A-t-on démasqué le créateur du Bitcoin?

© REUTERS / Mark BlinchUn signe de Bitcoin
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Des journalistes américains affirment avoir découvert le nom du véritable créateur du système Bitcoin: il s'agirait de l'homme d'affaires australien Craig Wright. Les experts demandent plus de preuves.

Le lundi 14 décembre, la crypto-monnaie Bitcoin continuait son rallye en bourse. Selon le site CoinDesk, à 10 heures du matin heure de Paris 1 Bitcoin était négocié à 440 dollars, alors que la semaine précédente il avoisinait les 396 dollars. En l'espace de presque une semaine, la valeur du Bitcoin a donc grimpé de plus de 10%.

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Cette hausse reflète la réaction des investisseurs à l'annonce du véritable nom du créateur de la monnaie virtuelle, qui se cachait depuis huit ans sous le pseudonyme de Satoshi Nakamoto. Selon eux, il s'agirait de l'homme d'affaires australien Craig Wright.

Posts de blog et e-mails révélateurs

Pour démasquer l'homme d'affaires, des investigations journalistiques étaient menées indépendamment par les revues Wired et Gizmodo, qui en ont publié les résultats dans la soirée du mardi 8 décembre avec une différence d'une heure et demie — Wired a été le premier à publier. Les journalistes racontent qu'en novembre, ils ont été contactés par l'expert en sécurité cybernétique Gwern Branwen, qui leur a transmis plusieurs documents qu'il aurait obtenus de la part de sources anonymes de l'entourage de Wright.

Parmi ces documents figurent plusieurs notes du blog de Wright sur ses projets de créer une monnaie virtuelle datant d'automne 2008, ainsi que la copie d'une note supprimée sur le lancement du projet Bitcoin datant du 10 janvier 2009 — le lendemain de l'annonce faite par Satoshi Nakamoto concernant la création du Bitcoin (voire le jour même compte tenu du décalage horaire entre les USA et l'Australie).

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De plus, les journalistes ont eu accès aux archives mail de Wright montrant que, peu de temps avant le lancement de la crypto-monnaie, il évoquait avec son ami et analyste informatique David Kleiman le lancement de centaines de serveurs informatiques pour réaliser une certaine idée. Avant son décès en 2013, Kleiman dirigeait le fonds Tulip Trust dont les actifs s'élevaient à 1,1 million de Bitcoins — c'est cette fortune qu'on attribue en général à l'anonyme Satoshi Nakamoto (soit 480 millions de dollars actuels).

De son côté, la revue Gizmodo attire l'attention sur une correspondance plus tardive datant de janvier 2014. Un certain Nakamoto (communiquant à partir de la même adresse électronique à laquelle arrivaient les messages sur le lancement du projet Bitcoin) y mentionnait la nécessité de faire adopter des lois nécessaires au fonctionnement du projet Bitcoin au parlement australien. Dans l'entête de la lettre était indiqué le numéro de téléphone de Wright.

Enfin, les journalistes ont dit posséder plusieurs documents dans lesquels Craig Wright reconnaissait directement être le fondateur du Bitcoin — d'un courrier personnel aux sténogrammes des audiences à la direction des affaires fiscales de Sydney.

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Au contraire, le professeur de l'université de Cornell (USA) Emin Gun Sirer, qui communiquait avec Wright sur des questions d'ordre professionnel, est convaincu que l'Australien n'est pas le créateur du Bitcoin. "D'après notre correspondance il était clair que Wright n'était pas un spécialiste des protocoles réseau. Il sait peut-être comment installer des serveurs, voire un peu plus, mais ce n'est pas Satochi. Aujourd'hui il rencontre des problèmes car il a obtenu des préférences fiscales pour des projets de recherche et développement qu'il n'a jamais mis en œuvre".

Sarah Jeong, reporter de la revue Motherboard, doute elle aussi du lien entre Wright et Nakamoto. Elle rappelle que l'identité de l'expéditeur du message pouvait être déterminée grâce à la clé PGP en tant que porteur de la signature numérique de l'interlocuteur. En vérifiant les messages transmis par les revues Wired et Gizmondo, elle a conclu que les clés de ces messages utilisaient un système plus récent de cryptage par rapport à celui utilisé dans les vraies lettres de Satoshi Nakamoto en 2008-2009.

Perquisition chez Wright

Quelques heures après la publication du résultat des enquêtes journalistiques, le domicile de Wright a été perquisitionné. La police australienne a officiellement déclaré que cette procédure ne concernait pas les récentes publications: Wright serait soupçonné de fraude fiscale. Le propriétaire de la maison a déclaré au Guardian que ses locataires — la famille Wright — étaient partis à Londres début décembre.

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Un mystère

Depuis les premières publications sur la création de la crypto-monnaie en automne 2008, de nombreux journalistes ont tenté de découvrir quel homme ou groupe d'individus se cachait derrière le nom Nakamoto. Initialement, il parlait de lui comme d'un homme de 37 ans (la différence d'âge avec Wright, 44 ans, n'est pas si importante) résidant au Japon. Dans le même temps, les chercheurs ont annoncé que l'homme n'était certainement pas japonais car il parlait un anglais britannique parfait.

L'une des premières tentatives de comprendre qui se cachait derrière le nom de Satoshi Nakamoto a été entreprise en octobre 2011 par le magazine The New Yorker. Le journaliste Joshua Davis avait défini le cercle des éventuels candidats au rôle de créateur de la crypto-monnaie (un sociologue finlandais, un étudiant irlandais…), mais tous avaient déclaré qu'ils ne se cachaient pas derrière le nom Nakamoto.

Une autre investigation détaillée a été publiée en décembre 2013 par le blogueur Skye Grey. A partir d'une analyse textuelle, il a supposé que le créateur du Bitcoin était un chercheur cryptographe de l'université de Washington: Nick Szabo. A titre d'argument, Grey indiquait que dans ses publications Satoshi ne se référait pas aux travaux de Szabo, bien que ce dernier soit un expert éminent de l'industrie informatique. De l'autre côté, Szabo ne s'exprimait pas publiquement sur le Bitcoin, bien que pendant plusieurs années il avait étudié la possibilité de créer des crypto-monnaies.

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Enfin, en mars 2014 paraissait l'enquête de Leah Goodman dans la revue américaine Newsweek. Elle avait trouvé un homme dont le nom coïncidait avec le pseudonyme du créateur de la crypto-monnaie, qui maîtrisait la cryptographie: Dorian Nakamoto, un informaticien américain âgé d'origine japonaise résidant en Californie (prénom de naissance: Satoshi). Nakamoto avait même travaillé pendant un certain temps dans le cadre du programme de défense américain et, selon Goodman, connaissait bien la cryptographie. Dans sa biographie professionnelle de la fin des années 2000, elle a trouvé certains blancs qui pourraient prouver que Nakamoto travaillait sur un projet secret, par exemple la création du Bitcoin. Quelques jours plus tard, Nakamoto avait officiellement démenti avoir un lien avec le projet Bitcoin.

Une alternative aux billets de banque

Le système de paiement Bitcoin, qui utilise une unité de calcul du même nom, est apparu en 2008 avec la publication sur internet d'un fichier avec le descriptif du protocole, des principes de travail du système et le code du programme-client. Le premier achat d'une marchandise réelle avec des Bitcoins a été réalisé en mai 2010 — l'informaticien américain Laszlo Hanyecz avait acheté deux pizzas pour 10 000 Bitcoins.

Le Bitcoin est l'incarnation même des idées de l'économie libertarienne. Sa création, selon ses concepteurs, devait "assurer le fonctionnement du système de transactions irréversibles entre deux parties sans garant ou administrateur extérieur" (comme Visa, Western Union, ainsi que d'autres régulateurs financiers, judiciaires ou fiscaux). A la première étape de sa mise en circulation, le Bitcoin avait gagné la réputation d'un moyen de paiement populaire dans le milieu criminel, en particulier pour le trafic de drogue et le blanchiment d'argent. Tout comme l'or, il n'était contrôlé par aucune banque centrale. Le Bitcoin n'a aucun centre d'émission, mais il existe un fond de transactions accessible à tous qui permet de vérifier tous les transferts de Bitcoin. La popularité du Bitcoin a monté en flèche avec l'expansion de son utilisation dans le commerce mondial. Les technologies à la base de la crypto-monnaie ont commencé à intéresser les banques internationales comme Goldman Sachs et Citigroup Inc.

L'unique moyen d'obtenir des Bitcoins aujourd'hui porte le même nom que la production d'or: mining. Ce processus est basé sur le règlement par des ordinateurs d'une succession de tâches mathématiques pendant lequel est généré un code unique — le Bitcoin. Le nombre de Bitcoins émis augmente conformément à la vitesse fixée par le programme, qui ralentit progressivement en fonction de l'élargissement du réseau d'utilisateurs. La vitesse d'émission s'est réduite à tel point qu'un utilisateur unique ne peut plus obtenir de Bitcoins à lui seul — à cause de la perte de temps représentée et de l'augmentation colossale des dépenses en électricité. Selon The Economist, en 2015 la somme totale des dépenses en électricité consommée pour le mining par tous les utilisateurs, même en utilisant des processeurs économiques, était estimé à 1,46 terrawatts par an, soit la consommation annuelle de 135 000 foyers américains. L'idée des auteurs du système consistait à atteindre le montant total des Bitcoins générés — 21 millions — seulement d'ici 2140.

Avec l'arrivée du Bitcoin des USA en Europe, en Chine et en Australie, la monnaie a commencé à dépasser rapidement l'or, aussi bien en termes de volatilité que de liquidité. Le coût d'un Bitcoin est passé de 0,05 dollar en 2009 à 440 dollars au 14 décembre 2014, avec un pic à 1 242 dollars en 2013.

Les organisations acceptent les Bitcoins en échange de services en ligne et de marchandises réelles, ainsi que les dons. De nombreux Bitcoins sont vendus aussi bien en ligne qu'hors ligne. Dans le premier cas, ils sont achetés sur les bourses en ligne, dans le second aux personnes physiques et dans les distributeurs de Bitcoins. Contrairement aux monnaies électroniques, le Bitcoin n'est pas une créance de l'émetteur. Le cours du Bitcoin n'est rattaché à aucun actif ou autre monnaie, il reflète uniquement l'équilibre de l'offre et de la demande. Le système Bitcoin n'est pas contrôlé par des régulateurs qui maintiendraient un certain niveau de liquidité ou pourraient influer sur son pouvoir d'achat.

Quel statut juridique?

Le statut des crypto-monnaies varie d'un pays à l'autre. Dans certains États, les opérations en Bitcoins sont officiellement autorisées. Dans d'autres, les Bitcoins sont reconnus comme un moyen de paiement informel, restreints voire interdit.

En avril 2012, le FBI a publié un rapport caractérisant le Bitcoin de "monnaie virtuelle". En mars 2013, la commission américaine pour les crimes financiers annonçait que les opérations pour l'échange de toute crypto-monnaie contre de la monnaie fiduciaire devaient être réglementées de la même manière que les échanges de monnaie fiduciaire à proprement parler. En mars 2014, le fisc américain reconnaissait le Bitcoin comme une propriété, et non comme une devise. Les paiements en Bitcoins étaient alors régis par les mêmes règles que pour les paiements en nature: il fallait dès lors informer les services fiscaux si le paiement dépassait 600 dollars. En septembre 2015 la commission américaine pour le commerce des contrats à terme a reconnu le Bitcoin comme une marchandise négociable en bourse, de la même manière que le pétrole ou le blé. De cette façon, en payant des marchandises et des services avec des Bitcoins pour une somme inférieure au produit payé, il fallait payer un impôt sur la plus-value.

En octobre 2015 la Cour européenne, l'instance supérieure de la Cour de l'UE, a décrété que les opérations d'échange de Bitcoins en devises fiduciaires étaient exonérées de TVA. Les transactions en Bitcoins étaient également considérées par la Cour comme des opérations de paiement avec des devises, des monnaies et des billets de banque, contrairement aux opérations pour la livraison de marchandises ou de services.

En janvier 2014, la Banque de Russie a qualifié les opérations en "devises virtuelles" de "spéculatives". En octobre 2014, la Banque centrale, critique envers la crypto-monnaie, a refusé de "relever les opérations en crypto-monnaie et de prendre des décisions à leur encontre" en expliquant que cela ne rentrait pas dans ses prérogatives. Le parquet russe, par contre, s'est dit disposé à lancer une lutte active contre la circulation de crypto-monnaie en organisant une réunion avec des représentants du FSB, du ministère de l'Intérieur et de la Banque centrale. En octobre 2015, le ministère russe des Finances a annoncé avoir l'intention de durcir les sanctions pour l'émission et la circulation des crypto-monnaies. Selon les amendements préparés par le ministère, les contrevenants pourraient risquer une peine allant jusqu'à 4 ans d'emprisonnement.

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