On voit souvent les USA comme des alliés de la Grande-Bretagne, mais cela n'a pas toujours été le cas. L'Amérique de cette époque confessait encore l'isolationnisme en tant que religion politique d'État, et les présidents Theodore Roosevelt (1901-1909) puis Woodrow Wilson (1913-1921), qui trouvaient cette approche archaïque, n'y pouvaient rien. Des volontaires partaient de leur propre chef de l'autre côté de l'océan mais la plupart des Américains ne s'intéressaient pas du tout à la guerre européenne. Dans le même temps, les États-Unis en tiraient un profit colossal en fournissant des armes, des munitions et en délivrant des crédits.
En 1910, la dette publique des USA s'élevait à 2,6 milliards de dollars et elle a augmenté davantage en 1914. Alors qu'après la guerre, tous les anciens alliés des États-Unis leur étaient redevables. De combien exactement? En général c'est la somme d'environ 10 milliards de dollars qui est retenue. En juin 1919, la dette, avec les intérêts, avait atteint 24,262 milliards de dollars. Sachant que pendant la guerre la richesse nationale des USA avait augmenté de 40% et que la part de la production mondiale dépassait 50%. La moitié des réserves mondiales d'or était concentrée dans le pays et le dollar était devenu la principale devise monétaire.
Le 22 avril 1915, 50 journaux américains publiaient le communiqué suivant:
"Attention!
Nous rappelons aux voyageurs ayant l'intention de traverser l'Atlantique que l'Allemagne et ses alliés sont en guerre contre le Royaume-Uni et ses alliés; que la zone des opérations comprend les eaux des îles Britanniques et que conformément à la note officielle du gouvernement impérial d'Allemagne, les navires naviguant sous pavillon britannique ou de ses alliés seraient coulés dans ces eaux, et que les voyageurs traversant la zone des opérations à bord de navires de la Grande-Bretagne ou de ses alliés le feront à leurs risques et périls.
Washington, district de Columbia, le 22 avril 1915."
Dans certains journaux, cet avertissement avait été publié directement sous l'annonce d'un nouveau départ du Lusitania de New York vers Liverpool.
Depuis le début de la guerre, l'Allemagne avait fait comprendre au monde qu'elle modifierait toute règle qui ne lui convenait pas. Les Allemands ont ainsi été les premiers à utiliser la flotte sous-marine à l'échelle stratégique et coulaient tout ce qui naviguait aux abords du Royaume-Uni — et pas uniquement des navires de guerre.
Le 7 mai, les passagers et l'équipage du Lusitania ont enfin aperçu la terre ferme: c'était l'Irlande. Tout le monde s'est senti soulagé, il ne restait plus d'une vingtaine de kilomètres jusqu'au littoral. Les passagers du navire auraient été bien plus nerveux s'ils savaient que depuis le 1er mai, date à laquelle le Lusitania a quitté New York, les sous-marins allemands avaient coulé 23 navires dans cette zone. Cette information n'avait pas non plus été rapportée au capitaine William Turner. En revanche, on lui a transmis les coordonnées erronées du sous-marin le plus proche, qui était bien plus près du Lusitania que prévu.
Le capitaine Walther Schwieger, commandant d'un sous-marin U-20, faisait partie des chasseurs qui rôdaient dans ces eaux. Il n'en a pas cru ses yeux quand il a vu le Lusitania arriver — il a d'abord pensé qu'il s'agissait de deux paquebots naviguant côte à côte. Et l'U-20 est parti intercepter le Lusitania. A 700 mètres de la cible, Schwieger a tiré une torpille qui a percuté le Lusitania 45 secondes plus tard.
La torpille a été aperçue trop tard, quand le paquebot de 240 mètres de long n'avait plus aucune chance de tenter une manœuvre d'évitement.
Peu de personnes ont pu être sauvées. Sur les 1.959 personnes présentes à bord, 1.198 ont péri, soit 300 de moins que sur le Titanic. Les sources rapportent un nombre différent de victimes américaines — entre 124 et 135 — mais quoi qu'il en soit la nouvelle était suffisante pour bouleverser un pays prospère. La "guerre des autres" était finalement venue frapper à la porte des Américains.
Les USA entrent en guerre
Theodore Roosevelt avait alors déclaré que la cruauté des sous-mariniers allemands avait dépassé celle des pirates de toutes les époques réunies: "Nous ne pouvons pas nous abstenir d'agir, nous devons intervenir au nom de l'humanisme… pour sauvegarder notre propre dignité nationale". Ces propos reflétait le sentiment général aux USA — il était devenu clair que le pays entrerait en guerre. L'isolationnisme américain avait été ébréché, et cette brèche n'a cessé de s'agrandir jusqu'à disparaître complètement pendant la Seconde Guerre mondiale.
Au début, le président Woodrow Wilson ne fut pas aussi brusque dans ses déclarations. Contrairement à Roosevelt, membre de l'opposition, il devait assumer ses propos. Mais en analysant la réaction de la société il a commencé à faire des déclarations plus belliqueuses. Il fallait simplement un prétexte pour entrer en guerre, et l'Allemagne l'avait fourni.
Le 11 janvier 1917, le ministre allemand des Affaires étrangères Arthur Zimmermann a envoyé un télégramme à l'ambassadeur d'Allemagne au Mexique Heinrich von Eckardt pour annoncer que l'Allemagne commençait une guerre sous-marine illimitée, tout en souhaitant que les USA restent neutres. Au cas où les États-Unis entreraient tout de même en guerre, il était proposé au Mexique d'établir des relations d'allié avec l'Allemagne et de commencer une guerre pour reprendre ses anciens territoires occupés par les USA. Le télégramme a été intercepté par les services secrets britanniques et remis aux Américains. Les partisans de la guerre avaient enfin obtenu ce qu'ils voulaient et le 6 avril les USA ont déclaré la guerre à l'Allemagne. Presque deux ans s'étaient écoulés depuis la tragédie du Lusitania.