Elles ont été largement perçues, et sans doute à tort, dans l'opinion internationale comme une « capitulation » du gouvernement Tsipras. La réalité pourrait bien être différente. Mais, les conditions dans lesquelles ces propositions ont été rédigées posent aussi une question fondamentale: l'Union européenne n'est-elle pas en train de se défaire, coincée entre l'intransigeance allemande et une erreur stratégique commise par la gouvernement français?
Ces propositions, on le sait par ailleurs, ont été en grande partie rédigées avec l'aide de hauts fonctionnaires français, même si cela a été démenti par Bercy. Elles témoignent de l'intense travail de pressions qui a été exercé tant sur la Grèce que sur l'Allemagne par les Etats-Unis. Il faut donc noter ici que la France a délibérément choisi le camp des Etats-Unis contre celui de l'Allemagne. Cela ne sera pas sans conséquences. En effet, si le gouvernement français n'a pas eu nécessairement tort de choisir d'affronter l'Allemagne sur ce dossier, la manière dont il le fait jette un doute sur la survie à terme non seulement de la zone Euro mais, au-delà, de l'Union européenne. Le gouvernement français a en effet choisi de s'appuyer sur une puissance non-européenne pour tenter de faire fléchir l'Allemagne. Ce faisant, il reconnaît de par son action, que c'est la politique allemande qui constitue aujourd'hui un problème pour la zone Euro. Mais alors, que reste-t-il du mythique couple franco-allemand, dont beaucoup se rincent la bouche et qui constitue, en un sens, l'un des piliers de l'Union européenne? Qui plus est, le gouvernement français s'est engagé dans cette voie pour des raisons essentiellement idéologique. En réalité, ce que veut par-dessus tout M. François Hollande c'est « sauver l'Euro » et éviter de voir l'Allemagne exclure de fait la Grèce de la zone Euro. Mais, il risque de voir très rapidement le prix qu'il aura payé pour cela, et pour un résultat qui ne durera probablement que quelques mois. Car, les propositions avancées par le gouvernement grec, si elles devaient être acceptées, ne règlent rien. Par contre, la rupture entre la France et l'Allemagne perdurera. La seule signification possible de l'Union européenne, et avant elle de la Communauté économique européenne, consistait à montrer que les européens étaient capables de prendre leurs affaires en mains sans aucune ingérence d'une tierce puissance. Or, en appuyant les pressions américaines, en se joignant à elles, c'est très précisément cela que François Hollande, tout à la poursuite de son rêve quant à l'Euro, vient de renoncer.
Les termes de la proposition grecque
Les propositions grecques sont donc proches de celles formulées par l'Eurogroupe le 26 juin. On doit cependant noter des différences avec le texte du 26 juin, et en particulier la volonté de protéger les secteurs les plus fragiles de la société grecque. Ceci se constate dans le maintien d'un taux de TVA à 7% pour les produits de base, exemptions pour les îles les plus pauvres, maintien jusqu'en 2019 du système d'aide aux retraites les plus faibles. De ce point de vue, le gouvernement grec n'a effectivement pas cédé. De même, le gouvernement a inclus dans ce plan des mesures de luttes contre la fraude fiscale et la corruption, qui faisaient parties du programme initial de Syriza. Enfin, les réformes du marché du travail devront se faire dans le cadre des recommandations de l'OCDE et de l'OIT, ce qui était — là aussi — une revendication de Syriza. Mais, il faut bien reconnaître que ces propositions sont, pour le reste, largement alignées sur les demandes de l'Eurogroupe. Faut-il alors parler de capitulation comme le font certains? La réponse est pourtant moins simple que ce qu'il paraît.
De fait, les propositions transmises par le gouvernement grec, si elles font incontestablement un pas vers les créanciers, maintiennent une partie des exigences formulées précédemment. C'est pourquoi il est encore inexact de parler de capitulation. Une interprétation possible de ces propositions est qu'elles ont pour fonction de mettre l'Allemagne, et avec elle les autres pays partisans d'une expulsion de la Grèce de la zone Euro, au pied du mur. La réaction négative le samedi 11 juillet du Ministre des finances allemand, M. Schaüble, indique bien que l'objectif visé par ces propositions est de transformer la force de l'adversaire en faiblesse.
Pourtant, ces propositions présentent aussi un grave problème au gouvernement grec.
Le problème auquel le gouvernement Tsipras est confronté aujourd'hui est double: politique et économique. Politiquement, vouloir faire comme si le référendum n'avait pas eu lieu, comme si le « non » n'avait pas été largement, et même massivement, majoritaire, ne sera pas possible sans dommages politiques importants. Le Ministre des finances démissionnaire, M. Yannis Varoufakis, a d'ailleurs critiqué des aspects de ces propositions. Plus profondément, ces propositions ne peuvent pas ne pas troubler non seulement les militants de Syriza, et en particulier la gauche de ce parti, mais aussi, et au-delà, l'ensemble des électeurs qui s'étaient mobilisés pour soutenir le gouvernement et Alexis Tsipras. Ce dernier prend donc le risque de provoquer une immense déception. Celle-ci le laisserait en réalité sans défense faces aux différentes manœuvres tant parlementaires qu'extra-parlementaires dont on peut imaginer que ses adversaires politiques ne se priveront pas. Or, la volonté des institutions européennes de provoquer un changement de gouvernement, ce qu'avait dit crûment le Président du Parlement européen, le social-démocrate Martin Schulz, n'a pas changé. Hier, jeudi, Jean-Claude Juncker recevait les dirigeants de la Nouvelle Démocratie (centre-droit) et de To Potami (centre-gauche). Privé d'un large soutien dans la société, ayant lourdement déçu l'aile gauche de son parti, aile gauche qui représente plus de 40% de Syriza, Tsipras sera désormais très vulnérable. Au minimum, il aura cassé la logique de mobilisation populaire qui s'était manifestée lors du référendum du 5 juillet et pendant la campagne. Il faut ici rappeler que les résultats de ce référendum ont montré une véritable mobilisation allant bien au-delà de l'électorat de Syriza et de l'ANEL, les deux partis du gouvernement. Cela aura, bien entendu des conséquences. Si les députés de la gauche de Syriza vont très probablement voter ces propositions au Parlement, il est néanmoins clair que les extrêmes, le KKE (les communistes néostaliniens) et le parti d'Extrême-Droite « Aube Dorée », vont pouvoir tirer profit de la déception que va susciter ces propositions.
On doit, alors, s'interroger sur le sens profond de ces propositions. Si elles sont tactiquement défendables, elles correspondent aussi très probablement à une erreur de stratégie. Alexis Tsipras a déclaré ce vendredi matin, devant le groupe parlementaire de Syriza, qu'il n'avait pas reçu mandat du peuple grec pour sortir de l'Euro. Le fait est aujourd'hui discutable, surtout après l'écrasante victoire du « non », avec plus de 61% des suffrages exprimés, au référendum. Il est clair que telle n'était pas l'intention initiale du gouvernement, et ne correspondait pas au programme sur lequel il avait été élu. Mais, on peut penser que mis devant l'alternative, refuser l'austérité ou refuser l'Euro, la population grecque est en train d'évoluer rapidement. En fait, on observe une radicalisation dans les positions de la population, ou du moins c'est ce qui était observée jusqu'à ces propositions. Les jours qui suivent indiqueront si cette radicalisation se poursuit ou si elle a été cassée par ce qu'a fait le gouvernement.
En réalité, ce que l'on perçoit de manière de plus en plus claire, et c'est d'ailleurs l'analyse qui est défendue par l'aile gauche de Syriza et un économiste comme Costas Lapavitsas (1), c'est que le cadre de l'Euro impose les politiques d'austérité. Si Alexis Tsipras a cru sincèrement qu'il pourrait changer cela, il doit reconnaître aujourd'hui qu'il a échoué. L'austérité restera la politique de la zone Euro car ce dernier conduit nécessairement à des institutions et des règles qui vont dans ce sens. Il n'y aura donc pas « d'autre Euro », et cette leçon s'applique aussi à ceux qui, en France, défendent cette fadaise d'un « autre Euro ». Dès lors il faut poser clairement le problème d'une sortie de l'Euro, qu'il s'agisse d'ailleurs de la Grèce ou de nombreux autres pays.
Voir son interview, http://therealnews.com/t2/index.php?option=com_content&task=view&id=31&Itemid=74&jumival=14181
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