François Hollande entend tenir sa 56ième promesse électorale en ratifiant la Charte européenne des langues régionales et minoritaires. L'enjeu est de taille: afin de ratifier le texte signé en 1992 par la France, il faut en effet un changement de la Constitution.
C'est une initiative qui ne peut pas déplaire, six mois avant les élections régionales, aux électeurs d'une des quelques 75 langues régionales (en métropole et dans les régions d'outre-mer). La Bretagne et l'Alsace qui ne se retrouveront pas forcément sur la carte des régions redessinée seraient, sans doute, le théâtre de batailles serrées.
David Groslaude, conseiller régional d'Aquitaine, en grève de la faim du 23 mai au 3 juin, a partagé avec nous son analyse.
Question. Pourquoi a-t-il fallu attendre trois ans pour déposer un projet de loi, promis par François Hollande en 2012? Et plus largement, pourquoi a-t-il fallu attendre 23 ans depuis l'adoption de la Charte en 1992?
Q. Pensez-vous que les Français eux-mêmes sont favorables à une telle initiative? Selon le récent sondage réalisé par le Figaro, 62% se sont prononcés contre l'enseignement en langues régionales dans les écoles.
David Groslaude. « L'opinion publique est très mal informée sur le sujet. Il y a beaucoup de choses qui sont dites enfin sur la question de diversité linguistique. On a l'impression que si l'on donne quelque chose aux langues régionales, on va l'enlever au français. On fait croire aux gens qu'à partir du moment où l'on ratifie la Charte, il faudra publier tous les textes officiels en différentes langues qui sont parlées sur le territoire de la République. Il y a donc beaucoup de désinformation.
Si on fait une campagne sérieuse sur la Charte, on s'apercevra que la Charte, d'abord, n'engagera pas beaucoup la France, mais qu'elle aura l'avantage d'être un message symbolique au monde qui dit: nous sommes respectueux de la diversité chez nous, comme nous demandons que l'on soit respectueux de la diversité dans le monde. Je crois qu'on est sur la voie du progrès. Mais il faut un gros effort de pédagogie en France pour expliquer, pour faire comprendre que cette Charte est utile. Il faut également se débarrasser d'années et d'années de déqualification de ce que sont les langues de France. »
Q. Qu'est-ce que la Charte va changer?
David Groslaude. « Elle ne changera pas grand-chose. Elle sera symbolique. Mais elle nous permettra de pouvoir dire: nous existons, nos langues existent, vous devez nous respecter. Nous sommes des citoyens de la République qui parlons français, langue officielle, mais qui parlons aussi notre langue. Et nous pouvons également, dans les collectivités territoriales, les régions, les départements, les communes, demander de mettre en place un certain nombre de mesures dans le domaine de l'enseignement, des médias, de la présence publique de la langue. Je crois qu'à partir de là, on pourra légitimement demander que soit mise en place une véritable politique linguistique en France. »
Q. Les élections régionales qui inaugureront, dans six mois, une carte des régions redessinée où la Bretagne et l'Alsace ne se retrouveront pas forcément, changeront-elles la donne?
David Groslaude. « Je fais partie de ceux qui feront en sorte que la question des langues soit posée dans le débat des élections régionales. Depuis quelques jours, il y a eu des débats sur cette question. Je ne vois pas comment les conseillers régionaux pourront éviter de se prononcer sur la question des langues. Il faudra, notamment, très rapidement savoir qui est compétent, c'est-à-dire qui prendra la responsabilité de la politique linguistique: l'Etat, les régions ou les deux ensemble si c'est une politique de concertation. »
David Groslaude. « Je ne sais pas quelles sont les chances. Mais personne ne conteste une chose: le français est la langue commune, la langue officielle de tous les citoyens. La langue commune ne signifie pas que ce soit la langue unique. Cela veut dire que si les sénateurs veulent bien comprendre cette chose simple, il ne doit pas y avoir de problème pour la ratification. Si certains disent que la langue de la République est le français et cela signifie que c'est la seule langue qui puisse avoir une présence publique en France, ils se trompent. S'ils se trompent, ils risquent de se heurter, à un moment donné, à des mouvements des citoyens qui diront: nous ne sommes pas d'accord. Le contrat républicain — c'est autre chose, c'est l'idée que chacun vient volontairement dans la République avec ce qu'il est et que chacun participe à la vie républicaine avec ce qu'il est. »
L'Etat doit garantir l'équité et l'égalité de tous, dont la politique linguistique doit tenir compte. En Italie, bien que la langue officielle soit l' « italiano standard », de nombreux dialectes coexistent « en paix » et, dans certaines régions, l'allemand, le français et le slovène sont reconnus. La Suisse, pays multilingue par excellence, compte quatre langues officielles: l'allemand, le français, l'italien et le romanche, essentiellement parlé dans le canton des Grisons, à l'Est. On se demande alors: en quoi la reconnaissance des autres langues « autochtones » en France peut-elle constituer une menace à l'unité de l'Etat, surtout sachant qu'à la veille de la Révolution française, un quart seulement de la population parlait français?
Il ne faut surtout pas oublier qu'une langue est un patrimoine immatériel qu'il convient de ne pas laisser mourir. Les langues et cultures de la France en font sa richesse. Et la standardisation ne nous approche pas d'un monde multipolaire.