Radio Sputnik: En tant qu'ancien membre du Front National, d'après vous, est-ce que ce parti a un avenir dans la droite de l'échiquier politique français, ou bien profite-t-il simplement de la conjoncture actuelle?
Emmanuel Leroy: De mon point de vue, il serait erroné de classer le Front National sur la droite de l'échiquier, certains adversaires dont Nicolas Sarkozy ont affirmé que le Front National avait une politique économique de gauche voir d'extrême gauche et à ce sujet, je pense, a été, dans les années 2010-2012, un de ceux ayant incités Marine le Pen à opérer une rupture franche avec l'ultra-libéralisme.
Si effectivement, catégoriser un parti sur l'échiquier politique en le mettant à droite consiste à défendre des idées libérales, on peut dire aujourd'hui de monsieur Hollande et de son Parti Socialiste jusqu'à l'UMP bientôt Républicains, tout l'arc du système est un système qui se trouve à droite de l'échiquier politique. Je crois véritablement que l'originalité du positionnement du Front National de Marine le Pen est de se situer dans une perspective gaullienne, je dis bien "gaullienne" et non pas "gaulliste", c'est-à-dire au-dessus des partis et que de ce point de vue elle incarne véritablement l'avenir de la France et que les Français ouvrent de plus en plus les yeux et sont de plus en plus lucides quant à la nécessité de sortir de la fausse alternative, pseudo-gauche pseudo-droite, qui aboutit à faire la même politique qui consiste à obéir à Bruxelles et à Washington.
Sputnik: Est-ce que l'axe Paris-Berlin-Moscou qui est aussi plaidé par Marine le Pen verra le jour ou bien s'agit-il d'une construction fantaisiste que Bruxelles n'autoriserait jamais?
Emmanuel Leroy: Il est clair que la superstructure de Bruxelles qui est aux ordres de l'oligarchie anglo-saxonne, qui partage son siège entre la City à Londres et Wall-Street à New York, ne permettra jamais que les hommes politiques européens qui sont des marionnettes à la solde du système n'opèrent un revirement en ce sens et toute la politique que l'on observe aujourd'hui de la part de l'OTAN et de la Commission Européenne a créé un schisme ou, du moins, une frontière infranchissable entre la Russie et l'Europe. C'est parfaitement clair, notamment, à travers la crise ukrainienne.
J'apporterai une précision de mon point de vue qui me paraît importante: je crois à ce sujet que certains politologues, que je respecte et apprécie (j'ai beaucoup de respect pour Jean-Michel Vernochet, je pense également à Henri de Grossouvre), font une erreur lorsqu'ils parlent d'un axe Paris-Berlin-Moscou, car je crains et déplore, comme je pense que la Russie le déplore aussi, qu'on ne puisse, malheureusement, pas nous appuyer actuellement sur l'Allemagne tant qu'elle sera totalement inféodée aux ordres de Washington.
Dieu sait si Paris, depuis ces 20 dernières années, est devenu un des meilleurs élèves de l'OTAN, malheureusement, mais je pense que la position politique de Berlin, depuis 1945, est beaucoup plus aux ordres des vainqueurs de l'Ouest que ne l'est la politique française. S'il y a un espoir de libération de l'Europe, c'est de mon point de vue en créant dans un premier temps un axe Paris-Moscou, Berlin n'étant pas actuellement un acteur politique indépendant même si son poids économique est colossal.
Sputnik: Autre question, qui est extrêmement sensible pour toute l'Europe, à savoir l'Ukraine d'une part et la Syrie de l'autre. Quelle serait, d'après vous, l'approche à adopter pour régler le problème ukrainien de la façon la moins douloureuse pour l'Europe? Comment voyez-vous les choses?
Emmanuel Leroy: C'est une question qui n'est pas simple. Je ferai déjà une observation préalable disant que, de mon point de vue, le conflit qui se déroule en Syrie, depuis 2011, et le conflit ukrainien sont liés. Il s'agit de la même guerre dont les origines sont très anciennes, qui remontent peut être même au XVIème siècle et qui est une guerre que l'oligarchie anglo-saxonne continue de faire afin de s'accaparer le monde et que le travail militaire et géopolitique, économique qui est fait pour déstabiliser le régime de monsieur Assad en Syrie est le même que la révolution de Maïdan qui s'est déroulée l'année dernière et qui a mis au pouvoir à Kiev un pouvoir fantoche aux ordres de Washington.
Donc, pour moi, les deux guerres sont liées et elles visent à affaiblir la position de la Russie, d'une part, sur le terrain syrien en lui ôtant le contrôle de la base maritime de Tartous et en affaiblissant son allié syrien et iranien dans cette région du Moyen-Orient. Cette stratégie vise à faire tomber l'Iran, qui est un tampon contre la pression anglo-saxonne sur le flanc sud du Caucase.
Concernant l'Ukraine, j'ose espérer que la France ne commettra pas la même erreur qu'en 1853, lors de la première guerre de Crimée, où nous sommes partis faire la guerre à la demande des Anglais dans un conflit qui ne nous intéressait en rien. Nous n'avions aucun intérêt — ni politique, ni économique, ni de quelque nature que ce soit — à aller faire cette guerre. Nous l'avons faite uniquement pour servir les intérêts de la Couronne britannique, de manière absurde, dans une guerre qui ne nous a strictement rien rapporté, mais qui empêchait la Russie de contrôler les Dardanelles, le Bosphore et d'assurer sa sécurité sur le flanc sud de son empire.
Sputnik: Pendant de nombreuses années, le Front National était représenté par vous aussi bien que par d'autres figures. Comptez reprendre du service ou bien vous réservez-vous pour l'observation politique?
Emmanuel Leroy: Je crois arriver à un certain âge et je crois avoir déjà beaucoup donné dans le domaine politique, si on fait appel à moi, mais je me crois vraisemblablement plus utile aux idées que je défends en tentant d'établir des passerelles entre différents cénacles, entre différents groupes d'intérêts, intellectuels, économiques ou autres. Il me parait beaucoup plus intéressant aujourd'hui d'établir des passerelles entre des mondes qui ne se rencontrent pas et d'essayer de faire ce que font un petit peu les Anglo-Saxons de manière beaucoup plus réussie: ce qu'ils appellent le soft-power; c'est-à-dire de tenter de mettre en place des mécanismes, des organisations, qui font passer des idées de manière pacifique, mais qui produisent des effets sur le long terme, qui peuvent être bénéfiques dans l'intérêt des peuples. Je me sens plus à même de travailler dans ce domaine-là plutôt que dans le domaine politique traditionnel qui est très preneur de temps et avec des résultats souvent très minimes.
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