En ce qui concerne le projet européen, les sceptiques ont toujours existé dans une importante proportion, y compris dans les pays fondateurs. Les motifs de défiance sont d'ordre politique, ils sont portés par les "souverainistes" qui considèrent que le cadre national prime sur toute autre combinaison. Sur le plan économique, la création d'un marché de libre-échange entretient des concurrences redoutables.
De leur côté, les partisans de l'unité de l'Europe mettaient en avant deux points forts: la paix et la prospérité. C'est ce qui a prévalu dans les années 1950 et après 1991. Or, ces deux points sont devenus très fragiles.
Pendant vingt ans, l'Union a été le moteur, le point de mire de toutes les politiques nationales, avec une dose d'espérance. Or, nous assistons sans doute à la limite de l'exercice et les populations en font l'amer constat. Il en résulte de surcroit une défiance non seulement à l'égard des institutions européennes mais, désormais, à l'égard des élites politiques locales qui se retrouvent sans véritables politiques alternatives. Le cas grec de ce point de vue est exemplaire, la rupture est sans doute la seule porte de sortie politiquement crédible (en l'occurrence celle de l'Euro) en interne comme à l'extérieur du pays. La menace référendaire au Royaume Uni procède du même constat d'impasse.
Peut-être qu'un cycle se termine.
Le résultat de cette tendance eurosceptique est, pour l'heure, politiquement double: une montée politique eurosceptique qui se traduit dans les urnes et une tension croissante à l'échelle internationale. La première est attendue, on assistera d'abord à une dérive du vocabulaire, puis à des tensions marginales (révision de tel ou tel point des traités, renforcement des contrôles frontaliers, etc.) enfin des crises plus fortes sont à prévoir (sorties de pays de la zone euro, de l'espace Schengen, voir de l'UE) jusqu'à une redéfinition des règles du jeu.
Le sondage montre bien que les enjeux sont "intérieurs" aux Etats. C'est bien comme cela que les populations ressentent la tension générale. Encore une fois, il ne faut pas exclure des tensions et des désordres plus grands encore. Nous avons passé le cap du problème du "déficit démocratique européen", nous n'en sommes plus là.
Le plus grave, désormais, serait d'ignorer les tensions et le ressentiment car, si une crise majeure survenait, les gouvernements, quels qu'ils soient, seraient démunis politiquement et, alors, tel un animal pris au piège (ici celui de l'incapacité européenne et de la pression de l'opinion), s'engageraient dans des choix inconsidérés, impulsifs, sources de grands dangers. Le danger ne viendrait pas des peuples mais de gouvernements qui, impuissants à comprendre le bien commun, ne représenteraient plus que des syndicats d'intérêts. De ce point de vue, le retour à l'Etat classique, normatif, pacificateur, social, fait partie du scenario pour le siècle qui avance, on parlerait alors de "ré-européanisation" par les Etats. Peut-être un modèle confédéral à inventer constituerait la porte de sortie.