.
L'influent ministre de la défense et héritier du trône, Mohamed Ben Salman, est contesté par de nombreux membres de la famille royale. Avec l'aide du ministre des Affaires étrangères, Adel Al-Jobeir, et l'appui de Washington, sur les positions duquel il s'aligne automatiquement, il tente de s'affirmer comme l'homme fort du pays, apte à consolider la puissance régionale de son royaume.
Les jours de ce royaume pétrolier sont donc comptés, et sa décomposition géographique et politique n'est plus qu'une question de temps.
La république islamique d'Iran, de son côté, est impatiente de recevoir le feu vert pour déstabiliser d'autres pays de la région par l'exportation de sa sanglante dictature théocratique. Le royaume d'Arabie Saoudite est la première sur la liste, mais eu égard à l'idéologie wahhabite, et vu le soutien apporté à l'État Islamique (EI) par les Al Saoud, ou encore les dégâts causés par l'influence de cette famille partout dans le monde, il est difficile de pencher en faveur de l'un ou de l'autre des deux camps. Le choc des barbes, qui existe pourtant depuis 1.400 ans, arrivera donc bientôt à son point de non-retour.

 

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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