Huntington avait le mérite de conserver une vision qualitative et non quantitative de l'humanité, une humanité qui, selon lui, continuait à se débattre face au marché capitaliste planétarisé en des termes religieux, culturels et moraux. C'est ainsi qu'Huntington voyait, à côté d'une civilisation occidentale (USA-Europe occidentale-ex-dominions britanniques), des cultures islamiques, une civilisation orthodoxe (Serbie, Russie et même Grèce) ainsi qu'une civilisation chinoise ou une civilisation indienne.
« L'Occident est la seule parmi les civilisations à avoir eu un impact important et parfois dévastateur sur toutes les autres. »
Huntington voit que les Occidentaux et les Américains en particulier poussent au crime pour s'imposer mais que cette activité chaotique n'est plus guère couronnée de succès:
« Le problème central dans les relations entre l'Occident et le reste du monde est par conséquent la discordance entre les efforts de l'Occident — en particulier de l'Amérique — pour promouvoir une culture occidentale universelle et son aptitude déclinante pour ce faire. »
Huntington enfonce le clou sur cette capacité méphitique et messianique des Occidentaux; elle était soulignée par John Hobson, qui fut le grand critique de l'impérialisme humanitaire britannique en son temps:
« L'Occident, en particulier les États-Unis, qui ont toujours été une nation missionnaire, croit que les non-Occidentaux devraient adopter les valeurs occidentales, la démocratie, le libre-échange, la séparation des pouvoirs, les droits de l'homme, l'individualisme, l'État de droit, et conformer leurs institutions à ces valeurs. »
En réalité, plus une société est intéressée par le profit et le pillage, plus elle sera idéaliste et humanitaire. C'est humain et c'est surtout le meilleur moyen d'imposer sa force et sa barbarie à une humanité jugée inférieure.
« Les élites américaines avaient aussi un préjugé favorable à l'égard des Bosniaques, car elles aiment le concept de pays multiculturel, image de lui-même que le gouvernement bosniaque réussit à promouvoir au début du conflit. »
Le culot des Occidentaux n'a plus de limites. L'Occident se confond avec le monde, la « communauté internationale ». Trois ou quatre pays et leurs vassaux se jugent dignes ainsi de diaboliser Chine, Russie, Inde, Amérique du sud, tout le reste du monde.
« L'Occident s'efforce et s'efforcera à l'avenir de maintenir sa position prééminente et de défendre ses intérêts en les présentant comme ceux de la «communauté mondiale». Cette expression est un euphémisme collectif (qui remplace «le monde libre») censé donner une légitimité globale aux actions qui reflètent en fait les intérêts des Etats-Unis et des autres puissances occidentales. »
Et comme au temps du colonialisme, les peuples menacés ou sermonnés par les Occidentaux savent à quoi s'en tenir:
« Les non-Occidentaux n'hésitent pas non plus à montrer du doigt le fossé qui sépare les principes et les actions des Occidentaux. Les prétentions à l'universalisme n'empêchent pas l'hypocrisie, le double langage, les exceptions. »
Les BRICS sont ainsi une réaction naturelle à la dangereuse hypocrisie occidentale, et Huntington la prophétise très intelligemment dans les lignes suivantes:
« La théorie réaliste des relations internationales prédit que les États phares des civilisations non-occidentales devraient se rapprocher pour contrebalancer la puissance dominante de l'Occident. Dans certaines régions, c'est ce qui s'est passé. »
Et il se permet même d'ajouter les mots suivants:
« En politique, un ennemi commun crée des intérêts communs. Les sociétés islamique et chinoise, qui regardent l'Occident comme leur adversaire, ont ainsi des raisons de coopérer entre elles contre lui, à l'instar des Alliés et de Staline contre Hitler. »
Huntington a raison; le 9 mai dernier, l'Inde, la Chine, le Brésil, bien d'autres pays anciennement colonisés ou martyrisés par les occidentaux ont manifesté leur soutien à la Russie dans sa lutte contre le nazisme.
Tout le monde était là — sauf les représentants de notre vieil Occident.
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