Mme Wihtol de Wenden, directrice de recherche au sein du CNRS, nous donne son point de vue concernant la Suède.
La Suède a été une destination prisée par les demandeurs d'asile en raison des bonnes conditions d'accueil, des prestations intéressantes, et d'un marché du travail attractif.
C'est une philosophie de l'accueil qui est ancienne, des années 1970, et qui accueillait des réfugiés du Viêt-Nam, des Kurdes et des Iraniens. La plus grande partie de la population immigrée en Suède est constituée de réfugiés.
Une telle décision avait été déjà mise en place de façon temporaire en novembre, le gouvernement ayant alors annoncé ne "plus pouvoir accueillir tous les réfugiés", avait restreint la possibilité de regroupement familial, rendu les permis de séjours temporaires, et imposé des expertises afin de vérifier l'âge des migrants. Avec un pic de 10.500 demandeurs d'asile à la mi-novembre, le chiffre est tombé à 3.500 selon l'Office des Migrations. La vice-première ministre suédoise avait dû annoncer ces mesures les larmes aux yeux.
Cette fois-ci, la mesure concerne de façon permanente le pont d'Öresund, point de passage principal qui relie la Suède au Danemark depuis 2000, ainsi que les ferries empruntant le détroit du même nom.
Il y a eu un revirement l'an passé, avec une nouvelle majorité électorale, hostile à l'arrivée de nouveaux migrants; on assiste donc à la fin d'une époque (celle du "welfare", de la solidarité) et qui s'abat sur beau nombre de pays européens actuellement.
La Suède avait reproché au Danemark, de n'avoir reçu en 2015 que 18.000 demandes d'asile. Le gouvernement danois avait pris d'ailleurs beau nombre de dispositions afin de décourager les réfugiés (restrictions quant à l'accès à l'aide sociale), et avait décidé de restaurer les contrôles à sa frontière avec l'Allemagne (à Rostock notamment).
On est en droit de se demander dès lors si la Suède est en conflit avec les engagements qu'elle a pris par le passé. C'est sur ce point que nous éclaire Mme Wihtol de Wenden:
La Suède est membre de l'UE depuis 1995, partie des accords de Schengen; elle prend part donc à l'acquis communautaire, avec sa tradition d'accueil. Ce sont donc bien des obligations auxquelles elle est liée.
Le contexte a-t-il influencé sur la prise de décision à Stockholm?
En me rendant en Suède l'année dernière (fin 2014), il y avait la pression de sentiments populistes au sein de l'opinion, et d'autre part l'importance de la politique d'asile qui est au cœur de la politique d'immigration en Suède, contrairement à beaucoup de pays européens qui ont eu une immigration de travail. Donc, le contexte des autres pays n'a pas influencé la Suède.
Le populisme grandissant en Suède, ainsi que dans toute l'Europe depuis de nombreuses années, n'est pas étranger à tout ça. C'est donc bien une réaction politique, et l'érosion du modèle suédois, qui fait machine arrière, en parallèle à une évolution des politiques pratiquées par de nombreux pays sur le long terme.
Le populisme a une part importante dans l'expression de l'opinion publique, surtout quand la décision est prise par un parti de centre-gauche. La Suède est un pays fonctionnant avec des politiques de consensus. Ce consensus a disparu aujourd'hui avec une politique de durcissement, soutenue par une opinion publique frappée par le chômage et par un souci de sécurité.
Les gouvernements européens préfèrent de plus en plus régler les questions sur place, avec des centres d'accueil, les « hot spots » maintenus hors des frontières de l'Europe, en Turquie ou au Liban, et aussi en réglant les déplacements avec les pays de transit comme ceux d'ex-Yougoslavie.
C'est donc une politique de maintien à distance, et ce, malgré le fait que l'Europe soit signataire de nombreux engagements internationaux (Convention de Genève, Déclaration Universelle des Droits de l'Homme), l'obligeant à être un exemple en matière de droits humains et humanitaires.
L'Europe est donc prise entre deux tendances contraires.
Des pays d'accueil pris entre leurs obligations et l'urgence de la situation. Un terrible choix cornélien dans lequel aucun législateur ne pensait se retrouver il y a encore peu.
Ce sont des mesures unilatérales, mais qui concernent les frontières entre pays, ce qui frappe ceux qui croient que les politiques suivent les règles de droit. Or, c'est souvent l'inverse qui se produit, et ce de plus en plus régulièrement: les mesures gouvernementales suivent les évènements, ce que le droit ne fait que lentement, après maintes procédures d'adoption.
Martin Schäfer, porte-parole du ministère allemand des Affaires Etrangères, a déclaré, à la suite de ces mesures, que celles-ci déploieraient de meilleurs effets si elles étaient prises en concertation. Or les Accords de Schengen, auxquels ont souscrit la Suède et le Danemark, prévoient la possibilité de rétablir des contrôles aux frontières dans des cas exceptionnels.
En définitive, ce qui relevait de compétences européennes relève désormais du "chacun pour soi".
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.