Une récente étude révèle notamment la manière dont les chiens régulent par leur regard le niveau de "l'hormone de l'amour" dans leur organisme, et avec lui le comportement de l'homme. Surtout, elle rappelle qu'on ignore encore qui a domestiqué l'autre — l'homme le chien, ou l'inverse.
Le chien est le premier animal domestiqué et de nombreux spécialistes pensent que sans eux, tous les autres animaux domestiques (vaches, chevaux, poules) auraient pu ne jamais apparaître. C'est pourquoi comprendre à quand remonte la première domestication revient à comprendre comment se sont formées les bases du mode de vie contemporain, alimenté par les domestications.
Pourquoi il est impossible de domestiquer un loup
Depuis 1907, la principale théorie de la domestication était la plus simple: un jour, l'homme a pris soins de louveteaux orphelins et ils sont devenus ses fidèles amis. Malgré tout le romantisme de cette histoire, il est difficile d'y croire.
Les généticiens affirment en effet que le chien descend du loup gris (Canis lupus). Il est même reconnu comme sa sous-espèce (Canis lupus familiaris). Cependant, les spécimens de l'espèce Canis lupus sont incroyablement méfiants et sensibles. Il est très difficile de voir un loup contre son gré: les chasseurs utilisent aujourd'hui des chiens ou des oiseaux de chasse pour les atteindre. Il va de soi qu'avant la première domestication, nos ancêtres n'avaient pas de tels "assistants". Retrouvez sans eux un loup, même âgé, est une idée très douteuse.
Laissons de côté la question de savoir comment les louveteaux ont été retrouvés. Une autre question est encore plus difficile — comment l'homme ancestral a-t-il réussi à les élever? Il faut les habituer à l'homme à partir de deux semaines, pas plus tard que trois, et seulement en les isolant des loups adultes. Jusqu'à trois semaines les louveteaux ne mangent pas de nourriture dure et demandent du lait. On ignore où les premiers cynophiles ont trouvé du lait puisqu'ils ne disposaient pas d'élevage laitier.
Et la dernière raison d'en douter est que le louveteau devenu adulte restera loyal uniquement envers les membres de la famille où il a grandi. Le loup ayant grandi parmi les hommes considère donc tous les autres représentants de notre espèce comme une proie légitime, notamment s'il est question d'enfants ou de malades. Le loup peut même attaquer un homme persuadé d'être en bonne santé, car beaucoup de canidés ont l'odorat si sensible qu'ils peuvent repérer un cancer en se basant sur l'odeur de l'urine, même si l'homme ne le sait pas.
Comment "apprivoiser" l'homme
La plupart des chercheurs pensent que ce n'est pas l'homme qui a fait le premier pas dans la domestication et que les loups eux-mêmes, vivant à proximité des chasseurs paléolithiques, se seraient ainsi progressivement habitués à ne pas tuer les poules aux œufs d'or. En suivant les groupes humains nomades et en mangeant les restes des animaux qu'ils tuaient, les loups ont ainsi pu devenir des compagnons des hommes ancestraux. Cette théorie règle le problème de la nourriture des louveteaux et de l'agression des loups envers les faibles: prenant exemple sur les loups adultes, les louveteaux évitaient d'attaquer les enfants des primates, les considérant comme faisant en quelque sorte partie de la meute.
C'est manifestement une "compétence" qui facilite leur intégration à la société de l'homme. Ce comportement des chiens qui regardent dans les yeux du maître de leur propre initiative est une sorte de manipulation de l'homme, et selon les données de l'équipe de Miho Nagasawa il n'est pas propre aux louveteaux élevés parmi les hommes, qui n'éprouvent pas d'augmentation d'ocytocine quand l'homme les regarde. Ils interprètent souvent un regard les yeux dans les yeux comme des loups sauvages, pour qui c'est un signe d'agression après lequel l'animal détourne le regard en règle générale.
Les premiers amis de l'homme
Admettons que les loups se soient domestiqués eux-mêmes: la question reste de savoir quand. Un groupe de généticiens dirigé par Peter Savolainen a étudié l'ADN des chiens contemporains et affirment qu'ils descendent des loups du Sud de la Chine qui ont vécu il y a moins de 16 400 ans. La diversité génétique des chiens est la plus répandue dans cette région. Selon ce schéma, les dingos sont considérés comme les chiens les plus anciens, suivis des basenjis d'Afrique et des chiens esquimaux.
Les partisans de cette version voient dans la domestication l'une des étapes du passage de la chasse à l'agriculture et considèrent les chiens domestiques comme une race de bétail.
Dans le même temps, un groupe d'archéologues et de généticiens dirigé par Robert Wayne pense que le loup est "européen". Les crânes des animaux de la Grotte de brigand dans l'Altaï sont datés de 31 000 ans avant JC, et des découvertes en Belgique de 34 000 ans. La recherche de parenté par l'ADN mitochondriale, qui se transmet par la ligne maternelle et non nucléaire, ont conduit le groupe de Wayne à la conclusion que dans les gênes des chiens contemporains on retrouve des traces d'espèces identiques qui ont vécu il y a plus de 30 000 ans, dont les parents sauvages les plus proches sont les loups européens.
D'une datation plus antérieure découle également une autre vocation du chien — apprivoisé par les chasseurs paléolithiques il n'était probablement pas considéré comme une réserve de viande. Les hommes ancestraux s'intéressaient plutôt à l'odorat extraordinaire des anciens loups ou à la protection et au transport, avec les chiens, des tonnes de viande de mammouth qui en l'absence d'animaux de trait était insurmontables pour des collectifs humains réduits.
Les partisans d'une domestication plus tardive (néolithique) du chien cherchent donc les failles dans ces théories. En février, le groupe d'Abby Drake affirmait que la découverte dans la grotte belge se rapprochait davantage du loup que du chien par la structure crânienne. A partir de quoi on affirme que la domestication a eu lieu seulement au Néolithique — au même moment que l'apprivoisement d'autres animaux domestiques.
Malheureusement, le travail d'Abby Drake passe sous silence l'étude des chercheurs russes publiée en 2011 selon laquelle l'existence d'un crâne de chien datant de 33-34 000 ans était avérée. Sachant que le superviseur de ce travail, Iaroslav Kouzmine, a noté que le crâne de la grotte de l'Altaï ressemblait très fortement aux restes du chien de Groenland qui avait vécu il y a seulement mille ans. Par conséquent, on peut en conclure qu'il y a 33 000 ans déjà, la domestication des canidés avait sérieusement avancé — pratiquement jusqu'au niveau actuel!
La question de l'époque d'apprivoisement s'est éclaircie après la publication en 2013 du travail de la généticienne Anna Droujkova de l'Institut de biologie moléculaire et cellulaire du département sibérien de l'Académie des sciences de Russie. L'analyse de 413 nucléotides du chien de l'Altaï a révélé qu'il était bien plus proche des chiens et des canidés préhistoriques du Nouveau monde que des loups contemporains. Par conséquent, l'animal de 33 000 ans de la grotte de l'Altaï est le plus ancien chien connu jusqu'à présent, et on peut en déduire que la domestication de nos amis à quatre pattes s'est produite bien avant l'apparition de l'agriculture. Iaroslav Kouzmine pense qu'on ignore même si le premier chien de l'Altaï avait des maîtres: "Vu l'âge, les hommes de Cro-Magnon et les Néandertaliens conviennent". En d'autres termes, la première domestication pourrait en principe remonter à l'époque pré-primate.
Les chiens, arme de génocide ou force de trait
Les suppositions des chercheurs russes sur les chiens apprivoisés des Néandertaliens divergent sérieusement avec le livre populaire Les Envahisseurs, publié par l'anthropologue Pat Shipman en 2015. D'après elle, c'est la domestication du chien qui aurait poussé les mammouths en direction de l'homme chasseur, puis, en protégeant la viande de la chasse, aurait permis à l'homme d'évincer les Néandertaliens et de se placer au sommet de la pyramide alimentaire. Selon elle, le blanc de nos yeux aurait pu être le facteur clé rendant possible l'interaction entre l'homme et le chien. Rappelons que la majeure partie de la surface de l'œil humain est blanche, ce qui est atypique pour les mammifères. Pat Shipman pense que cette mutation est apparue il y a 40 000 ans. Grâce à ça, les chiens auraient pu comprendre où les hommes regardaient pendant la chasse, ce qui était difficile avec les Néandertaliens qui n'avaient pas de blancs d'yeux. Toutefois, elle souligne que son hypothèse attend encore des preuves génétiques.
Pour découvrir à coup sûr si la première domestication a eu lieu au Paléolithique ou au Néolithique, les chercheurs comparent les os des fossiles de chien retrouvés à travers le monde. Le groupe unifié de Savolainen et de Wayne n'a pas encore trouvé de conclusion définitive sur la date de la domestication, mais penche dans l'ensemble pour le scénario prénéolithique. Leur travail a déjà apporté un résultat inattendu: dans la partie arrière des mâchoires de certaines découvertes; on constate l'absence d'une paire de molaires, alors que des emplacements y sont prévus. Cela pourrait signifier qu'on utilisait une sorte de bride pour les chiens de traîneaux. Si c'était le cas, alors les premiers domesticateurs étaient extrêmement avancés — les premières brides primitives chez les animaux domestiques de trait remontent généralement au Néolithique, c'est-à-dire 15-20 000 ans après l'apparition des premiers chiens.