Cependant, les carnages de ce 13 novembre marquent un saut qualitatif dans l'horreur et l'abjection. Le temps du deuil et du recueillement dû aux victimes et à leurs proches s'impose. Le temps de la réflexion viendra ensuite, et il sera suivi par le temps de l'action. La sourde colère qui anime aujourd'hui le peuple français ne s'éteindra pas. Ce crime exige un châtiment. Cependant, cette colère pourrait aussi se dévoyer ou être manipulée. Encore une fois, oui, la réflexion s'impose.
Le Président de la République, M. François Hollande, a appelé à l'union nationale. Il a été suivi en ce discours par le gouvernement et la quasi-totalité de la classe politique. Fort bien. Mais cela ne doit pas nous empêcher de poser certaines questions. Car, s'il entend jouer sur l'émotion pour fuir l'exigence légitime d'un bilan de ses actes, qu'il sache que cette union nationale se déchirera alors rapidement.
Un bilan de la politique de sécurité
Il faut d'abord faire le bilan des actes de ces dernières années en matière de sécurité intérieure. Une priorité a été donnée aux moyens d'écoute et d'interception électronique, et ceci au détriment du renseignement humain. Or, la collecte d'informations ne vaut que si l'on se donne les moyens de les exploiter et de les corréler.
Un bilan de la politique étrangère
Il faut ensuite tirer le bilan de notre politique extérieure. Elle a clairement failli. Non seulement la France est-elle aujourd'hui largement isolée sur le dossier syrien, mais on voit que cet isolement a clairement compromis la sécurité des personnes sur le territoire. Il ne s'agit pas ici de chanter les louanges de Bachar el-Assad. Il est clair que le peuple syrien est fondé à lui reprocher bien des choses. Mais, la politique consiste à établir quel est le danger principal et quel est le danger secondaire. Très clairement, le danger principal était la montée en puissance du groupe dit "Etat islamique", appellation qui contient un double mensonge. Or, ce groupe résulte directement de l'intervention américaine en Irak. Il a été, par la suite, encouragé, armé et financé, soit par les Etats-Unis soit par leurs alliés, pour affaiblir le pouvoir qui se mettait en place à Bagdad et qui donnait des signes d'indépendance vis-à-vis de Washington. Ici encore, il convient d'écouter les propos tenus par le Général Desportes lors de l'audition du 17 décembre 2014 devant la Commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées du Parlement français:
"Quel est le docteur Frankenstein qui a créé ce monstre? Affirmons-le clairement, parce que cela a des conséquences: ce sont les Etats-Unis. Par intérêt politique à court terme, d'autres acteurs — dont certains s'affichent en amis de l'Occident — d'autres acteurs donc, par complaisance ou par volonté délibérée, ont contribué à cette construction et à son renforcement. Mais les premiers responsables sont les Etats-Unis".
Comment lutter contre la radicalisation?
Au-delà, il est clair que les processus de radicalisation d'une petite fraction de notre jeunesse n'ont pas été abordés avec le sérieux et la cohérence nécessaires. Il est bien beau de parler de "dé-radicalisation", même s'il convient d'essayer de la faire. Mais il est toujours plus difficile et plus coûteux de "dé-radicaliser" quelqu'un que de prévenir sa radicalisation.
Empêcher la radicalisation de cette petite fraction de la jeunesse doit être un objectif commun à tous les Français. Il impose que l'on rappelle un certain nombre de principes. Et tout d'abord, qu'il n'est pas de loi divine supérieure à la loi de la République dans le débat public. Si un individu veut se donner des principes plus contraignants que ce qu'exige de lui de la société, c'est son droit (dans les limites du droit) et c'est son choix. Mais, il n'a pas à chercher à imposer ni à faire propagande de cela. Les différents lieux de culte, et ceux qui y prêchent, se doivent donc d'observer cette règle sous peine de fermeture et d'expulsion. C'est un principe fondamental de la laïcité. La religion appartient à l'espace privé et ne doit pas envahir l'espace public. Et ce principe est la condition de la concorde dans une société qui est hétérogène.
"Nul ne semblait vous voir Français de préférence
Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant
Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants
Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE
(…)Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient le cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant"
La guerre civile peut encore être évitée. Mais cela exige de nos femmes et de nos hommes politiques le courage de reconnaître que, sur bien des points, ils ont erré et ils nous ont trompés.
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