Cette histoire a fait le tour du web et des médias, à l'hilarité générale. On s'imagine bien M. Cazeneuve planté devant un ordinateur vociférant des noms d'oiseaux. L'affaire, rapportée par le Canard Enchaîné (pour info: journal satirique) ce Mercredi a pourtant de quoi soulever des questions.
Or, le blocage aurait été « réévalué », ce qui signifie qu'une telle mesure avait été mise en place auparavant, et que beaucoup de d'avertissements et de mises en garde ont été envoyées à l'utilisateur (ou aux utilisateurs) de cette adresse IP: "Veuillez cesser immédiatement toute dégradation de Wikipédia. Au prochain acte de vandalisme, vous serez interdits en écriture." Surtout que les blocages remontent jusqu'en 2008.
Et ce n'est pas tout le Ministère qui est bloqué, seulement une adresse IP sur 256. Par voie de conséquence, le Ministère lui-même devrait connaître les usagers de cette adresse IP.
Grosso modo, rien de spécial n'en ressort.
Cette affaire ne date pas d'hier (le premier blocage de cette adresse date de 2008). Donc Y-a —t'il quelque chose de plus profond qu'un simple tas d'injures faites à partir d'un ordinateur du Ministère?
Pour en parler avec nous, Maitre Antoine Cheron, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies et le droit d'internet.
La question du droit de l'utilisateur de Wikipédia ressort de cette affaire.
Wikipédia est un éditeur et il est sous le régime des licences de creative commons, c'est-à-dire que les utilisateurs peuvent modifier et réutiliser les articles, avec un certain nombre de droits et de conditions générales à respecter; mais on est sur un principe d'utilisation libre des contenus, et c'est fondé sur le principe de neutralité de point de vue, au niveau des informations qu'il contient.
Nous sommes dans une époque où internet est de plus en plus utilisé, au point que nos vies y sont mêlées; verrait-on une jurisprudence et une législation qui délimitent de plus en plus l'usage d'internet?
C'est un droit fondamental (la liberté d'expression) qui s'applique, sauf s'il est porté atteinte aux droits du tiers: vous ne pouvez pas diffamer, vous ne pouvez pas porter atteinte à l'honneur et à la considération de tiers. C'est ce que dit Wikipédia dans l'article 4 de ses conditions générales d'utilisation. Wikipédia a encadré cet espace de liberté.
Vous avez certains Etats qui veulent contrôler le contenu, et on peut le comprendre, que le Ministère veuille que les hauts fonctionnaires aient une image sur la place publique, une image qui ne soit pas entachée par certains faits. Ils ne veulent pas que certaines informations, qui ont porté atteinte ou préjudice par le passé à certains hommes politiques ou publics, ne soient révélées dans un le cadre d'informations comme Wikipédia. Les pages officielles, comme celles du Ministère de l'Intérieur, sont très fortement modifiées, puisqu'apparemment plus de 4000 modifications ont eu lieu récemment.
Et Wikipédia est un hébergeur indépendant, collaboratif, n'a pas souhaité l'entendre comme ça; ce n'est pas une affaire personnelle, mais Wikipédia depuis quelques années alerte le Ministère, ce qui a donné lieu à des échanges entre le site internet et le Ministère (dans lesquels des injures ont été proférées), et c'est la raison pour laquelle Wikipédia a déclaré que le Ministère ne respectait pas les conditions générales, et qu'il ne pouvait pas faire tout et n'importe quoi sur la suppression du contenu, et sur la façon de s'adresser au site internet.
Sur le même principe que celui de la pénalisation de l'usage de stupéfiant, existe-t-il un risque de voir se développer un autre internet parallèle, underground et extrême, comme le deep web?
A partir du moment où le deep web et le dark net se développent, à l'insu de chacun, ne deviennent-ils pas l'internet? Il est très facile de trouver des portes d'entrée au deep web, il n'est pas si anonyme que ça, comme les liens torrents ou les TOR (The Onion Router); la police a investi le deep web, donc ce n'est qu'une sous-couche de l'internet. La question d'aujourd'hui, c'est la liberté d'expression; depuis quelques années, internet a pris de mauvaises manières, il n'y avait pas régulations au début d'internet: le copier-coller, téléchargements illégaux, se sont propagés. Il est donc difficile à posteriori de réguler internet. Cette affaire en tout cas révèle l'ambiguïté entre la liberté d'expression et le contrôle du contenu.
Est-ce que le contenu qui est sur Wikipédia peut porter préjudice à certaines personnes, est-ce que ce contenu est réel et est- ce de l'intérêt du public? Et si c'est le cas, il n'y a aucun intérêt à ce que le contenu soit supprimé par le Ministère. Il faut donc envisager autre chose sur la réalité de l'information véhiculée à travers cette page Wikipédia.
Foutage de gueule, ou pas, l'affaire n'aide pas à prendre le Ministère au sérieux; si les dirigeants de la Place Beauvau avaient eu la liste des utilisateurs de l'adresse "interieur.gouv.fr", pourquoi diable attendre si longtemps, et laisser faire les choses? On n'est pas loin de la conspiration, mais plutôt que de partir dans des théories de cet acabit, nous conclurons sur une politique informatique inepte de la part de ceux censés assurer la sécurité de leurs concitoyens; à l'heure des guerres cybernétiques, il est bien amer, le ministère…
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