Cette annonce intervient un jour après l'échec de la réunion des pays signataires du TNP (Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires) à se mettre d'accord pour créer une zone dénucléarisée au Proche-Orient. La double coïncidence de calendrier incite à la prudence.
Le Pakistan, lui, n'est pas du tout disposé à laisser l'Etat islamique prendre ses armes nucléaires. Pays non-signataire du TNP, il avait démenti un accord nucléaire avec l'Arabie Saoudite au risque, semble-t-il, de voir se déclencher un conflit fatal avec l'Inde.
« A l'heure actuelle, il y a une émergence d'un conflit entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, explique Samuel Laurent. Il y a une arche chiite qui est en train de se créer au Yémen, en Syrie, en Irak, etc. De plus, l'émergence de l'Iran en tant que puissance régionale inquiète l'Arabie Saoudite qui était, jusqu'à présent, le seul véritable poids-lourd, le seul interlocuteur des puissances occidentales. Il va-t-y avoir une véritable compétition, une course aux armements de laquelle l'arme nucléaire ne peut pas être exempte. On sait que l'Iran s'est déjà avancé sur le terrain, donc, d'autres pays de la région peuvent y être intéressés et peuvent utiliser comme levier leurs capacités de pression économique sur des pays occidentaux, économiquement vulnérables par rapport à leurs partenaires financiers de la région du Golfe. Je pense, notamment, à la France qui est très proche et dépendante du Qatar.
Si l'Etat islamique se dotait d'une bombe nucléaire, qui pourrait-elle menacer? avons-nous demandé à Samuel Laurent. « L'Iran et la Syrie seraient immédiatement visés. Mais, à mon avis, on est plutôt dans la spéculation parce que l'arme nucléaire n'est pas à l'ordre du jour. Se focaliser sur les menaces aussi éloignées nous évite de poser les vraies questions. On a fait des erreurs terribles depuis le début de cette guerre, on a systématiquement armé et soutenu le mauvais camp. Aujourd'hui, l'idée d'une bombe nucléaire qui pourrait surgir dans un an ou deux nous permet d'éluder les questions les plus immédiates, à savoir ce qu'il faut faire pour bloquer l'Etat islamique, avec qui il faut travailler, de quelle manière il faut complètement revoir notre politique, à savoir, travailler avec Damas, engager l'Iran, et quitter cette espèce d'irréalisme permanent. »
Parmi les cibles potentielles, au-delà de la région du Golfe, figurent l'Europe, la Russie et les Etats-Unis. La première a déjà beaucoup souffert sur tous les plans de la guerre asymétrique mise en place sur le continent: des attenants contre Charlie Hebdo à Paris, en passant par les réseaux de radicalisation aux prisons et mosquées, jusqu'aux problèmes sociaux liés à l'immigration clandestine, notamment, en Méditerranée.
Une guerre contre la Russie dans la région du Caucase du Nord est peu probable. En septembre 2014, le président de la République de Tchétchénie Ramzan Kadyrov n'a pas mâché ses mots en ripostant à la menace « puérile » des extrémistes: « Je déclare solennellement que quiconque se mettant en tête de menacer la Russie et prononcer le nom de Vladimir Poutine sera anéanti dès qu'il le dit. Nous n'attendrons même pas qu'il soit installé aux commandes d'un avion ». En même temps, l'Etat islamique avait l'intention de proposer à la Russie l'accès aux gisements pétroliers dans la province irakienne Al-Anbar à condition que Moscou révèle les secrets du programme nucléaire irakien et arrête de soutenir Damas. Il semble que la fureur militaire contre la Russie s'est étouffée et se focalise ailleurs.
Les Etats-Unis seraient les premiers dans la liste des cibles à abattre. Dans le système de valeurs djihadiste, les Etats-Unis se présentent comme ennemi principal et absolu. Il y a un mois, l'Etat islamique a menacé Washington de répéter le terrible scénario du 11 septembre, de « brûler l'Amérique ». Résultat: Washington tomberait victime de sa propre création, comme ce fut le cas, il y a 14, ans avec Al-Qaïda, engendré et soutenu par les Américains dans la lutte contre l'URSS.
Vous n'êtes pas sans vous rappeler que, selon un rapport récemment déclassifié, la DIA (Agence américaine du renseignement de la défense) avait prévu l'émergence de l'Etat islamique déjà en 2012, ce qui n'a pas empêché les Etats-Unis de livrer des armes et de l'argent à l'opposition syrienne, étroitement liée aux djihadistes. De plus, en septembre 2014, la secrétaire d'Etat à l'Intérieur du Royaume-Uni Theresa May craignait que l'Etat islamique profite des possibilités de s'emparer de l'arme chimique, biologique et nucléaire du Pakistan.
Dans le pire des cas, on peut craindre la première guerre nucléaire « locale » depuis Hiroshima et Nagasaki. Car, la victime de l'attentat nucléaire de l'Etat islamique, qui que ce soit, riposterait, sans doute, par une frappe de représailles. Par conséquent, le moratoire sur l'utilisation de l'arme nucléaire dans des conflits armés serait levé.