Hélicoptères de Russie: l’ouverture du capital pourrait annoncer un virage macroéconomique

© AFP 2024 Natalia KolesnikovaHélicoptères militaires russes et le drapeau de la Russie. Image d'illustration
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L’annonce d’une possible privatisation partielle de la holding publique « Hélicoptères de Russie » est un signal fort, celui d’un possible désengagement de l’Etat russe au sein de l’actionnariat des grandes corporations constituées dans les années 2000. L'Analyse de Philippe Migault.

Celles-ci, OAK (avions de combat civils et militaires), OSK (construction navale), Almaz-Antey et KTRV (missiles)…ont été créées afin de doter la base industrielle et technologique de défense (BITD) russe de champions nationaux segment par segment. Cette concentration des actifs, envisagée dès les années 90, alors qu'aux Etats-Unis et en Europe se déroulait un processus de fusions donnant naissance à des géants industriels (EADS, BAe Systems, Lockheed-Martin…), visait à permettre aux groupes russes d'atteindre la masse critique leur permettant de rester concurrentiels à l'international. Elle avait aussi pour objectif de permettre à ces Goskorporatsiï de répondre aussi bien aux besoins de l'export qu'à ceux du marché domestique russe, délaissé par la plupart des entreprises compte tenu de la réduction drastique des budgets de la défense consécutive à la fin de l'Union Soviétique.

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Dans ce cadre, il était prévu de déployer une stratégie industrielle en trois phases.

La première consistait en la constitution de chacune de ces grandes holdings étatiques par le rassemblement des entreprises demeurées sous le contrôle de l'Etat d'une part, par l'acquisition des entreprises privatisées à l'occasion du processus de libéralisation de l'économie russe d'autre part.

La seconde était la phase de rationalisation de l'outil industriel. Il s'agissait de mettre sur pied au sein de chaque holding une organisation logique, avec métier par métier une entreprise exerçant le leadership (Sukhoï pour les avions de combat au sein d'OAK, UMPO Oufa pour les réacteurs d'avions de combat…), regroupant sous son autorité l'ensemble des actifs compétitifs de la holding sur son segment, les structures non performantes étant éliminées. Cette opération devait se traduire par des économies d'échelle, une sensible diminution de la masse salariale et des gains de productivité.

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La troisième phase, enfin, devait être celle de la privatisation —totale ou partielle- de ces Goskoropratsiï, une fois celles-ci jugées compétitives. Il n'a en effet jamais été question officiellement de reconstituer un complexe militaro-industriel entièrement détenu par l'Etat russe: « Les immenses holdings étatiques apparaissent quand des investissements importants et sur le long terme sont nécessaires dans un domaine donné et pour lesquels les investisseurs privés sont démunis. C'est ça l'objectif. On ne veut pas en revenir au capitalisme d'Etat », déclarait en 2008 Vladimir Poutine. Cette stratégie semblait depuis quelques années caduque. L'accent mis par les autorités russes sur le plan de modernisation des forces armées et son corollaire, la nécessaire modernisation de la BITD, semblait impliquer une prise de contrôle à long terme de l'Etat sur les entreprises d'armement. Il n'en est peut-être rien.

Toutefois Hélicoptères de Russie constitue un cas particulier. De toutes les Goskorporatsiï de défense, elle est celle qui a su le plus rapidement atteindre les objectifs assignés.

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Certes, la masse salariale reste bien trop lourde, avec 41 000 salariés, si on la rapporte au chiffre d'affaires (3,4 milliards d'euros), comparativement, par exemple à Airbus Helicopters (23 000 employés pour 6,3 milliards d'euros).

Mais d'autres chiffres attestent de la réussite du projet industriel. Créée en 2007, Hélicoptères de Russie produisait, en chiffres pro forma, 85 machines par an en 2004. Elle en a construit 303 en 2013. La société, dans un marché militaire extrêmement compétitif, a vu sa part du marché mondial reculer mais nettement moins, comparativement, que ses principaux compétiteurs. L'Américain Sikorsky détenait 29% du marché international en 2011, contre 23% à Hélicoptères de Russie et 21,5% à Eurocopter. Le groupe russe, avec 19% des parts de marché en 2014, n'est plus qu'à 2 points du leader mondial, Sikorsky (21%), tant qu'Airbus Helicopters a accusé un très sensible recul (11%). La société demeure un acteur de second rang sur le marché civil (7% des parts en 2014 contre 44% pour Airbus Helicopters), mais progresse là aussi très vite, multipliant les programmes ambitieux (Mi-38…) et en élargissant sa gamme aux machines légères, segment dont elle était jusqu'ici absente. L'entreprise, par ailleurs, consent de gros efforts pour gommer ses points faibles. Alors qu'on lui reprochait un mauvais maintien en condition opérationnelle des appareils et un service après-vente (SAV) médiocre, elle a multiplié son réseau international de filiales dédiées au SAV. Multipliant par ailleurs les partenariats internationaux avec les groupes français (Thales, Sagem DS, Turbomeca), italien (Agusta-Westland), elle bénéficie de transferts de savoir-faire qui pourraient lui permettre, dans les années à venir, de s'imposer comme le leader mondial sur la défense, comme l'un des principaux acteurs sur le civil.

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On ne sait pas encore quel est l'acteur privé qui est prêt à se porter acquéreur d'une partie du capital d'Hélicoptères de Russie. Denis Mantourov, le ministre de l'industrie russe qui a dévoilé le 29 décembre l'information, est resté discret. On ignore sa nationalité, la participation qu'il ambitionne, les fonds qu'il est prêt à investir. Le groupe russe avait déjà tenté en avril 2011 de placer 30% de son capital en bourse sur le marché de Londres, où il espérait lever 500 millions de dollars, avant de retirer son IPO (Initial Public Offering) faute d'investisseurs intéressés. Cet échec avait été accueilli avec soulagement par les acteurs du secteur, estimant que si l'entreprise parvenait à ouvrir son capital, elle pourrait se désendetter et moderniser davantage encore son appareil de production. L'heure est peut-être venue pour Hélicoptères de Russie. Mais au-delà de ce dossier précis, le temps est peut-être aussi venu pour l'Etat russe de se désengager d'un certain nombre d'actifs. Alors que les prix du baril de pétrole ne cessent de chuter et qu'une reprise satisfaisante semble lointaine, le moment est peut-être opportun pour engager la grande diversification de l'économie du pays ce qui passe, notamment, par une privatisation partielle permettant au Kremlin, tout en gardant le contrôle des secteurs les plus stratégiques, de consacrer ses ressources aux secteurs qui en ont le plus besoin. Alors que le rappel d'Alexeï Koudrine, l'ancien ministre des finances russe, partisan de telles mesures, est de nouveau évoqué, de telles mesures sembleraient propices au rétablissement de la confiance vis-à-vis de l'économie russe.

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