Si le premier ministre français reconnait qu'il faut "agir à la source", dans les pays d'origine des migrants, la réponse apportée reste évasive: la politique française à l'égard des migrants ne changera pas.
Dans la continuité du triptyque rochelais "humanisme, responsabilité, fermeté", Manuel Valls et Frans Timmermans ont tenu une conférence de presse à Calais sur la politique migratoire européenne, tentant de faire de la ville un exemple de réussite.
A Calais, Manuel Valls et Bernard Cazeneuve, les commissaires européens Frans Timmermans et Dimitris Avramopoulos se sont réunis pour mesurer (et relever) le défi que l'immigration massive en provenance du Moyen-Orient et de la Corne de l'Afrique impose à l'Europe. Calais n'est plus un point d'atterrissage ou de transit, mais une "impasse".
Le plan d'action mis en place à la mi-juillet sur la zone Eurotunnel semble porter ses fruits. Détaillés en cinq points, ces dispositifs concernent notamment la construction, le renforcement et la restauration de trois différents types de barrières, ainsi que l'élagage de la vaste zone marécageuse qui entoure le site. Coût total au premier semestre: 13 millions d'euros, avancés par Eurotunnel, en attente le remboursement par la France et le Royaume Uni.
Des dispositifs aussi dissuasifs qu'infranchissables, qui ont fait baisser le nombre de tentatives de passages par le tunnel de 2000 (dans les périodes de pic) à 200. Des aménagements qui évoluent selon la nature des escapades des migrants. Comme l'a confié une responsable d'Eurotunnel après un tour en buse pour observer ces travaux colossaux, en début d'annéem les migrants tentaient de rentrer dans les camions directement sur l'autoroute: face à la dangerosité liée au trafic et à la dégradation des bâches des véhicules, un parking surveillé a été construit sur le site pour accueillir l'équivalent de 18km de camion. En juin et juillet, c'est autour du tunnel que se focalisaient leurs espoirs. Si aujourd'hui les tentatives de rejoindre l'Angleterre via le tunnel ont drastiquement baissé, d'autres tentatives ont eu lieu dans une gare appartenant à la Sncf, à proximité d'Eurotunnel à Fréthun, où des trains de marchandises peuvent parfois s'arrêter pour des contrôles douaniers. Par ailleurs, la ville de Teteghem, près de Dunkerque, a vu son nombre de migrants augmenter.
Division européenne
Humanité, responsabilité, fermeté, grands leitmotiv des discours, savamment dosés en une alternance presque arithmétique: ne pas être trop bon, ne pas être trop mauvais, ne laisser aucun pays se soustraire à son devoir. L'unification de la politique d'asile à l'échelle européenne, c'est:
La mise en place accélérée de centres d'accueil, de "hotspots", dans les pays de premières entrées pour identifier au mieux et au plus vite les éligibles à l'asile et les refusés économiques. Mais ces pays devront "adapter leur législation" afin de protéger plus efficacement les frontières extérieures de l'Europe.
Portée dès août 2014 à l'initiative de la France, la question de la répartition des demandeurs d'asile divise toujours l'Europe: si l'Allemagne et la France s'y montrent favorables, ce n'est pas le cas de tous les pays. La Commission a pour charge de convaincre ces Etats réticents. Les Etats membres sont responsables de la mise en œuvre de cette politique commune européenne et Frans Timmermans ("Plus vite, plus loin") tente de fédérer autour des valeurs des Lumières, à grands renforts de hochement de têtes voisins. Il appelle à la solidarité et à l'adoption d'une politique courageuse: "Il n'y a pas moyen d'éviter de faire partie de la solution". Fermeté donc. Même si certains états rechignent, le message est clair: il n'a pas de solution nationale.
Il faudra en outre établir une "liste sûre" d'Etats membres ou de candidats (notamment dans les Balkans) dont il ne sera pas possible de ressortir de l'asile, c'est-à-dire respectant suffisamment les principes de libertés.
Politique étrangère: comment agir?
Or, on ne pourrait se détourner d'une réalité qui est là pour… durer. "La guerre, l'oppression, le délitement des Etats'' sont autant de causes qui perdurent et poussent les populations à fuir les pays, se réfugier… Chaque intervenant s'accorde sur ce constat: les flux migratoires se poursuivront, sans faiblir. Peuvent-ils empirer? L'idée n'est pas évoquée.
Lorsque M. Valls parle d'agir à la racine, cela signifie lutter contre les passeurs et assurer les réadmissions des migrants dans leur pays d'origine, comme au Niger. Mais l'exemple s'arrête là. A la question de modifier la politique étrangère de la France concernant les pays du Moyen Orient et de la Corne de l'Afrique, l'embarras du premier ministre, qui revient soudain à son pupitre, se fait sentir. Alors que l'on se demande si la question sera habilement éludée par une marée de conditions: "tant qu'il n'y aura pas de solution à la disparition d'un Etat en Libye, à la guerre qui frappe les populations de manière effroyable en Irak, tant qu'il n'y aura pas de réponse à apporter à la crise humanitaire dans la Corne de l'Afrique, à l'oppression que d'autres populations connaissent dans un certain nombre de pays, ou à la crise du climat, au défi économique des pays du Sahel, le problème sera durable et il va l'être", alors que finalement le ministre s'apprête à "répondre de la manière la plus claire possible", c'est la stupéfaction générale: une militante fait violemment irruption dans la salle, hurlant "Il vous a fallu 200 000 morts!". Une irruption qui crispe l'auditoire, un nombre qui fait s'interroger les journalistes. Une fois le calme recouvré, le ministre reprend: "Il n'y a aucune raison qu'il y ait un changement de cette politique parce que précisément, notre politique consiste à trouver des solutions dans chacun de ces conflits". Une réponse sans plus de précision sur un sujet trop peu abordé.
Pour l'Europe, le message se veut clair: les réfugiés politiques seront accueillis, les migrants économiques éloignés et les passeurs traqués. Pour l'heure, les ministres de l'Intérieur des Vingt-Huit se rencontreront le 14 septembre pour une réunion d'urgence consacrée à la crise migratoire. Le débat autour de la politique d'accueil ou d'éloignement des migrants en Europe se poursuivra-t-il aussi longtemps que les guerres dureront?