Le cours de l'acier et les prix des métaux ferreux ne cessent de s'effondrer depuis plusieurs années, et ce lundi les ministres de l'économie allemand, belge, britannique, français, italien, luxembourgeois et polonais ont dans une lettre commune décidé d'enjoindre la Commission européenne à « utiliser tous les moyens disponibles » afin d'« agir fortement pour répondre à ce nouveau défi », que constitue le « risque important et imminent d'effondrement du secteur européen de l'acier ».
Une situation excédentaire, qui ne fait qu'amplifier une chute des cours déjà « considérable » pour notre expert: Philippe Chalmin, professeur à l'Université Paris-Dauphine, et spécialiste des marchés des matières premières, qui, même s'il n'exclut pas l'existence d'une forme de dumping de certaines sidérurgies chinoises, tient à faire le point sur une situation plus compliquée qu'il n'y parait:
Une coordination des acteurs nationaux de l'industrie sidérurgique d'autant plus difficile que la Chine est en pleine mutation économique; après avoir soutenue une croissance débridée via un développement industriel intense et particulièrement gourmand en acier, elle se recentre aujourd'hui sur son marché domestique. Ce qui n'est pas sans provoquer une certaine surcapacité de production. Une surcapacité, contre laquelle le gouvernement n'aurait pas toutes les clefs en main, si on en croit notre expert:
Une surcapacité de production, dont le produit se retrouve exporté quoiqu'il en coute… et l'Union Européenne, marché consommateur historique, figure bien entendu parmi les destinataires. Cependant, si la demande européenne n'a pas augmentée, les importations d'acier chinois auraient quant à elles été multipliées par 3 entre 2010 et 2014, selon Eurofer, la corporation en charge de la défense des intérêts du corps de métier à Bruxelles.
Si bien qu'en Mars 2015, l'Europe avait déjà mis en place un éventail de mesures anti-dumping à l'encontre de l'acier laminé inoxydable en provenance de Chine et de Taïwan. Des mesures, prenant la forme de taxes compensatoires allant de 10,9% à 25,2% que la Commission Européenne pourrait décider de reconduire. Si la Commission s'est dite à l'écoute des états membres, et prête à ouvrir des enquêtes de sa propre initiative afin de prévenir les intérêts européens de tous dommages causés par des pratiques déloyales, elle doit néanmoins agir dans le cadre des règles de l'OMC.
Sur ce dernier point, les 7 ministres de l'économie, se sont montrés insistants, priant la Commission de « ne pas attendre que les dommages causés par les pratiques déloyales deviennent irréversibles pour notre industrie ». Cependant, d'ici là tout n'est pas perdu pour tout le monde: si la chute du cours de l'acier fait grincer les dents des producteurs européens, les industriels qui emploient l'acier dans la transformation de leurs produits finis se frottent les mains, comme Whirlpool par exemple, pour qui l'acier entre dans la composition des lave-linges…
« Effectivement, il faut resituer la baisse des prix de l'acier, dans le contexte général de la baisse des prix de l'ensemble des matières premières: que ce soit l'énergie, que ce soient les métaux non ferreux, et donc une zone largement importatrice et consommatrice comme l'Europe, aurait tendance à en profiter… maintenant se pose le problème de la survie des dernières aciéries européennes: lorsque l'on voit par exemple Arcelor-Mittal fermer des capacités de production au Pays basque espagnol, lorsque l'on voit les problèmes rencontrés en Italie, lorsqu'on se pose les problèmes de l'avenir de la Lorraine, tout ceci marque bien peut-être la fin d'une époque, il faut être bien conscient, même si on peut presque dire que « c'est la faute à la Chine », que la Chine est confrontée à d'énormes problèmes, ils ont vécu avec une période durant laquelle la consommation d'acier augmentait de presque 15% par an, je pense qu'ils ont atteint ce qu'on pourrait appeler le « pic-steel », […] ce qui va leur poser d'énormes problèmes et eux aussi vont être confrontés à la situation de fermer des capacités ».
Si les chinois totalisent à eux seuls plus de 60% de la production mondiale d'acier, en progression constante, notre expert exclut toute crainte des européens vis-à-vis d'un monopole chinois et donc d'une dépendance des économies européennes vis-à-vis d'une source d'approvisionnement contrôlée par Pékin:
Une crainte qui serait d'autant plus infondée que si les acteurs de l'aciérie mondiale sont aujourd'hui quasiment tous extra-européens, il en existe néanmoins un, et pas des moindres qui subsiste dans le giron européen: le leader mondial du secteur Arcelor-Mittal, l'ancien français Arcelor, repris début 2006 par le néerlandais Mittal via une offre publique d'achat hostile, et aujourd'hui sous couleurs luxembourgeoises. Lakshmi Mittal avait d'ailleurs été l'un des premiers à enjoindre la Commission européenne à agir face aux pratiques commerciales des aciéristes chinois.
L'Europe reste après la chine le deuxième producteur d'acier au monde, avec 170 millions de tonnes produites par an, soit un peu plus de 11% de la production mondiale. Un secteur qui représente plus de 170 milliards d'euros et 330 000 emplois, mais dans lequel Commission Européenne dénombre jusqu'à 40 000 emplois détruits ces dernières années.
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