L'intransigeance allemande, le début de la fin pour l'Union européenne ?

© AFP 2024 ARIS MESSINIS This photo taken in Athens on July 11, 2015 the map of Europe represented on a euro coin and banknotes
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Les propositions qui ont été soumises par Alexis Tsipras et son gouvernement dans la nuit de jeudi à vendredi ont provoqué la stupeur. Elle reprennent largement, mais non totalement, les propositions formulées par l'Eurogroupe le 26 juin.

Elles ont été largement perçues, et sans doute à tort, dans l'opinion internationale comme une « capitulation » du gouvernement Tsipras. La réalité pourrait bien être différente. Mais, les conditions dans lesquelles ces propositions ont été rédigées posent aussi une question fondamentale: l'Union européenne n'est-elle pas en train de se défaire, coincée entre l'intransigeance allemande et une erreur stratégique commise par la gouvernement français?

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Ces propositions, on le sait par ailleurs, ont été en grande partie rédigées avec l'aide de hauts fonctionnaires français, même si cela a été démenti par Bercy. Elles témoignent de l'intense travail de pressions qui a été exercé tant sur la Grèce que sur l'Allemagne par les Etats-Unis. Il faut donc noter ici que la France a délibérément choisi le camp des Etats-Unis contre celui de l'Allemagne. Cela ne sera pas sans conséquences. En effet, si le gouvernement français n'a pas eu nécessairement tort de choisir d'affronter l'Allemagne sur ce dossier, la manière dont il le fait jette un doute sur la survie à terme non seulement de la zone Euro mais, au-delà, de l'Union européenne. Le gouvernement français a en effet choisi de s'appuyer sur une puissance non-européenne pour tenter de faire fléchir l'Allemagne. Ce faisant, il reconnaît de par son action, que c'est la politique allemande qui constitue aujourd'hui un problème pour la zone Euro. Mais alors, que reste-t-il du mythique couple franco-allemand, dont beaucoup se rincent la bouche et qui constitue, en un sens, l'un des piliers de l'Union européenne? Qui plus est, le gouvernement français s'est engagé dans cette voie pour des raisons essentiellement idéologique. En réalité, ce que veut par-dessus tout M. François Hollande c'est « sauver l'Euro » et éviter de voir l'Allemagne exclure de fait la Grèce de la zone Euro. Mais, il risque de voir très rapidement le prix qu'il aura payé pour cela, et pour un résultat qui ne durera probablement que quelques mois. Car, les propositions avancées par le gouvernement grec, si elles devaient être acceptées, ne règlent rien. Par contre, la rupture entre la France et l'Allemagne perdurera. La seule signification possible de l'Union européenne, et avant elle de la Communauté économique européenne, consistait à montrer que les européens étaient capables de prendre leurs affaires en mains sans aucune ingérence d'une tierce puissance. Or, en appuyant les pressions américaines, en se joignant à elles, c'est très précisément cela que François Hollande, tout à la poursuite de son rêve quant à l'Euro, vient de renoncer.

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Il y a aujourd'hui très clairement un « problème allemand » au sein de l'UE et surtout de la zone Euro. Mais, au lieu de le reconnaître et comprendre que dans ces conditions l'Euro ne peut plus fonctionner et d'en tirer les conséquences, François Hollande est tombé dans le piège tendu par les Etats-Unis. Alors qu'une confrontation entre la France et l'Allemagne, même si elle aurait pu faire tanguer les institutions européennes, serait restée une affaire intra-européenne, en jouant la carte des Etats-Unis pour un problème conjoncturel François Hollande a probablement porté le coup de grâce à ce à quoi il tient le plus: l'Union européenne.

Les termes de la proposition grecque

Les propositions grecques sont donc proches de celles formulées par l'Eurogroupe le 26 juin. On doit cependant noter des différences avec le texte du 26 juin, et en particulier la volonté de protéger les secteurs les plus fragiles de la société grecque. Ceci se constate dans le maintien d'un taux de TVA à 7% pour les produits de base, exemptions pour les îles les plus pauvres, maintien jusqu'en 2019 du système d'aide aux retraites les plus faibles. De ce point de vue, le gouvernement grec n'a effectivement pas cédé. De même, le gouvernement a inclus dans ce plan des mesures de luttes contre la fraude fiscale et la corruption, qui faisaient parties du programme initial de Syriza. Enfin, les réformes du marché du travail devront se faire dans le cadre des recommandations de l'OCDE et de l'OIT, ce qui était — là aussi — une revendication de Syriza. Mais, il faut bien reconnaître que ces propositions sont, pour le reste, largement alignées sur les demandes de l'Eurogroupe. Faut-il alors parler de capitulation comme le font certains? La réponse est pourtant moins simple que ce qu'il paraît.

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En effet, le gouvernement grec insiste sur trois points: un reprofilage de la dette (à partir de 2022) aboutissant à la reporter dans le temps de manière à la rendre viable, l'accès à 53 milliards sur trois ans, et le déblocage d'un plan d'investissement, dit « plan Juncker ». Certes, ce « plan » inclut largement des sommes prévues — mais non versées — par l'Union européenne au titre des fonds structurels. Mais son importance (35 milliards alors que le PIB de la Grèce n'est que de 200 milliards) pourrait permettre de compenser les effets délétères de certaines des mesures annoncées dans les propositions. Surtout, le gouvernement grec entend avoir la maîtrise du calendrier pour la mise en œuvre de ces réformes et il insiste sur un engagement contraignant à l'ouverture de négociations sur la dette dès le mois d'octobre. Or, on rappelle que c'était justement l'une des choses qui avaient été refusées par l'Eurogroupe, conduisant à la rupture des négociations et à la décision d'Alexis Tsipras de convoquer un référendum.

De fait, les propositions transmises par le gouvernement grec, si elles font incontestablement un pas vers les créanciers, maintiennent une partie des exigences formulées précédemment. C'est pourquoi il est encore inexact de parler de capitulation. Une interprétation possible de ces propositions est qu'elles ont pour fonction de mettre l'Allemagne, et avec elle les autres pays partisans d'une expulsion de la Grèce de la zone Euro, au pied du mur. La réaction négative le samedi 11 juillet du Ministre des finances allemand, M. Schaüble, indique bien que l'objectif visé par ces propositions est de transformer la force de l'adversaire en faiblesse.

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On sait que les Etats-Unis, véritablement inquiets des conséquences d'un « Grexit » sur l'avenir de la zone Euro, ont mis tout leur poids dans la balance pour amener Mme Merkel à des concessions importantes. Que l'Allemagne fasse preuve d'intransigeance et c'est elle qui portera la responsabilité du « Grexit ». Qu'elle se décide à céder, et elle ne pourra plus refuser au Portugal, à l'Espagne, voire à l'Italie, ce qu'elle a concédé à la Grèce. On peut alors considérer que ce plan est une nouvelle démonstration du sens tactique inné d'Alexis Tsipras.

Pourtant, ces propositions présentent aussi un grave problème au gouvernement grec.

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Le dilemme du gouvernement grec

Le problème auquel le gouvernement Tsipras est confronté aujourd'hui est double: politique et économique. Politiquement, vouloir faire comme si le référendum n'avait pas eu lieu, comme si le « non » n'avait pas été largement, et même massivement, majoritaire, ne sera pas possible sans dommages politiques importants. Le Ministre des finances démissionnaire, M. Yannis Varoufakis, a d'ailleurs critiqué des aspects de ces propositions. Plus profondément, ces propositions ne peuvent pas ne pas troubler non seulement les militants de Syriza, et en particulier la gauche de ce parti, mais aussi, et au-delà, l'ensemble des électeurs qui s'étaient mobilisés pour soutenir le gouvernement et Alexis Tsipras. Ce dernier prend donc le risque de provoquer une immense déception. Celle-ci le laisserait en réalité sans défense faces aux différentes manœuvres tant parlementaires qu'extra-parlementaires dont on peut imaginer que ses adversaires politiques ne se priveront pas. Or, la volonté des institutions européennes de provoquer un changement de gouvernement, ce qu'avait dit crûment le Président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz, n'a pas changé. Hier, jeudi, Jean-Claude Juncker recevait les dirigeants de la Nouvelle Démocratie (centre-droit) et de To Potami (centre-gauche). Privé d'un large soutien dans la société, ayant lourdement déçu l'aile gauche de son parti, aile gauche qui représente plus de 40% de Syriza, Tsipras sera désormais très vulnérable. Au minimum, il aura cassé la logique de mobilisation populaire qui s'était manifestée lors du référendum du 5 juillet et pendant la campagne. Il faut ici rappeler que les résultats de ce référendum ont montré une véritable mobilisation allant bien au-delà de l'électorat de Syriza et de l'ANEL, les deux partis du gouvernement. Cela aura, bien entendu des conséquences. Si les députés de la gauche de Syriza vont très probablement voter ces propositions au Parlement, il est néanmoins clair que les extrêmes, le KKE (les communistes néostaliniens) et le parti d'Extrême-Droite « Aube Dorée », vont pouvoir tirer profit de la déception que va susciter ces propositions.

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Au-delà, la question de la viabilité de l'économie grecque reste posée, car ces propositions n'apportent aucune solution au problème de fond qui est posé. Certes, cette question de la viabilité sera posée dans des termes moins immédiatement dramatiques qu'aujourd'hui si un accord est conclu. La crise de liquidité pourra être jugulée sans recourir aux mesures radicales que l'on a évoquées dans ces carnet. Les banques, à nouveau alimentée par la BCE, pourront reprendre leurs opérations. Mais, rien ne sera réglé. Olivier Blanchard, l'ancien économiste en chef du Fond Monétaire International signale que les pronostics très négatifs réalisés par son organisation sont probablement en-deçà de la réalité. Après cinq années d'austérité qui l'ont saigné à blanc, l'économie grecque a désespérément besoin de souffler. Cela aurait pu passer par des investissements, une baisse de la pression fiscale, bref par moins d'austérité. Ce n'est pas le chemin vers lequel on se dirige. Cela aurait pu aussi passer par une sortie, et non une expulsion, hors de la zone Euro qui, en permettant à l'économie grecque de déprécier sa monnaie de —20% à —25%, lui aurait redonné sa compétitivité. On ne fera, à l'évidence, ni l'un ni l'autre. Dès lors, il faut s'interroger sur les conditions d'application des propositions soumises par la Grèce à ses créanciers. Même en admettant qu'un accord soit trouvé, la détérioration de la situation économique induite par l'action de la Banque Centrale Européenne, que M. Varoufakis a qualifiée de « terroriste », venant après cinq années d'austérité risque de rendre caduc ces propositions d'ici à quelques mois. Une chute des recettes de la TVA est aujourd'hui prévisible. Une nouvelle négociation sera donc nécessaire. En ce sens, ces propositions ne règlent rien.

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L'Euro c'est l'austérité?

On doit, alors, s'interroger sur le sens profond de ces propositions. Si elles sont tactiquement défendables, elles correspondent aussi très probablement à une erreur de stratégie. Alexis Tsipras a déclaré ce vendredi matin, devant le groupe parlementaire de Syriza, qu'il n'avait pas reçu mandat du peuple grec pour sortir de l'Euro. Le fait est aujourd'hui discutable, surtout après l'écrasante victoire du « non », avec plus de 61% des suffrages exprimés, au référendum. Il est clair que telle n'était pas l'intention initiale du gouvernement, et ne correspondait pas au programme sur lequel il avait été élu. Mais, on peut penser que mis devant l'alternative, refuser l'austérité ou refuser l'Euro, la population grecque est en train d'évoluer rapidement. En fait, on observe une radicalisation dans les positions de la population, ou du moins c'est ce qui était observée jusqu'à ces propositions. Les jours qui suivent indiqueront si cette radicalisation se poursuit ou si elle a été cassée par ce qu'a fait le gouvernement.

En réalité, ce que l'on perçoit de manière de plus en plus claire, et c'est d'ailleurs l'analyse qui est défendue par l'aile gauche de Syriza et un économiste comme Costas Lapavitsas (1), c'est que le cadre de l'Euro impose les politiques d'austérité. Si Alexis Tsipras a cru sincèrement qu'il pourrait changer cela, il doit reconnaître aujourd'hui qu'il a échoué. L'austérité restera la politique de la zone Euro car ce dernier conduit nécessairement à des institutions et des règles qui vont dans ce sens. Il n'y aura donc pas « d'autre Euro », et cette leçon s'applique aussi à ceux qui, en France, défendent cette fadaise d'un « autre Euro ». Dès lors il faut poser clairement le problème d'une sortie de l'Euro, qu'il s'agisse d'ailleurs de la Grèce ou de nombreux autres pays.


Voir son interview, http://therealnews.com/t2/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=74&jumival=14181

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